Biram Dah Abeid est une figure emblématique du mouvement de défense des droits de l’homme. Fondateur de l’Initiative pour la résurgence du Mouvement abolitionniste (IRA-Mauritanie), il est reconnu un militant anti-esclavagiste à la fois engagé et déterminé. Face à la violence d’Etat et aux multiples emprisonnements, Biram Dah Abeid reste inflexible et continue son combat. Il est lauréat de plusieurs distinctions (Prix des droits de l’Homme des Nations unies en 2013, Prix Mémoires partagées de l’Association internationale Mémoires et Partages en 2017).
Député au Parlement mauritanien, il est arrivé deux fois deuxième à l’élection présidentielle. En 2014, il a eu 8,6 % des suffrages et 18,59% en 2019. Biram Dah Abeid nous a accordé un entretien en marge du Forum régional sur l’esclavage tenu les 08, 09 et 10 juin 2021 à Bamako.
Bonjour Biram Dah Abeid. Pouvez-vous nous rappeler le cadre dans lequel vous êtes en visite au Mali ?
Je suis en visite au Mali dans le cadre de nos activités régulières qui ont débuté depuis l’année 2016, liées à la lutte contre l’esclavage dans les régions sahélo-sahariennes dans le cadre de notre organisme qui s’appelle le Réseau G5 Sahel de lutte contre l’esclavage. C’est un regroupement de plusieurs ONG du Tchad, du Burkina-Faso, du Mali et de la Mauritanie, qui ont pris conscience de l’enracinement de l’esclavage dans nos sociétés et les répercussions de son développement très négatif.
Nous avons remarqué la banalisation de l’esclavage et son impunité représente un défi, pour la construction d’un Etat citoyen, d’une société citoyenne, d’un Etat de droit, pour la construction d’une mentalité et d’une idéologie du respect de la dignité humaine, de l’’égalité entre les hommes dans nos sociétés.
Les sociétés ouest-africaines continuent à être des sociétés très hiérarchisées. Le pouvoir, dans ces sociétés, continue à être l’apanage des personnes qui pensent l’avoir hérité par leur naissance, leur rang social, leur race et leur ethnie. Ceci bat en brèche la déclaration universelle des droits de l’homme auxquels ont adhéré toutes les nations, tous les Etats du monde, dont nos Etats. Ceci bat en brèche aussi l’ambition révolutionnaire des fondateurs de l’indépendance en Afrique, les fondateurs de l’Organisation de l’unité africaine devenue aujourd’hui l’Union africaine.
Le vrai apartheid entre nous, le vrai colonialisme entre nous, le vrai esclavage interne entre nous, n’ont pas été combattus, n’ont pas été dénoncés, n’ont pas été démystifiés. Aujourd’hui, il y a encore des vendettas contre les gens considérés comme esclaves et qui ont refusé ce statut. Ils subissent la répression sous le regard complaisant de tout le peuple malien quasiment de tout le peuple africain et sous le regard aussi complice de l’Etat qui laisse libre cours à la folie de ces esclavagistes qui ont un but, d’idées antiques et moyenâgeuses, qui considèrent que l’homme est une propriété d’un homme.
Que peut-on retenir de ce forum de Bamako ?
Je pense que le forum de Bamako était très riche. Ce croisement des expériences des différents pays, des différents activistes, des différentes ONG, était très enrichissant. Ce forum qui va se faire en janvier de 2022 à Nouakchott en Mauritanie, va constituer un pôle d’attraction de tous les Africains et de tous les hommes et femmes de part du monde qui sont épris de justice, d’égalité, de dignité et de souci d’éradication de l’esclavage.
Vous êtes militant anti-esclavagiste mais aussi homme politique. A quoi est dû l’impunité dont bénéficient les exclavagistes ?
L’impunité qui caractérise les instigateurs, les auteurs de l’esclavage interne en Afrique, est due au fait même que depuis toujours ceux qui ont dirigé l’Afrique ont banalisé cet esclavage. Ils l’ont nié. Ils l’ont même dénié. Le déni de cet esclavage en est l’ignorance volontaire, de ce racisme inter africain, de l’esclavage interafricain, de ce système de caste interafricain. C’est une pièce du dispositif que les bâtisseurs de l’indépendance africaine ont mis en place pour sublimer les sociétés africaines, les idéaliser à tort d’ailleurs, pour pouvoir mieux pourfendre l’esclavagisme blanc, la barbarie des Blancs. Depuis l’indépendance des Etats africains, cet esclavagisme n’est pas dénoncé, n’est pas réprimé, il est même accepté. Ils le taisent et le cachent.
L’autre motif de l’impunité, c’est le fait que ce sont les groupes dominants « aristocratiques », qui ont eu et qui conservent encore le règne du pouvoir en Afrique. Ils l’ont intégré dans leur mode de vie, leur code d’honneur, leurs mentalités sociales, la légitimation, l’acceptation et la banalisation de cet esclavage, qui est en vérité un crime contre l’humanité.
La Mauritanie peut-elle apporter son expertise au Mali dans la lutte contre cette pratique néfaste ?
Nous, en tant que militants anti-esclavagisme, plus aguerris dans la sous-région (nous avons entamé l’affrontement, les hostilités contre un esclavage beaucoup plus ancien et plus radical) pouvons apporter notre pierre à l’édifice en construction au Mali et ailleurs dans la sous-région dans le cadre de la lutte contre l’esclavage.
Néanmoins, je pense que l’esclavage au Mali, dans certaines régions africaines, est beaucoup plus enraciné que chez nous. En Mauritanie, ce sont les violences d’Etat qui sont organisées par les esclavagistes. C’est l’Etat qui organise les actions de répressions contre les abolitionnistes. Il y a quelques jours, des gens qui refusent que leur terre soit confisquée par leur maître, la gendarmerie est venue les prendre et les amener au tribunal, les juges les ont mis en prison.
cette violence indicible, privée que s’arroge les esclavagistes au Mali pour punir, tuer, blesser, humilier, piller et torturer les esclaves est quelque chose d’inédit et d’impensable en Mauritanie.. Je pense qu’il doit y avoir les comités d’auto-défense.
En Mauritanie, à partir de 2011, nous avons créé un comité de la paix. C’est un comité de jeunes robustes, vigoureux, engagés, qui sont là, et qui entourent les leaders du mouvement pour les protéger contre les attaques barbares des esclavagistes. Au début de notre militantisme, les esclavagistes se sont organisés pour nous attaquer comme le font les esclavagistes du Mali. Ce comité de la paix des jeunes affronte les esclavagistes et les remette à leur place sans être armés. Nous interdisons de nous armer. Ceci a constitué une dissuasion pour les esclavagistes violents. Je conseille aux populations visées par les vendettas au Mali à s’organiser comme nous nous sommes organisés. Ce sont des jeunes très volontaires et prêts à risquer leur vie pour défendre les personnes ciblées par les esclavagistes.
Qu’est-ce qu’il faut pour éradiquer cette pratique dans cette espace ?
Pour éradiquer l’esclavage, il faut une guerre totale, attaquer par terre, par mer et par air, c’est-à-dire, il faut créer un mouvement civique comme nous l’avons fait en Mauritanie, un mouvement populaire très fort, très engagé à la manière de Martin Luther King ou Mahatma Gandhi. Un mouvement où il y a beaucoup de personnes engagées pour ces idéaux mais qui sont adeptes dans la non violence, qui font de la désobéissance pacifique, qui sont capables de se sacrifier. Il ne fuit pas devant la violence, notamment la violence étatique mais refuse de se plier aux ordres injustes même de l’Etat, même des juges, même des polices judiciaires. Il faut créer au moins un mouvement et faire des démonstrations populaires. Il faut des grèves de la faim dans certains cas précis.
Il faut aussi internationaliser le cas du Mali comme on l’a fait avec le cas de la Mauritanie. Il faut que toutes les organisations internationales et tous les organismes internationaux gouvernementaux comme l’ONU, l’Union européen, l’Union Africaine et la CEDEAO, se saisissent du dossier à travers un plaidoyer pertinent. Il faut aussi que les organisations internationales non gouvernementales puissent être engagées aux côtés des militants anti- esclavagistes maliens à travers une communication qui ne laisse pas de place au doute. Il faut aussi que les militants anti-esclavagistes maliens s’engagent dans des actions de subversions idéologiques, sociales, mentales et coutumières. Il faut faire la subversion des coutumes esclavagistes, des idées religieuses esclavagistes. Il faut aussi déconstruire l’idéologie qui fait la légitimité de l’esclavage. Nous l’avons fait en Mauritanie en incinérant des livres. Ce sont ces livres qui représentent le code noir, le code négrier, le code d’esclavage dont des livres islamiques qui codifient, légitiment et sacralisent l’esclavage. Cet acte public, volontaire, symbolique et d’incinération du code négrier, considéré comme religieux, a été aussi le point culminant des actes audacieux que nous avons posés pour délégitimer l’esclavage, démystifier l’idéologie qui le fonde. Il faut aussi le faire au Mali.
Etes-vous optimiste quant à ce que cette pratique-là soit derrière nous, un jour ?
Je suis optimiste que cette pratique odieuse, multiséculaire sera derrière nous. Mais je sais que les Maliens comme les autres ouest-africains vont payer lourd parce que, l’esclavage est très enraciné dans les mentalités, dans les croyances et dans les modes de vie. Cela va occasionner un bouleversement douloureux, mais le jeu en vaut la chandelle.
Propos recueillis par Chiaka Doumbia et Boubacar Diarra
C’est une homme qu’au pays de Ngolo, Monzon et Da Diarra on nous parle d’esclavage et que nous voyons cette pratique odieuse tous les jours, quelle honte pour l’humanite et la societe Malienne!
𝔹onjour
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