Les trois plaies du Mali

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“Le retour au Mali de nombreux jeunes Touareg entraînés au maniement des armes en Libye apparaît directement lié aux affrontements. La situation ne cesse de se dégrader.” Cet extrait d’une note de la Direction des affaires africaines et malgaches du Quai d’Orsay pourrait dater de 2012. Un an après la chute de Mouammar Kadhafi, en octobre 2011, les deux tiers du territoire malien échappent à l’autorité centrale, conquis par des groupes armés.

Soldats maliens près de Gao, le 27 janvier. La veille, des troupes françaises et maliennes ont chassé les islamistes de la ville. | ADAM DIARRA/REUTERS

Mais ce texte remonte à… 1991 ! A cette époque, les affrontements avec les Touareg se multiplient dans la région. Le rédacteur du ministère des affaires étrangères évoque alors le sentiment de marginalisation des Touareg, l’absence de toute politique “constructive” de l’Etat ; rappelle le “divorce racial”, le “refus de la négritude” de la part des Touareg, très impliqués dans les traites esclavagistes. Il souligne aussi que “les dirigeants maliens ont clairement indiqué que, hors de l’aide de la France, il n’y aurait pas de salut”.

Plus de vingt ans après, grâce à l’intervention militaire française, le Mali s’éloigne d’un pas du précipice dans lequel une rébellion menaçait de le faire sombrer. L’histoire se répète donc ? Rien n’est moins vrai. Si certains ingrédients de la révolte demeurent, de nouveaux facteurs sont apparus.

LA “RÉVOLTE DE TROP”

Les épaules drapées par une large bande d’étoffe brodée, Zeidan Ag-Sidalamineest un témoin des deux époques. Touareg originaire de Djebok, dans les environs de Gao, il a partagé la cause des rébellions des années 1990 avant de devenirconseiller de l’ancien président Alpha Oumar Konaré (1992-2002). “Les soulèvements touareg ont connu plusieurs phases, explique-t-il. Il y eut la résistance, parfois écrasée dans le sang, à l’époque de la colonisation française, les révoltes des années 1960 après l’indépendance, puis les rébellions des années 1990. Aujourd’hui, c’est un mouvement narco-salafiste teinté de djihadisme mal assimilé. C’est la révolte de trop.”

Une “révolte de trop” ? Les mouvements touareg précédents n’avaient pas réellement menacé la survie de l’Etat. En revanche, le vent tourbillonnant des dernières violences a failli tout emporter. Il s’est pourtant levé loin du massif des Ifoghas, dans cet extrême Nord rebelle frontalier de l’Algérie. Il s’est nourri aux sources des “printemps arabes” de 2011 et de la chute du régime de Mouammar Kadhafi, en Libye. Tel une tornade, il s’est renforcé au contact des eaux troubles baignant les groupes de trafiquants djihadistes installés depuis plusieurs années dans l’immensité désertique du Nord malien, grand comme une fois et demie la France. Il a soufflé sur cette région et, à plusieurs centaines de kilomètres de là, à Bamako, il a emporté le président malien, Amadou Toumani Touré – dit “ATT” –, en mars 2012, et fut à deux doigts de balayer un Etat déjà moribond, dix mois plus tard.

Au déclenchement de cette offensive, en janvier 2012, depuis l’extrême nord du Mali, l’Etat n’est déjà plus en mesure d’affronter la situation. Kidal, Gao, Tombouctou, toutes les grandes villes du Nord tombent les unes après les autres en poussant chaque fois plus au sud une armée en déroute. Dangereux et humiliant.

ÉTAT DÉLITÉ

Le fruit était déjà blet. “L’Etat n’était plus un Etat gendarme ni un Etat providence”,explique Soumeylou Boubeye Maïga, ancien ministre de la défense. Sous la présidence d’ATT, les institutions se sont en effet délitées. L’ancien militaire putschiste de 1992, revenu à la tête du pays par les urnes dix ans plus tard, bâtit son pouvoir sur “un consensus à la malienne”, comme on dit à Bamako. Autrement dit, un système incluant la plupart des partis, donc sans réelle opposition, et dans lequel ATT avait le dernier mot. Soucieux de ménager le plus grand nombre, il a ainsi nourri en son sein “un régime d’impunité, de laisser-faire et de corruption qui a notamment fait le lit des trafiquants de drogue”, dénonceMahamadou Diallo, l’un des conseillers de l’opposant Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), ancien premier ministre, ex-président du Parlement et candidat attendu à une future élection présidentielle.

Dans le Nord, cette politique a eu des effets négatifs démultipliés. Les bases pour éviter la catastrophe existaient pourtant. Le Pacte national de 1992, qui avait mis un terme à une autre rébellion touareg, s’était traduit par un désengagement militaire dans cette partie du pays – régie alors par un régime d’exception – et par une délégation de la sécurité aux communautés autochtones. Alors qu’il n’y avait quasiment aucun officier touareg dans l’armée malienne en 1992, ils étaient 200, ex-rebelles mal intégrés, vingt ans plus tard. L’accord prévoyait aussi un volet socio-économique destiné à développer cette région délaissée depuis toujours ainsi qu’un processus de décentralisation de l’Etat. Mis en œuvre durant la présidence d’Alpha Oumar Konaré, ce pacte, suivi en 2006 par les accords d’Alger consécutifs à une énième rébellion, a été oublié par ATT. La décentralisation est restée en plan faute de moyens financiers.

“MILITAIRES FONCTIONNAIRES”

Parallèlement, l’armée est devenue “un groupement de fonctionnaires, pas de combattants”, a observé Soumeylou Boubeye Maïga. Des “militaires fonctionnaires” sous-payés vivant davantage de leurs petits ou grands trafics que de leur solde. En 2012, ils ont détalé devant un ennemi motivé et bien équipé.“Nous mettions ATT en garde depuis des mois contre les risques de sa politique, mais il ne voulait rien entendre”, se lamentait un diplomate français peu après le déclenchement des violences du début 2012.

“Pendant longtemps, l’Etat n’a rien fait dans le Nord parce que les investissements publics répondaient à des ratios démographiques ” (les Touareg représentent seulement 4 % de la population totale du Mali et sont minoritaires dans le Nord), explique Soumeylou Boubeye Maïga. “Puis Bamako est intervenu en s’appuyant sur les familles locales dominantes, qui ont pris le relais d’un Etat défaillant en creusant des puits, en construisant des routes ou des écoles. Ce clientélisme a fait de ces familles les passages obligés de la puissance publique. Or ce sont les mêmes que l’on retrouve dans les négociations de libération d’otages occidentaux ou dans le trafic de drogue. Cela n’a fait que creuser les inégalités, y compris au sein de la communauté touareg, et entretenir le mécontentement.”

Cet abandon de l’Etat a aussi fait le lit d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Créée par des Algériens, ex-membres du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) chassés de l’Algérie voisine à l’issue d’une guerre civile terriblement meurtrière, AQMI a pris pied (et femmes) dans le nord du mali depuis dix ans. Enrichie par les rançons des otages et les trafics de drogue, AQMI est devenue un employeur, y compris auprès d’une partie des Touareg, trafiquants historiques dans ce désert qu’ils connaissent mieux que personne.

L’ARGENT D’AQMI

S’y est lié progressivement un réseau d’intérêts criminels dans lequel se croisent et s’entremêlent toutes les communautés du Nord – Peuls, Touareg, Songhaï, Maures, Malinké, Dogon… “Le Sahel est une zone historique de trafic, mais c’était un trafic de survie. L’introduction de la drogue, débarquée en Afrique de l’Ouest et qui traverse le Sahel pour atteindre les rives de la Méditerranée, a modifié les rapports de force et restructuré la société”, observe Soumeylou Boubeye Maïga.“Pour 3 000 à 5 000 euros les 48 heures, les Touareg sont devenus des convoyeurs ou des agents de sécurité, illustre Zeidan Ag-Sidalamine, c’est beaucoup d’argent. Comme un supermarché, AQMI s’est mise à briller telle une enseigne lumineuse au milieu du désert”, ajoute-t-il.

Ce réseau armé s’est révélé suffisamment puissant pour ensevelir les revendications historiques des Touareg. Il faut voir le destin du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Ses combattants – pour certains revenus de Libye – furent les premiers à se lancer à l’offensive au début 2012. Leurs revendications politiques – autonomistes puis indépendantistes – étaient certes inaudibles à Bamako, mais elles s’ancraient dans l’histoire des rébellions touareg précédentes. Rapidement, pourtant, le MNLA a été chassé des villes conquises par les groupes touareg islamistes (Ansar Eddine) alliés à AQMI et sa filiale ouest-africaine du Mujao. Les mots d’ordre devinrent “djihad” et “application de la charia” sur tout le territoire malien.

Grâce à cet argent, AQMI et d’autres étaient devenus les acteurs les plus puissants dans le Nord, irriguant aussi le Sud où se nouaient d’indispensables complicités et où se déversait une partie de l’argent de la drogue. L’argent d’AQMI attirait. Moins que la religion ? “Le salafisme est une mode étrangère aux Touareg, mais elle est devenue populaire avec les “printemps arabes”. Cela durera le temps d’une saison, mais ça passera chez les Touareg”, tranche Zeidan Ag-Sidalamine. En revanche, il s’inquiète de l’influence des salafistes à Bamako : “Il y a, là, plus de barbus qu’au Nord.”

LES “400” COMBATTANTS DE LIBYE

Dans cet environnement déjà passablement bouleversé, l’afflux d’anciens combattants kadhafistes revenus de Libye en 2011, au moment de la chute du “Guide” – autoproclamé depuis un fameux discours de 1982 grand défenseur de la cause touareg –, a précipité le chaos. Ils n’étaient sans doute que quelques centaines à revenir – “400 “, affirme Zeidan Ag-Sidalamine. C’était peu mais suffisant pour que ces combattants déstabilisent une société touareg féodale dont l’ordre s’effritait inexorablement sous le coup de sempiternelles luttes internes, de rébellions perdues au cours du temps et de sécheresses dévastatrices pour ces grands éleveurs de bétail. Ces guerriers des “légions islamiques” ranimèrent la lutte armée contre laquelle les chefferies traditionnelles touareg, si elles le voulaient, ne purent s’opposer.

Quatre cents combattants, ce fut peu mais suffisant pour que ces unités dissolvent une armée malienne déjà déliquescente. Peu mais suffisant aussi pourprovoquer la chute, à Bamako, d’un régime agonisant, achevé par une déroute militaire historique. Signe de sa faiblesse, ATT fut ainsi renversé le 22 mars 2012 par un putsch de sans-grade mené par le capitaine Sanogo. Un capitaine qui reprochait à juste titre au président d’avoir précipité le pays dans le chaos. Mais un militaire qui prétendait, contre toute évidence, être capable de reformersuffisamment de bataillons pour reconquérir le Nord.

APRÈS LE 10 JANVIER 

Sa “présidence” fut brève : quinze jours. Sous la pression de la France et des pays de la région, il dut céder le pas à un pouvoir civil de transition. Mais sonpouvoir de nuisance dura plus longtemps. Ces derniers mois, s’appuyant, à Bamako, sur une partie de la rue caressée dans le sens de sa fibre patriotique, il s’est opposé au déploiement d’une force armée internationale. Il ébranla le fragile équilibre politique en faisant tabasser le président de la transition, Dioncounda Traoré, laissé pour mort par ses agresseurs. Il déploya toute son énergie pourtorpiller l’organisation d’assises nationales.

Il joua ainsi ce jeu jusqu’au 10 janvier, jour probablement funeste pour les ambitions de celui qui aimait s’imaginer dans l’uniforme d’un “de Gaulle malien”. Ce jour-là, les groupes islamistes rompent le cessez-le-feu virtuel en vigueur depuis plusieurs mois. Ils précipitent ainsi l’intervention armée de la France et le déploiement d’une force africaine en gestation depuis le début de la crise.

Reste maintenant à sortir de cette crise, la plus grave sans doute que le Mali ait connue depuis son indépendance, en 1960. Le départ des islamistes des principales villes du Nord devant l’avancée des troupes françaises et les pertes, dont l’étendue reste inconnue à ce jour, dans les rangs de leurs combattants ne sonnent pas la victoire. Encore moins la renaissance d’un Etat malien à genoux. Le chantier est colossal.

Une fois recouvrée l’intégrité territoriale du pays, la reconstruction devra passerpar l’organisation d’un processus électoral juste et transparent à l’horizon de quelques mois. Elle inclut l’amorce d’un dialogue de réconciliation avec certaines communautés du Nord – avec quels interlocuteurs ? Au risque de repousser, encore, la recherche d’une solution au problème touareg. “C’est une histoire transnationale compliquée, conclut Ag-Sidalamine. Les Touareg sont chez eux dans le Nord. Ils peuvent se fondre dans leur écosystème pendant un mois, un an, deux ans. Puis se réveiller. Les Rafale français n’y peuvent rien.”

Christophe Châtelot – Bamako, envoyé spécial

LE MONDE GEO ET POLITIQUE | 04.02.2013 

 

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11 COMMENTAIRES

  1. l’article a oublié de parler du mauvais rôle joué par des déserteurs de votre Armée……..

  2. Le contenu de cet article n’a rien à voir avec son titre. C’est vraiment grave pour nos journaleux. Ils ont été tous corrompus par ATT et sa clicaille

  3. Qui a torpillé les assises nationales? Le capitaine? Je croyais que c’était l’Ancien PM CMD et Dioncounda?
    Eclairez ma lanterne? 🙁 🙁 🙁 🙁

  4. Vous avez la memoire courte ; je me souviens que lorsque des touareg et certains maliens sont partis se battre pour Kadhfi il y a deux ans , vous etiez tous là à les soutenir contre la Terre entière 🙄 🙄 🙄 Kadhfi morts ,ils sont revenus au Mali ,bien etrainés ,pour vous foutre sur la gueu.le , mais vous ne trouvez plus çà drole et vous ralez !!!! CA S’APPELLE UN RETOUR DE BATON

  5. Bonne analyse sauf que l’article fait mine de croire à ce que des BANDITS ORDINAIRES racontent. Tout l’article donne suffisamment de détails sur le caractère criminel de ces organisations dites autonomistes, indépendantistes ou djihadistes. IL NE S’AGIT NI PLUS NI MOINS QUE D’UTILISER DE MALHEUREUSES COMMUNAUTES A DES FINS PERSONNELLES, SORDIDES ET CRIMINELLES. Comme cela est fréquent d’ailleurs, de façon non armée, dans bien d’associations de société civile ou d’organisations politiques…

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