Dans la pure tradition du Kotéba, la troupe de théâtre BlonBa de Bamako a ouvert la 8ème saison de AfricaBezons, en région parisienne. Dans la pièce, «Ala té sunogo, Dieu ne dort pas», tous les maux de l’Etat malien sont traités avec énergie et volonté. La fraîcheur de Adama Bagayoko, Alimata Baldé, Diarrah Sanogo, Souleymane Sanogo et Sidy Soumaoro, assistés de Ndji Traoré, nous a emplis d’espoir pour l’avenir, malgré tout, car, comme nous l’a rappelé l’auteur et metteur en scène, Jean-Louis Sagot-Duvauroux, les valeurs maliennes seront le ressort qui permettra au bateau Mali d’arrêter de tanguer. Ce spectacle, où se mêlent talent, burlesque, danse, gris-gris et joie de vivre, en est le meilleur exemple et nous a convaincus. Après plusieurs dates en Ile de France, l’ultime représentation en France de cette pièce, dont la création à Bamako avait été interrompue par le chaos de 2012, a été rendue possible par le souci de la Municipalité de Bezons (95) de mieux faire comprendre ce qui se passe au Mali.
Le lendemain, mercredi 5 juin, Place de Fontenoy, à deux pas de la Tour Eiffel, dans l’immense salle de l’UNESCO, Irina Bokova, Directrice générale de cette grande Maison, et Mario Soares, ancien président du Portugal et Président du jury, ont remis le Prix Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix à François Hollande «pour sa haute contribution à la paix et à la stabilité en Afrique». Il était entouré de Blaise Compaoré (Burkina Faso), M. Idriss Déby Itno (Tchad), Thomas Boni Yayi (Bénin), Mohamed Ould Abdel Aziz (Mauritanie), Ali Bongo Ondimba (Gabon), Alassane Dramane Ouattara (Côte d’Ivoire), Macky Sall (Sénégal), Dioncounda Traoré (Mali), Brigi Rafini, Premier ministre du Niger. Délégations officielles et représentants des diverses diasporas étaient là, tous impatients d’écouter la teneur des discours, car bien des choses se sont passées, en effet, depuis le 21 février dernier, jour où le jury choisissait le lauréat 2013. Chez beaucoup d’observateurs a resurgi le sentiment amer de revivre la Françafrique dont on avait espéré le temps révolu. Pourquoi ne pas avoir attribué ce prix aux forces africaines qui sont venues aider le Mali, et tout particulièrement aux soldats tchadiens qui en ont payé un des plus lourds tributs ? Les discours très diplomatiques de Henri Konan Bédié et Abdou Diouf n’ont pas plus permis de trouver une réponse à cette interrogation que ceux teintés de familiarité humoristique du Président du Mali et du Président en exercice de la CEDEAO. Dioncounda Traoré a exprimé sa reconnaissance à François Hollande, par deux fois : «Nul mieux que toi, ne mérite ce prix», retrouvant ainsi l’élan lyrique des discours prononcés à Tombouctou, «François Hollande, ce prix, tu le mérites». Alassane Ouattara a, encore une fois, rappelé que «si vous n’aidez pas votre voisin à éteindre le feu qui brûle sa case, la vôtre ne sera pas épargnée par les flammes». Mais, citer ce proverbe, si cher au cœur de tous, n’efface pas le fait que beaucoup de voisins ont laissé la case Mali brûler vraiment trop longtemps.
Mory Kanté, dans la pure tradition des griots Djeli, a fait vibrer sa kora et remercié François Hollande d’avoir pris cette décision le premier. Le Président français a répondu modestement qu’il l’avait fait, afin, qu’au Mali, les femmes puissent revivre leur vie, que les jeunes puissent réécouter de la musique et regarder la télévision, et que les enfants puissent rejouer au football, en toute liberté.
Il répartira, de façon équitable, la somme de 150 000 dollars qui dote le Prix, entre l’association Solidarité Défense dédiée à l’aide des soldats blessés, aux familles endeuillées par la mort d’un soldat en opération ou en service commandé, et celle du Réseau Paix et Sécurité des Femmes de l’Espace CEDEAO, qui coordonne et optimise les rôles, les initiatives des femmes dans la prévention des conflits, le maintien de la paix et de la sécurité, les opérations de reconstruction post-conflit et la promotion des droits humains, particulièrement ceux des femmes et d’autres groupes vulnérables, pour assurer une paix durable en Afrique de l’Ouest.
Le samedi 8, nous sommes retournés à Africabezons pour le Mali. Artisanat, musique, danses et contes nous ont replongés dans l’ambiance africaine. C’est ce qu’il nous fallait pour déguster le tiep poisson ou le yassa mouton qu’un rafraîchissant verre de gingembre accompagnait. Vers 16h, une conférence-débat débutait sur le thème «Démocratie, religion, laïcité, quel avenir pour la jeunesse, ici ou là bas ? L’exemple du Mali ». Le sujet était vaste et délicat. Un rappel précis et très argumenté a été fait de l’admirable cohabitation des croyances ancestrales dans l’Empire du Ghana.
Les intervenants, Maliens ou amis du Mali, ont pris soin de souligner que les mots démocratie et laïcité n’étaient pas entendus de la même façon en Occident et sur le continent africain. L’Histoire en a décidé autrement.
L’image de soi des peuples abaissés par des décennies de colonisation, la démocratie à l’occidentale imposée quelque temps après les indépendances en occultant les démocraties ancestrales, et les religions qui reconnaissent davantage leurs communautés que l’ensemble des citoyens d’un pays, sont autant de difficultés sur lesquelles s’appuie l’avidité redoutable des anciens et des nouveaux acteurs de la mondialisation libérale et capitaliste dont le terrain de prédilection demeure le continent africain, puisque c’est là que se trouvent les ressources naturelles. Il a été rappelé que lorsque le contexte socio-économique est très difficile, le banditisme international, souvent sous couvert de religion, profite de la vulnérabilité des individus, voire des populations, en leur offrant aides matérielles et morales, pour déstabiliser et prendre possession de la zone, et même de la région.
Raymond Ayivi, élu à Bezons, délégué à la solidarité internationale et coopération décentralisée, et chef d’orchestre d’Africabezons, a souligné en permanence qu’il nous faut tous être d’une vigilance extrême. Ce que vit le Mali est la manifestation cruelle de la volonté impérialiste de ce banditisme international. Avide de pouvoir économique, il profite aussi de la souffrance socio-économique de ce qu’il est malheureusement courant d’appeler les «quartiers» des grandes villes occidentales, pour s’y répandre de façon sournoise et dévastatrice, exactement comme cela s’est passé dans l’immensité du septentrion, après l’avoir fait dans d’autres régions défavorisées du continent.
Françoise WASSERVOGEL