Le « grin » au Mali :un serpent à deux têtes !!!

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L’habitude est une seconde nature, dit-on. Cette boutade sied bien, aujourd’hui, avec le « grin» au Mali. En effet, le «grin» est un lieu de causerie habituelle à partir duquel se regroupent généralement les personnes de même génération autour d’une tasse de thé souvent accompagnée d’une table de jeu (belote, scrabble, ticket tiercé, etc.). C’est véritablement l’une des originalités de la vie sociale et culturelle malienne depuis belles lurettes. C’est aussi un lieu de rencontre et d’échanges à caractère très informel car tous types de sujets y sont abordés comme par exemple : le lancinant problème nord-Mali, les attaques djihadistes, la paix & sécurité, les débats politiques au sens large, les scandales de corruption, les actions de politique publique, la bombe foncière, la question du chômage des jeunes, la délinquance juvénile, l’éducation de nos enfants, l’insalubrité de nos rues, la lourdeur administrative, le désordre de la circulation routière, la mauvaise gouvernance, bref tous les sujets d’actualité y compris ceux relatifs au monde entier et les faits divers.

En outre, le « grin » concerne tous les citoyens et gouvernants du pays de quelque bord que ce soit car encré dans notre vielle habitude. On voit des grins de jeunes, de vieux, de femmes, de retraités, de riches, de pauvres, de commerçants, et des dignitaires du pouvoir au plus haut sommet de l’Etat. Il y existe même dans certains bureaux calfeutrés et dans certaines résidences de marque. Pour vous montrer à quel point il s’est incrusté dans les mœurs de la société malienne. Et, de surcroît même à l’étranger le malien continue avec son habitude « grinniene ». Alors, évidemment, on est en droit de se poser la question suivante : quelle utilité cette irrésistible habitude apporte-t-elle au Malien et, par ricochet, à la société malienne dans son ensemble.

A cet exercice de regard critique et d’analyse introspective, pour ce qui est de notre part, on peut s’amuser à caricaturer le « grin » au Mali comme un serpent bicéphale dont une tête est non agressive et quasi inerte et l’autre tronche contient du venin à morsure mortelle et à partir duquel il s’alimente. Autrement, il s’agit d’appréhender les bienfaits et les méfaits individuels et collectifs du « grin». Concernant les bienfaits, les « grins» s’avèrent être, de prime abord, des cellules d’information et de communication car naturellement chaque jour (matin ou soir selon que l’on soit travailleur ou chômeur) chaque Malien y consacre un moment de son temps. Comme sus évoqué, les échanges d’information portent, généralement, sur les nouvelles (actualités) du pays, de la ville et du quartier. En guise d’illustration, en période électorale, les démarches méthodologiques des hommes politiques consistent à s’adresser à des « grins» dits influents de jeunes et de vieux pour y battre campagne et, partant, drainer le plus grand nombre d’électeurs. En sus, les « grins» sont de vrais vecteurs de cohésion sociale avec en toile de fond plusieurs catégories socio-professionnelles de personnes se trouvant dans le même groupe. Par exemple, les membres composant un même « grin » cotisent régulièrement pour faire face à différents évènements sociaux comme le mariage, le décès, et les fêtes religieuses, etc.

D’autre part, les « grins » sont un véritable baromètre de l’opinion nationale en ce sens qu’ils permettent aux uns et aux autres de se faire une idée sur les problèmes brûlants de l’heure et, qui plus est, met en exergue des cas de malaise social explosif en l’occurrence la spéculation foncière généralisée, le chômage des jeunes, etc. Les enquêtes d’opinion, les renseignements sécuritaires, les enquêtes de moralité (mariages, nominations, financements) y sont très souvent pisés.

Cependant, ce serpent a aussi, malheureusement, une seconde tronche venimeuse qui a pouvoir d’intoxiquer l’opinion et, par ricochet, pourrir la vie de la cité. En effet, beaucoup de rumeurs sur la vie politique, sociale, économique et culturelle de la nation sont colportées par ces « grins ». Certaines d’elles sont vraies et d’autres sont complètement fausses et instrumentalisées surtout en période électorale par des hommes politiques calculateurs. Grâce à une certaine crédulité couplée d’une imbrication accrue de nos vies sociales, les informations ou du moins les intoxications ou les désinformations ou peu n’importe… partent dans tous les sens à flux tendu comme des électrons. Mêmes les informations sensibles de nominations de ministres ou de conseils de ministres sont connues en avance dans certains « grins » dits branchés avant être divulguées au journal officiel.Quel professionnalisme !!!

Certains « grins » de jeunes sont essentiellement fondés sur la consommation des boissons alcoolisées et des drogues de tout genre. En réalité, cette situation dégradante nous interpelle tous (autorités, citoyens) à quelque niveau que ce soit. Elle pose le problème d’abandons scolaires, de délinquance juvénile, de formation, d’éducation et de chômage massif. Alors, parlant de chômage, ne dit-on pas, bien évidemment, que l’oisiveté est la mère de tous les vices.En toile de fond, ce chômage endurci crée le dégoût, la peur du travail et le farniente chez certains jeunes avec comme corollaire des interférences négatives sur eux-mêmes et la société. Donc, tout cela nous révèle, en substance, une vraie question de relève générationnelle dans notre chère Maliba, patrie dont l’avenir existentiel est, à ce jour, sérieusement entaché d’incertitudes sécuritaires liées au péril jihadiste.

Ce qui est évident, c’est que dans les « grins », nous devons faire preuve de plus de vigilance, de discernement et de lucidité quant aux transmissions des informations sensibles pouvant déboucher sur des situations conflictuelles. Les « grins » sont, indubitablement, des cellules de base essentielles dans la vie de notre nation. Quoi qu’on dise, c’est une spécificité malienne utile pour certains et inutile pour d’autres.Utilisés à bon escient, les « grins» peuvent être utiles à la société malienne comme vecteurs d’information, de communication, de sensibilisation et surtout de cohésion sociale dans une démocratie en perte de vitesse comme la nôtre. A ce titre, on peut les qualifier de véritables « amortisseurs sociaux » surtout en situation de pauvreté. Qu’à cela ne tienne, on ne doit pas perdre de vue que le développement d’un pays doit, avant tout,être encré sur ses propres dynamiques sociétales internes. In fine, on doit toujours s’adapter aux changements, sans, pour autant, se renier.

Tidiani SIDIBE.

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