L’imam Mahmoud Dicko a procédé, avant-hier samedi 7 Septembre, au lancement de son mouvement politico-religieux dénommé « Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS)». En dépit des mise en garde de la Cour constitutionnelle à travers un communiqué sur l’inconstitutionnalité d’un « parti politique sur une base ethnique, religieuse, linguistique», l’événement a drainé monde et démontré encore une fois la suprématie du religieux sur le politique.
C’était au Palais de la Culture Amadou Hampaté Bah de Bamako. En présence de milliers de loyaux lieutenants, l’ancien président du Haut Conseil Islamique du Mali a signé son arrivée sur la scène politique par un rappel historique des péripéties de la révolution de 1991, en mentionnant dans la foulée son rôle prépondérant en tant qu’acteur ayant contribué à la chute du régime dictatorial du général Moussa Traoré. Et d’ajouter que pour pousser les Maliens à revendiquer la démocratie, les acteurs du Mouvement démocratique «leur ont promis une justice saine et équitable mais aussi et surtout du bonheur pour tous… ». Même si certains hommes et femmes du mouvement démocratique se sont dignement battus pour l’instauration de la démocratie, nombreux sont ceux qui vendent des illusions, a-t-il laissé entendre, déplorant au passage qu’en lieu et place de la démocratie et de l’Etat de droit rêvés «les Maliens ont eu droit à la corruption à ciel ouvert et une gouvernance catastrophique». Il n’existe pas de secteur qui ne soit pas malade, a soutenu l’ancien soutien religieux d’IBK et tombeur d’ATT, qui prend les acteurs politiques pour responsables de l’absence de repère pour les enfants nés en 1991 – ainsi que de la confiscation de la révolution du 26 Mars au profit d’une autre orientation. «C’est ce qui est à l’origine de l’état actuel de la situation malienne», a soutenu le leader religieux entré de plain-pied dans l’arène politique. Ce faisant, l’allié du Chérif de Nioro a levé toute équivoque sur ses ambitions personnelles et dit d’être motivé que par la seule volonté d’influencer les politiques publiques. «Je ne veux ni être roi ni faiseur de roi, je veux me battre pour la paix au Mali, a-t-il rassuré en indiquant n’être ni contre la France ou les USA, mais des comptes à régler avec ceux qui ont trahi le peuple malien. «C’est à eux que je m’adresse. Mon combat, c’est d’abord contre eux”, a déclaré l’imam Dicko très amer sur les péripéties ayant jadis jalonné la libération de soldats maliens à Kidal par les soins de l’ex-président du Haut conseil islamique du Mali. «…Nous avons fait libérer 160 soldats maliens, mais n’avons reçu la moindre lettre de remerciement de la part de notre gouvernement. De surcroît mon envoyé spécial, YacoubaSiby, à son retour avec les soldats libérés, a été pendant 48 heures détenu dans un lieu secret à Bamako. Au lieu de lui décerner une médaille on le met en prison. Il a fallu mon intervention pour qu’on le libère», s’est indigné l’Imam, qui pourrait savourer l’aboutissement d’un long processus d’affaiblissement du politique et de l’Etat laïc.
Déclenché en 2002 avec les collusions entre le candidat IBK et le monde religieux, le phénomène atteint sa vitesse de croisière avec l’échec du Code de la Famille et le délitement progressif conclu avec une démystification définitive du pouvoir politique par la junte, non sans la caution plus ou moins active du monde religieux et de leurs alliés politiques tapis dans l’ombre. Lesquels bénéficieront de leur précieux apport aux élections générales de 2013, mais par mégarde quant à la portée insidieuse d’un pacte qui va obliger l’actuel locataire de Koulouba à se déclarer publiquement redevable aux associations musulmanes de son accession à la magistrature suprême. Sa reconnaissance à un prix, qui va se payer par une effroyable difficulté d’affranchissement de l’action gouvernementale du joug de la religion dominante, avec en toile de fond l’effort de se distinguer des pouvoirs précédents par la une permissivité à leur endroit. Aucun confort n’est refusé aux leaders religieux : de la générosité débordante aux événements religieux à l’obséquiosité protocolaire en passant par le privilège d’envahir l’espace médiatique par la création massive de canaux susceptibles de servir à l’épanouissement de l’islam militant et au contrôle de l’opinion au grand dam du pouvoir politique.
Ce faisant, les pouvoirs auront été manifestement pris dans leur propre jeu et rattrapés par leur candeur de compter sur la manipulation d’un milieu tout aussi avide de pouvoir. Comme il est loisible de le comprendre, en effet, la vague destructrice de Mahmoud Dicko épargne peu d’acteurs politiques, dont le salut ne peut résider que dans un élan de cohésion autour des principes. Or rien n’est moins sûr, à en juger par la posture de chefs de partis rivalisant d’intérêt pour le CMAS, avec l’espoir des uns de bénéficier aux dépens des autres des bonnes grâces des leaders religieux. En définitive, après avoir profité des incompatibilités infantilisées entre les politiques pour voir le jour, l’islam politique pourrait bien profiter de ce même syndrome pour prendre de l’envol.
Amidou Keita