Au bout d’un voyage en taxi-brousse d’environ 210 km à travers la savane, nous voilà enfin arrivés à Nyamina. Nyamina, un haut lieu de la culture maraboutique au Mali, la Cité des 313 saints et des connaissances ésotériques.
Elle a été fondée par un certain Nyami Sako, l’ancêtre de Soumana Sako. A l’entrée même de cette bourgade de 5 000 âmes se trouve le quartier de Gwénikan appelé aussi Sokoura.
«C’est ici chez Lassana Berthé». «Et le voilà lui-même assis», nous fit savoir le «locataire» Oumar Sissoko dit Lalla. En effet, un passage d’une centaine de mètres mène à une porte qui fait découvrir le maître des lieux assis sur une chaise, faisant face à la route dans son immense patio.
Un domaine à faire pâlir de jalousie les Bamakois, condamnés à vivre dans la promiscuité, faute d’espace vital. La soixantaine passée, taille moyenne, visage ascétique et impassible, rien n’indique chez lui, cependant, le grand maître des secrets du Coran et des connaissances ésotériques, en somme «le tireur d’élite» dépeint par le «locataire» Lalla.
Avare en paroles, Lassana Berthé, par bribes, raconte comment il a acquis ses connaissances. Sans négliger ses efforts personnels de recherche, il tient l’essentiel de sa «science» d’une longue lignée d’imams, car si Nyamina fut fondée par les Sako, l’imamat a toujours été assuré par les Berthé.
Parmi les illustres imams et ancêtres de Lassana Berthé, figure en bonne place, Amara Berthé. Sa puissance était telle que tout être humain qui se hasardait à se mettre au travers de sa route, même à une distance de 100 mètres, avait tout le loisir d’aller le raconter dans l’autre monde.
De même, il possédait une lance qui, pointée sur tout être vivant, qu’il soit animal ou humain, à une certaine distance, avait le pouvoir de l’envoyer ad patres. Les moustiques et autres mouches qui se posaient sur lui mouraient automatiquement. En retour, ses enfants étaient régulièrement massacrés en bas âge par ses propres génies.
Il en perdit 32, selon Lassana Berthé. Il en fut profondément meurtri. Amara Berthé prit ainsi conseil auprès d’un autre célèbre marabout de l’époque, en l’occurrence Sirablen Karamoko, celui-même grâce à la protection occulte de qui Bakaridian vainquit Bilissi. Cet épisode est bien connu dans l’histoire du royaume bambara de Ségou.
Sirablen Karamoko lui conseilla de diminuer la puissance de son «Hidjab» et lui donna en mariage l’une de ses filles. De cette union naquirent deux enfants, les ancêtres mêmes de Lassana Berthé.
Un autre ascendant de Lassana Berthé, imam lui aussi de son état, n’était autre que Soumana Berthé dit Falo Karamoko, qui assura, par ses pouvoirs mystiques, la protection du village de Kana face à ses agresseurs, prêts à le tailler en pièces. En l’occurrence, il le leur fit perdre la vue pendant tout le temps que dura leur tentative d’agression. Parmi les plus dangereux, figurait aussi Youssouf Berthé dit «Bérétigui».
C’est de ces ancêtres que Lassana Berthé tient ses pouvoirs. Des connaissances ancestrales jalousement gardées, sous forme de manuscrits, des secrets du Coran qu’on ne trouve nulle part ailleurs dans le monde.
Pour lier l’acte à la parole, le maître des lieux a eu l’obligeance de nous montrer un de ces manuscrits: un exemplaire du Saint Coran entièrement écrit des mains de l’imam Soumana Berthé, d’une rigueur et d’une beauté calligraphiques à vous couper le souffle.
Dans le domaine de Lastral, autrement appelée Bâtinouh, science tournée exclusivement vers la connaissance des secrets du Coran, en opposition au «Bayanih» ou «Zaria», l’enseignement pur du Coran à travers les prêches, les manuscrits de Nyamina n’ont rien à envier à ceux de Tombouctou, la Cité des 333 Saints.
Le nombre de ces précieux manuscrits qui lui furent transmis par ses ancêtres totalise 200. Il y en a un peu de tout: qu’il s’agisse du «Kimiaou» de Moïse, qui permit à ce prophète d’enrichir Karna de façon incommensurable, avant qu’il ne le maudisse après, du «Sayefi», de «Inalkawma», qui recèlent de puissants secrets de protection et de désenvoûtement, du «Moba», du «Toukouni», du «Konina», du «Kon-Sofon» ou du «Shirli»…
Pour Lassana Berthé, c’est dans ces anciens livres que se trouvent les vrais secrets et tout ce qui est nouveau n’est que pures balivernes. Des documents écrits il y a souvent 300 ans, mais dont l’origine repose sur des textes millénaires, voire multimillénaires. On y trouve, pêle-mêle, des Douas, des Khawatims (carrés magiques) des Ayats, de l’histoire, des Nafilas…
Lassana Berthé raconte que c’est grâce à un «Hidjab» qu’il avait offert à l’un de ses neveux, militaire de son état, que ce dernier, à l’occasion de la fameuse bataille de Konna, parvint à «refroidir» 17 assaillants, s’en tirant lui-même sans la moindre égratignure.
Au nombre des 200 manuscrits, le livre intitulé «Mille questions du Nazarah à Aliou Badra». Dans ce livre, Aliou, le compagnon et nom moins neveu du Prophète Mohamed (PSL), connu pour l’immensité de son savoir, répondit à un Chrétien qui lui posa mille questions.
Au nombre de celles-ci: quelle est la chose la plus énorme au monde? «Le mensonge» répondit Aliou. «Quelle est cette chose qui regarde Dieu, mais qu’Allah ne peut jamais voir?». «C’est la face du mécréant» fut la réponse d’Aliou Badra.
On y trouve également le sens du braiement de l’âne et celui du chant du coq, suivis de précieux conseils. Ainsi, chaque fois qu’un âne braie, c’est qu’il sent la présence de «Satan». A ce moment, il y a lieu de prononcer la formule consacrée: «Aouzou Billahi Mina Chéïtani Radjimi», afin d’éloigner de soi cet ennemi de Dieu.
En revanche, chaque fois qu’on entend, à l’aube, le chant du coq, c’est le moment idéal pour adresser ses vœux au Seigneur, lesquels vœux ont les plus grandes chances d’être exaucés.
Parmi également les manuscrits détenus par Lassana Berthé, on trouve aussi le «Dala-il Khayrat», «Les signes des Bienfaits», résumé en seulement … trois pages. Selon Lassana, une seule lecture de ce Dala-il Khayrat vaut … 3 000 lectures du Dala-il Khayrat classique.
Il soigne les maladies à l’aide du Coran et des plantes
Dieu a 1 000 noms, répartis entre les 4 livres révélés, à savoir la Thora (Tawréta en bambara) révélée à Moïse (300 noms), le Lingila révélé à Jésus Christ (300 noms), le Livre des Psaumes (Zabourou) révélé à David (300 noms) et le Coran, révélé à Mohamed (PSL), soit 99 noms. Le seul nom restant, il faut le chercher dans le Livre d’Ibrahim, assure Lassana Berthé.
Les 99 noms de Dieu contenus dans le Coran ne sont pas exploités par les hommes à bon escient, a fortiori, Lassana Berthé se dit convaincu qu’on ne peut pas connaître les secrets du Coran et demeurer pauvre.
Le marabout de Nyamina se dit fier d’être, avant tout, un cultivateur, comme peut en témoigner éloquemment un grenier trônant dans sa cour. Lassana Berthé fait tous les travaux des marabouts: prospérité, protection, recherche du pouvoir, consultations sur des préoccupations ponctuelles. Il maîtrise aussi la géomancie arabe, laquelle science a été, au demeurant, révélée au prophète Idrissa…
Mais, avertit-il, il n’est pas un marabout bana-bana, car, étant sûr de l’efficacité de sa science, ses services sont chèrement rétribués. Ses clients se recrutent même en dehors du Mali: Afrique centrale, au Gabon par exemple, en Autriche, au Brésil, en Hollande, en France…
Par le passé, ne s’improvisait pas marabout qui le voulait. En ces temps farouches, les secrets étaient livrés à prix d’or, au propre comme au figuré. En effet, il fallait débourser souvent 100 mitqals d’or, des dizaines de têtes d’animaux ou même des dizaines d’esclaves, selon la valeur de l’arcane.
Autre legs hérité de ses ancêtres, Lassana Berthé soigne les maladies par le Coran et les plantes. Toutes les maladies internes y passent pratiquement, maladies qu’il regroupe sous le vocable générique bambara de «Nakôrôtchien»: paludisme, constipation diabète, hypertension, maladies hépatobiliaires, règles douloureuses, ulcères d’estomac, pour ne parler que des plus courantes.
Il soigne également les maux de têtes, naturels ou causés soit par Satan soit par les djinns. Sur ce plan, l’Etat gagnerait à l’approcher, pour voir dans quelle mesure il pourrait l’amener à contribuer à l’amélioration de la santé publique des Maliens.
Yaya Sidibé