L’élection présidentielle du 29 juillet, ses péripéties et ses vicissitudes installent le Mali sur une corde raide et embrument davantage son destin.
Un pays aussi fortement fracturé voire déchiqueté peut-il être – sans risques fatals – le réceptacle d’une compétition électorale qui craque et craque encore sa cohésion déjà en lambeaux ? Les appréhensions lourdes d’angoisses des observateurs ont pris progressivement corps, au fil du vote déjà saboté sur une grande partie du territoire et prochainement contesté dans les états-majors des Partis politiques. Une évolution post-scrutin susceptible d’engloutir les débris du Mali dans les eaux du fleuve Djoliba qui rappellent les sinistres flots du Triangle des Bermudes (une portion de la mer des Caraïbes) où nombre de bateaux et d’aéronefs ont brusquement et mystérieusement disparu. Le décor est planté. La quintessence mal cachée du programme d’Ibrahim Boubacar Keita (IBK) est de briser, à tout prix, le destin présidentiel de Soumeyla Cissé ; tandis que « l’enfant de Niafunké » joue, à 68 ans, son va-tout. Les Cassandres et les oiseaux de mauvais augure séjournent au Mali.
Les sources maliennes et diplomatiques de Dakaractu ne chôment pas. Des avalanches d’informations tombent comme des pluies drues. Quarante-huit heures avant le scrutin (vendredi 27 juillet), un avion a atterri sur l’aéroport de Bamako-Sénou. Son gros ventre a craché des équipements anti-émeutes. Le 29 juillet (jour du vote), nombre d’électeurs du cercle de Bandiagara n’ont pas accompli leurs devoirs civiques. Des écoles abritant des bureaux de vote ont été brûlées, tout comme des archives, des urnes et des isoloirs été détruits par des bandits armés qui ont pris position dans la forêt jouxtant la commune. Dans la région de Tombouctou – plus exactement dans la préfecture de Gourma-Rharouss – les urnes ont été enlevées par des éléments « estampillés MNLA ». A Douentza, la ville natale de l’ex-Président du Parlement de la CEDEAO, Ali Nouhou Diallo, les agents électoraux sont bloqués par l’insécurité qui empêche leur déploiement hors de la commune. Un périmètre communal qui, lui, est sécurisé par un lourd détachement de la Garde nationale. Ailleurs, une violente attaque djihadiste a ciblé le bureau de vote d’une bourgade située à 45 km de Niono, sur les terres fertiles de l’Office du Niger, l’équivalent de la SAED chez nous. Arrêtons la litanie d’inquiétantes nouvelles et constatons que l’orgie de violences est la traduction meurtrière du communiqué menaçant ouvertement endossé par le chef du GSIM, l’islamiste touareg Iyad Ag Ghali dont la capacité de nuisance n’est pas en baisse. Bien au contraire.
A cette cette situation si dangereusement fluide sur le terrain des opérations électorales, correspondent un climat politiquement pesant dans les directoires de campagne, des crispations croissantes au sein des alliances en compétition et, bien entendu, un regain de vigilance parmi les succursales de la communauté internationales au Mali : MINUSMA, BARKHANE, UA (représentée par Pierre Buyoya), UE etc. A juste raison ! Car, en dépit des contacts et des conciliabules, la suite s’annonce plus orageuse que printanière. En effet, le débat fut houleux entre le Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga et les candidats, peu de temps après la clôture de la campagne électorale. Les candidats anti-IBK ou leurs représentants ont suspecté l’existence de deux fichiers parallèles dont l’un est forcément erroné. La communauté internationale – témoin et facilitatrice de l’entrevue dans les locaux de la Primature – a tempéré les vifs échanges, tout en reconnaissant que le fichier (sans être double) renferme des insuffisances en voie de correction.
La communauté internationale, en tant que sapeur-pompier, suffit-elle pour enrayer le potentiel de feu qu’allumeront les étincelles du dépouillement et, surtout, la mèche de la proclamation des résultats par la Cour Constitutionnelle ? La réponse est : non. Puisque la voix de l’Eglise du Mali a résonné à travers cette bribe d’homélie du Cardinal Jean Zerbo, archevêque de Bamako : « Les Maliens n’ont qu’un besoin, c’est la paix. Nous ne devons pas détruire nos facteurs de cohésion sociale et nos liens de fraternité au profit de la politique ». Malgré les gages donnés et les exhortations entonnées, des apprentis-sorciers (présents dans les deux camps en compétition) caressent la folle idée de gagner au premier tour, alors que la physionomie de la campagne électorale et la difficulté de l’équation malienne excluent tout passage en force qui mène tout droit dans le mur la désintégration parachevée du Mali. Déjà, en 2013, la victoire – même large du candidat Ibrahim Boubacar Keita – avait nécessité un second tour. En cette année 2018, avec un bilan en demi-teinte et, au vu des deux poids mi-lourds que sont Cheick Modibo Diarra et Aliou Boubacar Diallo, le Président IBK est dans l’impossibilité d’effacer le populaire Soumeyla Cissé, dès le premier choc dans les urnes. L’autre rêve fou et fatal, entretenu par les extrémistes de l’opposition, est la certitude de battre un chef d’Etat africain en exercice (doté de moyens et de relais), à l’issue d’un seul tour. Très rare ! C’est habituellement au deuxième tour qu’un Président s’affaisse en Afrique.
Il est donc presque sûr et grandement souhaitable que le dépouillement accouche d’un ballotage. Un signe de vitalité démocratique qui ouvre la porte au jeu décisif des alliances et du resserrement ultime des soutiens. Les fameuses combinaisons. Dans le contexte malien, la réalité peut dépasser le schéma et bousculer le scénario. Tellement l’élite (civile et militaire du pays) se distribue entre des pôles d’intérêts aux soubassements particulièrement opaques et des sources d’influences à mille lieues des programmes présentés aux électeurs. De prime abord, le scientifique Cheick Modibo Diarra (époux d’Assa Traoré, la fille du Général Moussa Traoré) ne ralliera pas Soumeyla Cissé qui n’est pas le candidat de son célèbre beau-père. Il s’y ajoute que Cheick Modibo Diarra (CMD), ancien Premier ministre (station jamais occupée par Soumeyla Cissé) refusera tout portefeuille ministériel. Prestigieux soit-il ! En revanche, chez IBK, CMD peut – en contrepartie de ses voix – être placé à la tête du futur gouvernement ou élu Président de la future Assemblée nationale. L’actuel Président du Parlement, le vieux douanier Issaka Sidibé (sa fille est l’épouse du fils d’IBK), cèdera volontiers le fauteuil. Même chose pour les « Petit Poucet » du scrutin, comme Housseini Guindo et Kalfa Sanogo. Le premier est un ancien ministre d’IBK qui reviendra au bercail de Koulouba, en cas de ballotage. Le second (un dissident du Parti ADEMA) est un ancien directeur de la CMDT (l’équivalent de la SODEFITEX au Sénégal). Kalfa Sanogo est, aussi, un fils de Sikasso, une ville acquise au parti RPM d’IBK. Cependant le flou total entoure les postures incertaines mais décisives de deux autres poids mi-lourds : Modibo Sidibé ex-Premier ministre du Président ATT et le milliardaire Aliou Boubacar Diallo dont on murmure qu’il a le soutien d’Amadou Kouffa, le fondateur du Front de Libération du Macina, la phalange islamiste peule qui diffuse l’insécurité dans la région de Mopti.
Enfin, la mère des énigmes demeure la position de la France que les successives opérations SERVAL et BARKHANE installent au cœur des enjeux électoraux et post-électoraux du Mali. Comment et en faveur de qui, Paris « vote » ? Gros mystère qui découle du credo inoxydable de la politique française en Afrique. Laquelle est ainsi résumée par un vieux cheval de retour de la scène politique centrafricaine, le Professeur Henri Maïdou : « La France flatte le Président, ménage l’opposant et aide le maquisard ». Les fameux trois fers au feu. Au Mali, Paris flatte le Président IBK, ménage l’opposant Soumeyla Cissé et aide le rebelle Bilal Ag Chérif, leader du Mouvement de Libération de l’Azaouad : le MNLA. Bref, c’est le brouillard. Néanmoins, on sait que les Présidents Aziz, Déby et Macron jugent le mandat écoulé d’IBK très épouvantable. A la veille de la campagne électorale, Paris Nouakchott et Ndjamena ont chassé le Général malien Didier Dacko du commandement de la Force G 5 Sahel. Une grosse et humiliante couleuvre douloureusement avalée par IBK. Aujourd’hui, l’Etat malien n’a plus de relais dans l’organigramme militaire du G 5 Sahel. L’armée malienne est commandée par des Généraux étrangers sur le sol du Mali. Si l’on voulait électoralement scier les jambes d’IBK, on ne s’y prendrait pas autrement.
Toutefois, le grand jeu de la France est projeté dans le futur immédiat. Si le chaos post-électoral se dessine, Paris sortira son joker : Boubèye Maïga. Un ami du ministre Yves Le Drian. Les deux hommes furent des collègues, en tant ministres de la Défense respectifs de leurs pays. Orfèvre du renseignement et longtemps patron de la Sécurité d’Etat (les services spéciaux du Mali) l’actuel Premier ministre d’IBK est également bien côté à Alger, l’autre capitale qui « vote » au Mali. Le père de Boubèye fut, en effet, le chauffeur du Commandant Abdelaziz Bouteflika, lorsque ce dernier dirigeait la Wilaya du Sahara (avec PC à Gao) durant la guerre de libération d’Algérie. Cela est une autre histoire sur laquelle nous reviendrons si les développements post-électoraux du Mali l’exigent. Enfin, l’autre arme anti-chaos dans la manche de la France, est le Général de brigade Moussa Sinko Coulibaly, ancien directeur du cabinet du chef de la Junte de 2012, le Capitaine Amadou Haya Sanogo. Récupéré et sauvé par les Français, le Général Sinko fut successivement Ministre de l’Administration territoriale et artisan de la victoire d’IBK en 2013 puis directeur de l’Ecole Militaire de Koulikoro. Aujourd’hui, il est un candidat sans illusions mais un Saint-cyrien précieux au cas où un coup d’Etat militaire anti-dislocation nationale devenait nécessaire. Une alternative – censée être salvatrice – bien rangée dans les cartons.
Dakar actu
(Par Babacar Justin Ndiaye)