L’Accusé sans nom est un essai qui s’inspire des riches mais douloureux événements de l’histoire récente du Mali. L’auteur n’a aucune prétention de se positionner en arbitre dans une situation où il n’est pas toujours aisé de reconnaître la bonne graine de l’ivraie. Il s’appuie souvent sur l’imaginaire populaire pour rapporter les ressentis et autres tentatives d’explication. Il espère bien que chacun y trouvera son compte. Pour davantage mieux penser notre destin commun, mais aussi panser cette plaie béante qui a besoin de se cicatriser. Et ce ne serait pas trop tôt. Bonne lecture!
Le Procès
Acte 1
-La cour, mesdames et messieurs !
-Le Président : Veuillez-vous asseoir, s’il vous plaît ! La séance est ouverte. Vous avez la parole, monsieur le Procureur Général.
-Le Procureur Général : Merci. Monsieur le Président, mesdames, messieurs les jurés, mesdames et messieurs, le procès qui nous réunit ce matin est le premier du genre dans notre pays, le Mali. Il s’agit de l’avenir de notre mère patrie qui, je ne vous apprends rien, traverse certainement la pire situation de toute son histoire, je dis bien de toute son histoire, ancienne et récente. Notre patrie n’a jamais été autant humiliée. La fierté qui nous animait tous, il n’y a pas encore longtemps, à l’évocation du seul nom de notre pays, s’est éteinte entièrement ou presque. Quel est aujourd’hui ce Malien qui ose encore se taper la poitrine pour revendiquer, clamer haut et fort sa « malianité » ? Si encore, il y a peu, nous avions le courage de rappeler la gloire de nos illustres ancêtres – et Dieu sait s’ils sont nombreux -, aujourd’hui, ceux-là d’entre nous qui osent encore le faire, le font certainement avec beaucoup moins de conviction. Car, ce faisant, ils se rendent compte de leur propre incapacité voire irresponsabilité à perpétuer cette vaillance séculaire et légendaire qui fut celle de nos ancêtres. Nombreux sont aujourd’hui les anciens, les plus âgés d’entre nous, qui se posent encore la question : « Qu’ai-je fait au bon Dieu pour mériter de vivre si longtemps et assister à l’humiliation quotidienne de ma chère patrie ? » En désespoir de cause, ils s’adressent à Allah, l’implorent : « Le Miséricordieux, fais en sorte que l’honneur de Maliba soit rétabli de mon vivant ! Sinon, rappelle-moi à toi le plus vite, afin que je ne puisse continuer à subir cette honte que les cadets nous imposent ! ».
Mesdames et messieurs, personnellement j’ai eu de chaudes larmes aux yeux en écoutant une sœur, malienne de père et guinéenne de mère, qui intervenait sur une radio de la place au moment où l’ennemi s’était emparé des deux tiers de notre territoire : « Eh…Est-ce le Maliba comme ça ? Est-ce ce pays dont les ancêtres ont tant fait la gloire de la race noire ? Est-ce le Maliba qui a illuminé le monde de son savoir, de sa culture, de sa bravoure ? Est-ce aujourd’hui le même Maliba dont les fils fuient devant l’ennemi ? Est-ce le Maliba qui ne compte plus que sur les autres pour sauver ce qui reste de son territoire, c’est-à-dire le tiers restant ? Bon Dieu, pourquoi m’avez-vous donné à vivre ces instants de honte ? » Et elle a pleuré, sincèrement et à chaudes larmes. L’animateur aussi ne pouvait plus se retenir. Et moi avec eux ; j’imagine même que beaucoup de mes concitoyens qui étaient à l’écoute ce jour-là, ont dû avoir des larmes aux yeux.
Oui, j’ai pleuré à chaudes larmes ce jour-là, mais des larmes bienfaisantes heureusement.
Ceci dit, chers compatriotes, l’heure est gravissime. Car, il s’agit, à partir de cet instant, de réussir ou périr, une question de vie ou de mort certaine. La mort n’est pas que physique ; elle aurait été d’ailleurs plus acceptable. Mais la mort qui est à nos portes, elle est morale. Et c’est celle-là la plus dure à supporter.
Mesdames et messieurs, vous n’êtes pas sans savoir le degré de déliquescence de notre patrie. Les politiques ont trahi le peuple ; les dirigeants pillent les ressources de l’Etat ; l’armée et les forces de défense et de sécurité n’existent plus que de nom ; la justice est corrompue ; l’école est en lambeaux ; les chefs de famille ont démissionné ; les leaders religieux ont vendu leur âme au diable ; la jeunesse est pourrie…Bref, aucun segment de notre société malienne n’est encore debout, véritablement fonctionnel. Pour reprendre le plus célèbre de nos comédiens, « Guimba National », « le seul pilier qui reste encore est le cousinage à plaisanterie… » Qu’il veuille bien m’excuser si je n’ai pas rapporté fidèlement ses propos. Décidément les artistes sont à la tâche ; ce qui me fait penser que tout espoir n’est peut-être pas perdu. Je me souviens, en effet, de certains mots d’une chanson de Rappeurs que j’ai écoutée au hasard, je ne me souviens pas exactement des termes employés, mais ce chanteur disait en substance que l’un des seuls élans de solidarité qui subsistent encore chez le Malien, c’est de dire : « Hé ! i ka calpiédjingui né do », littéralement « Ton cale-pied [pour les motos] est descendu ».
C’est vous dire, mesdames et messieurs, combien nous sommes tombés bas.
Après ce bref examen de conscience, mesdames et messieurs, nous allons procéder à l’audition des accusés. Il s’agit de tous ceux contre lesquels des plaintes ont été déposées, pour avoir contribué à l’effondrement de notre chère patrie. Elle est longue, la liste de tous ceux qui sont mis en cause. Ce sont toutes les composantes de la société malienne qui sont concernées…
-Le Président : A tout seigneur, tout honneur ! Actualité oblige, compte-tenu de la crise que traverse le pays, mais aussi du rôle joué par les Forces armées de défense et de sécurité, est appelé à la barre le Représentant de l’Armée. Est-il présent dans la salle ?
A suivre.
Sorry Haïdara.
Il faudrait être amateur dans la gestion des hommes et des sociétés pour se targuer à des affirmations aussi pessimistes que révélatrice de l’immaturité de son auteur.
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