La rue ; Un espace essentiel pour garantir la survie

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Au Mali, si l’en-dehors de la concession familiale rurale est un lieu riche en enseignement, la rue, en ville, structure autrement l’imaginaire collectif. La rue se présente de façon ambivalente.

Lieu d’activité pour la majorité des travailleurs du secteur informel, on y trouve toutes les corporations : mécaniciens, coiffeurs, restaurateurs, vendeurs ambulants,…La rue est pour eux l’espace des ressources économiques. C’est aussi, pour nombre d’élèves des quartiers non électrifiés, le lieu des lampadaires sous lesquels l’on vient apprendre les leçons pour préparer les examens. La rue est encore l’endroit où siègent les « Grin », là où les relations ne sont plus fondées sur la parenté, là où se tissent des solidarités nouvelles. Les manifestations de rue permettent aux hommes politiques de jauger non seulement leur capacité de mobilisation, mais aussi le degré d’attachement de la population à leurs revendications.

Dans certains quartiers populaires, la rue est parfois réquisitionnée par les habitants pour l’organisation des prêches, des funérailles et autres cérémonies de mariage ou de baptême. Pendant les 30 nuits du mois de Ramadan, certaines rues sont transformées en lieu de prières collectives. La rue, c’est aussi le lieu de déambulation de toutes les populations errantes: mendiants, handicapés, malades mentaux, etc. À ce titre, elle est, pour ces populations coupées d’une vie normale, un espace qui permet, qui oblige à maintenir un minimum de relations avec la société globale.

Cependant, à côté de ces aspects positifs, vivre dans la rue est aussi connotée négativement dans une société fondée sur la parenté. L’enfant (ou l’adulte) qui vit dans la rue, qui y mange et y dort, devient immédiatement suspect. En effet, comment comprendre dans une société où la parenté élargie a des droits et des devoirs envers les orphelins, les veuves, les cadets, que quelqu’un élise domicile dans la rue ?

Dans ce pays, l’individu se définit avant tout comme appartenant à une famille, à un lignage. La rupture d’avec la famille, dans la société traditionnelle, est très codée : elle équivaut soit au bannissement, soit à la segmentation. L’un et l’autre n’ont pas les mêmes conséquences : dans un cas, la coupure est radicale ; dans l’autre, les relais subsistent. Le droit d’hébergement n’est refusé que dans des cas bien précis. Vivre dans la rue affiche donc un statut d’illégitimité, fait planer la suspicion sur l’individu bien au-delà de la caractérisation de pauvreté. L’étiquetage « enfant de la rue » est donc largement rejeté par ces populations qui revendiquent avant tout d’appartenir à une famille, même quittée depuis longtemps. Être issu de la rue est infamant, car synonyme de naissance illégitime, d’absence de parenté, ou encore de bannissement.

Penser l’espace public – la rue – seulement comme lieu de désordre, c’est gommer le fait que, lieu de vie et d’échange, elle est aussi un lieu de socialisation. C’est un endroit où court la rumeur publique, où les nouvelles du monde circulent, où les jeunes échangent les petits trucs, les techniques, les savoir-faire professionnels…La rue reste l’ultime territoire que les jeunes peuvent investir pour garantir leur survie. C’est là qu’ils trouvent les clients, les mécènes, les compagnons…Penser à priori l’espace public comme lieu d’épanouissement de groupes « délinquants », c’est oublier que les délinquants les plus authentiques ne sont pas forcément issus des milieux les plus défavorisés ni des quartiers les plus pauvres… C’est aussi oublier que les jeunes sont en quête de solutions constructives et manifestent une ferme volonté d’intégration au regard des valeurs de leur groupe, bien avant de se positionner comme contestataires ou opposants aux valeurs sociales globales.

Inna Maïga

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