Les autorités viennent d’accorder un nouvel ultimatum, après celui non respecté du samedi 08 février, aux vendeurs ambulants qui occupent anarchiquement les trottoirs et certains espaces où ils ne sont pas autorisés à mener leurs activités. Ainsi, au plus tard le 17 de ce mois, ils doivent s’exécuter.
Les autorités actuelles ne sont pas les seules à s’être attaquées à cet épineux problème, et comme les autres, elles pèchent par le manque d’alternative, la solution de rechange, laissant, semble-t-il, cette décision aux municipalités. Et c’est justement cela qui suscite actuellement des interrogations sur la décision du gouvernement de faire déguerpir des vendeurs auxquels aucune alternative est proposée. Pourquoi est-ce aux municipalités de faire appliquer cette mesure ? Le moment est mal ou bien, selon le côté où l’on se trouve. En effet, le pays se dirige tout droit vers les élections municipales, chainon manquant au prétendu retour à l’ordre constitutionnel. Le RPM ne veut pas interrompre son élan qui le pousse au contrôle total du pays. Exclu également des municipalités, le parti présidentiel fera tout pour contrôler le maximum de communes, et damer définitivement le pas à ses deux grands rivaux, l’Adema et l’URD. La meilleure manière pour le pouvoir est de pousser les municipalités actuelles à un suicide politique collectif. Car il ne s’agit ni plus ni moins que de pousser les municipalités à prendre la décision la plus impopulaire en cette période préélectorale.
Les vendeurs visés par cette mesure proviennent pour la quasi majorité des zones rurales, d’où ils sont partis, faute de perspective. A défaut de faire fortune, et ne gagnant pas grand-chose, ils parviennent quand même à participer à la survie de parents, tantes, oncles, sœurs, frères, cousins, cousines, neveux et nièces restés au village où ils vivent dans la précarité et le dénuement. A 90% vivant d’activités agro-sylvo-pastorales, ils ont été contraints à l’exode. Parce que les aléas climatiques ne leur laissent guère d’assurance. Parce que leurs terres sont sans cesse accaparées pour des raisons diverses. Parce qu’ils sont expropriés de leur terroir sur lequel poussent des programmes immobiliers. Parce qu’ils sont obligés de travailler pour des propriétaires terriens qui ne connaissent rien aux activités agricoles. Parce qu’ils ont difficilement accès à la terre. Parce qu’ils ne bénéficient pas de l’aide adéquate de la part des pouvoirs publics. Alors, ils n’ont trouvé pour seuls refuges que les grandes villes où ils triment pour assurer leur survie.
D’année en année, ils sont de plus en plus nombreux, des dizaines de milliers, notamment dans la capitale. Formidable bétail électoral, on leur a promis monts et merveilles, il y a juste quelques mois, lors des campagnes présidentielles et législatives. Et au lieu de tenir les promesses de campagne, on leur demande de s’inscrire au chômage définitif et de suspendre toute activité génératrice du minimum vital.
Mais si l’exécution de cette mesure est suicidaire pour les maires et les conseillers municipaux actuels, elle ne sera pas sans conséquence pour le gouvernement en place, car cette décision de déguerpissement est avant tout une mesure gouvernementale. Et dans son programme de gouvernement, le président de la République a certainement la solution à ce problème. Pourquoi n’avoir pas commencé à l’appliquer dès sa prise de fonction ? Pourtant, il connait assez bien le problème pour avoir siégé à l’Assemblée nationale pendant plus de dix ans. Notamment, quand il juchait sur le perchoir, c’est à son ordre que les abords du parlement ont été dégagés à plusieurs reprises mais réoccupés à chaque fois. Cette insistance des vendeurs ambulants à occuper les alentours de l’Assemblée nationale aurait dû lui faire comprendre que le siège de cette institution se trouve en fait dans un vaste espace commercial et des affaires, dans un quartier populaire proche de celui de Bozola réputé être le centre des affaires.
Aujourd’hui aux affaires, il a pris soin de créer un ministère chargé de la politique de la ville. Alors, au lieu de nettoyer les abords du parlement parce que ses députés y sont les plus nombreux, il ferait mieux d’envisager de déplacer le siège de l’Assemblée nationale ailleurs que dans cet endroit populeux. Et de faire de la zone ce à quoi elle est véritablement destinée : un centre commercial.
Dans des pays voisins, il y a eu des précédents mais, là, les gouvernants avaient pris des mesures d’accompagnement. Comme de trouver de nombreux emplacements aux déguerpis après s’être montrés fermes dans l’application de la mesure. Ces gouvernements prévoyants ont également eu les arguments nécessaires à opposer à ceux des déguerpis dont ils avaient pris le soin d’en faire des interlocuteurs à l’écoute. Ainsi, quand le vendeur soutient qu’il ne peut avoir de client que sur le trottoir ou dans des endroits où il n’est pas autorisé à exposer ses marchandises, on lui a fait comprendre que l’acheteur ira n’importe où, s’il est assuré de trouver ce qui fait son affaire. Même cas au Mali. Pour preuve, les acheteurs quittent les quatre coins de Bamako pour se rendre au Marché rose, au Dibida, au Dabanani, au marché des artisans ou au marché de Médine. Le cas le plus emblématique est celui des Halles Félix Houphouët-Boigny, sis en Commune VI. Ce centre commercial a longtemps été boudé par les marchands sous prétexte qu’il était loin du centre-ville, que les taxes municipales étaient élevées, que les stands coûtaient chers. Et quand, n’ayant pas d’autre solution, ils ont occupé ce marché, ce sont les clients qui se sont fait rares avant de comprendre que, eux non plus, n’avaient pas d’autre solution que d’aller aux Halles où ils seront autant servis que dans les marchés du centre-ville. Aujourd’hui, ce marché est bondé et chacun y trouve son bonheur. Alors pourquoi ne pas multiplier les exemples, en prenant soin d’instituer des taxes modérées et de céder les stands et les boutiques à des prix accessibles à tout le monde, éviter la spéculation et la surenchère dans l’octroi des places ?
En s’engageant à cela dès maintenant, le parti présidentiel fera d’une pierre deux coups : couler les bureaux municipaux actuels, occuper leurs places à la faveur des prochaines municipales. Mais ce calcul a sans doute déjà été fait et est en cours d’exécution.
Cheick TANDINA
Bamako va enfin pouvoir réspirer…
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