Trois syndicats de la justice, qui désapprouvent les méthodes du ministre de la Justice, s’engagent désormais à lui rendre coup pour coup. A la guerre comme à la guerre.
Le Syndicat autonome de la magistrature (Sam), le Syndicat libre de la magistrature (Sylima) et le Syndicat autonome des greffiers, secrétaires de greffes et parquets (Synag) étaient le 1er mars 2014 face aux journalistes à la Maison de la presse. Ils ont parlé de la situation de leurs doléances avant d’annoncer qu’ils font désormais front commun contre le garde des Sceaux, ministre de la Justice, Me Mohamed Ali Bathily, pour ses “sorties intempestives” et “malencontreuses” contre les acteurs de la justice.
Issa Traoré du Sam, Adama Yoro Sidibé du Sylima et Hadia Dioumassy du Synag étaient les interlocuteurs de la presse. L’objet de la rencontre avec les hommes de médias était de présenter les points d’insatisfaction des magistrats depuis 2007 et donner la position des syndicats de la justice relativement aux questions d’actualités dans la famille judiciaire.
Pour les doléances, les magistrats à travers leur cahier exigeaient la relecture de leur statut et la prise par le gouvernement des différents textes d’application de ce statut. Les magistrats sont au regret de constater que depuis 2002, près d’une dizaine de textes règlementaires attendent d’être pris par le gouvernement pour l’application de la loi n°02-054 du 16 décembre 2002 portant statut de la magistrature. Ces textes visent notamment : le plan de carrière, la composition du costume d’audience des magistrats, les modalités d’installation des chefs de juridiction et de parquet, les autorités chargées de la notification, etc.
Les magistrats se plaignent du fait qu’il existe dans les divers textes de la République un trop grand nombre de dispositions qui fragilisent le pouvoir judiciaire face au pouvoir exécutif, ce qui explique l’instrumentalisation de la justice par les politiques. “Les règles fondamentales qui régissent leur rapport sont allègrement contournées, bien des fois brutalement violées (principes d’inamovibilité et d’indépendance)”.
Les questions d’actualité concernaient le ministre Mohamed Ali Bathily. Pour les syndicats, depuis son arrivée, il y a eu une brusque montée de fièvre. “On ne cesse de clamer qu’il s’agit là de la mise en œuvre d’une politique hardie de lutte contre l’impunité, la corruption et la mal gouvernance. Vivement si c’est vraiment de cela qu’il s’agit”, a souligné le président du Sylma, Adama Yoro Sidibé.
Les syndicats se disent perplexes face à certaines méthodes peu orthodoxes qu’ils observent malheureusement dans le traitement de certains dossiers impliquant des magistrats et cette “espèce d’avalanche” de “mots assez durs dans les médias par le ministre”. De ce fait, ils ont tenu à faire connaître leur position.
Des lignes jaunes franchies
Les syndicats de la justice, au regard des dispositions pertinentes du code de procédure pénale, expriment leur incompréhension relativement aux mandats de dépôt décernés contre les camarades. Il s’agit de 4 magistrats, un greffier et un clerc d’huissier. Pour eux, à la lecture du droit notamment les articles 122 et 1223 du CPP, les mandats de dépôt ne s’imposaient pas. Aussi, les trois syndicats regrettent le non-respect par le garde des Sceaux de la présomption d’innocence dans cette affaire quand il affirme que “c’est des magistrats qui ont dépouillé un vieil homme aveugle de 56 bovins”.
Les syndicalistes regrettent vivement la non-tenue à la date de la 1re session de la Cour d’assises. Une session qui devrait s’ouvrir normalement le 24 février 2014 et s’étaler sur 21 jours au cours desquels 120 affaires devraient être jugées. “Au temps du ministre Malick Coulibaly, le Mali s’était inscrit dans la tradition des bonnes pratiques en matière criminelle”, ont-ils précisé.
Les trois syndicats déplorent également le ton va-t-en-guerre du ministre chaque fois qu’il est dans les médias. Des sorties médiatiques teintées de menaces parfois comme ces propos tenus dans le journal “Le Sphinx” sur l’affaire Adama Sangaré du genre : “Le mardi, je ne voudrais pas que le procureur qui est en charge de son dossier me dise qu’il n’est pas en prison. S’il n’est pas en prison, c’est le procureur qui y irait pour recel de délinquants. C’est moi qui le ferai poursuivre pour recel de délinquant et lui y ira. C’est clair”. Plus loin dans le même article, le ministre dit “j’ai demandé que la Sécurité d’Etat surveille tout magistrat en charge des dossiers”.
A ces propos ministériels, les syndicats répondent : “Nous disons oui à l’assainissement de la justice. Nous sommes prêts à jouer notre partition dans cette entreprise de salut public. Mais nous disons aussi halte Gestapo ! Nous estimons qu’on n’en a pas besoin pour la prise et la mise en œuvre des mesures d’assainissement du monde judiciaire. Ces magistrats et ces greffiers, en corps, voués aux gémonies, sont quand même ceux qui rendent la justice dans notre pays. Il n’est pas envisageable qu’on ne compose pas avec eux. En parlant d’eux, surtout devant les partenaires étrangers, il est important que le ministre intègre la règle de l’indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis de l’exécutif. Quelque ministre de la Justice qu’il soit, il est un membre de l’exécutif, et à ce titre, il lui est interdit de s’immiscer dans les affaires judiciaires”.
Pour les syndicalistes, en allant dire à Bruxelles, devant des partenaires étrangers, qu’il a fait mettre des magistrats en prison, le ministre Bathily crée le trouble chez ses interlocuteurs et dessert le Mali. Car, alors, on se dit “Ah bon, au Mali un ministre peut faire mettre quelqu’un en prison ! La justice n’est donc pas indépendante ! Méfiance, méfiance…”. Voilà la consigne qu’on fera passer, soulignent les syndicats.
Les syndicats de la justice déplorent le fait que le ministre ait tenu publiquement des propos inexacts comme : “A chaque fois qu’on touche à un magistrat, c’est des menaces de grèves. Qu’ils aillent en grève !” (“Le Serment” n°004 du 18 février 2014). Ils rappellent que de mémoire de syndicalistes, jamais une poursuite engagée contre un magistrat ou un greffier au plan disciplinaire, pénal ou civil n’a été suivie d’une quelconque menace de grève.
Le procureur de la Commune III encore appelé procureur anti-corruption a-t-il réellement démissionné ? Pour le magistrat Dramane Diarra, c’est un faux débat puisque le procureur général, Daniel Tessougué a dit qu’il n’a pas démissionné. Mieux, Mohamed Sidda Dicko continue de travailler comme si rien n’était.
C’est à la guerre comme à la guerre !
Abdoulaye Diakité