La charte du Mandé est mise à mal

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La tradition orale a porté jusqu’à moi la grandeur de l’empire du Mali et les fondations que Soundjata KEITA décida pour le Mandé : l’entente et la concorde, l’amour, la liberté et la fraternité.

Depuis la grande fête à Kouroukan Fougan, la société malienne est organisée. Chacun veille sur son prochain, «entretient» et pourvoit aux besoins des membres de sa famille. Chacun sait que toute vie humaine est une vie, qu’aucune n’a jamais été supérieure à une autre, que nul ne doit causer du tort à son prochain, que nul ne peut martyriser son semblable et que tout tort causé à une vie exige réparation. Chacun veille sur le pays de ses pères.  Voilà, pourquoi, la situation qui prévaut dans les régions du nord depuis bientôt un an et les souffrances physiques et morales qu’endurent les populations restées sur place forment une immense plaie qui se creuse de jour en jour dans l’âme de chacun des Maliens, car, depuis longtemps, toutes les femmes et tous les hommes du Maliba disposaient d’eux-mêmes et étaient libres de leurs actes.

 Comment de tels bouleversements ont-ils pu survenir ?

Personne ne peut nier que la pauvreté, les difficultés environnementales, les narcotrafics et le commerce illégal des armes dans le silence assourdissant des institutions sont les facteurs majeurs qui ont favorisé la déstabilisation du septentrion. Mais il faut voir plus loin encore et ne pas occulter l’origine réelle des difficultés économiques du peuple malien qui fait le constat amer que malgré les richesses naturelles nichées dans le sous-sol, le Mali est classé parmi les pays les plus pauvres du monde. Le voile des indépendances en Afrique a été jeté sur l’asservissement des peuples mais n’a pas stoppé l’extractivisme qui a rendu possibles la révolution industrielle, puis la croissance rapide du commerce de l’Occident. Un demi siècle d’organisation de la corruption, d’élimination des dirigeants récalcitrants, de complaisance et de cupidité ont permis l’augmentation du flux des matières premières vers le Nord et creusé le nid du colonialisme néolibéral partout sur le continent.

Aujourd’hui, au Gabon, au Mali, au Niger, au Nigeria, en RDC, pour ne parler que de ces pays-là, l’or, l’argent, le pétrole, le gaz, le diamant, le cuivre, le manganèse, la bauxite, le coltan, l’uranium et même les nappes phréatiques et le soleil sont au cœur des convoitises pour assurer des profits gigantesques aux multinationales. Le contexte mondial accélère ainsi la recolonisation économique qui est largement soutenue par les accords signés entre les entreprises étrangères et les décideurs locaux qui permettent l’exploitation des gisements connus et l’exploration de nouvelles possibilités sans que les populations locales qui les extraient à la sueur de leurs fronts n’en récoltent la moindre amélioration sociale et économique alors qu’ils en subissent tous les maux environnementaux. Et pourtant, l’essence de l’esclavage est officiellement éteinte depuis longtemps, comme le déclarait déjà cette charte africaine, digne ancêtre de la déclaration des droits humains. Et si le sous-sol du septentrion s’avérait être intéressant, il n’y aurait qu’un pas à franchir pour comprendre que certains souhaitent profiter du désordre pour mieux s’y installer ensuite.  Les fiers chasseurs du Mandé déclareraient qu’il faut le crier aux oreilles du monde tout entier, car tel était leur serment.

Françoise WASSERVOGEL

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