Un an après l’enlèvement du juge Soungalo Koné, comment marche le tribunal de Niono

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Le juge Soungalo Koné

Le soleil peine à se lever ce mardi 11 décembre sur la ville de Niono. Une brume épaisse enveloppe le Quartier administratif. Le concert matinal de nombreux oiseaux qui gazouillent sur des arbres coloniaux de la Cité du Kala rappelle à certains que, bientôt, c’est l’heure du travail. Le Tribunal de Niono est encore désert. Comme chaque jour, depuis que son président a été enlevé ce 16 novembre 2017.

Comme chaque jour, encore plus, quand les magistrats maliens sont allés en grève illimitée, ce 3 août 2018. Avant de suspendre le débrayage courant novembre. Les fidèles de ce vaste bâtiment, réceptionné et employé en 2015, depuis que la Justice de paix à compétence étendue de Niono a laissé place à un tribunal d’instance, sont néanmoins là, à l’heure du travail. Malgré le tableau des rôles (tableau d’affichage) qui trahit pourtant ! Il n’est pas à jour, certes (des rôles de janvier & février 2018 notamment), mais en dit néanmoins long sur le processus irrégulier de l’animation de cette juridiction.

Deux gardes dont les apparats semblent dissuasifs contrôlent l’entrée et l’intérieur du bâtiment ; une secrétaire qui fait office de greffier ad hoc, est là, toujours présente ; un autre, Elie Togo, imbibé, comme jamais, dans la population locale, est comme un vaguemestre si on comparait ce tribunal à une garnison militaire ! Les autres, ce 11 décembre ?

Le président du tribunal, Soungalo Koné, est depuis un an, jour pour jour, aux mains de ses ravisseurs proches du prédicateur Amadou Kouffa, abattu récemment. Son vice-président est une dame. Mme Doucara Julienne Ouattara a, depuis, pris ses quartiers à Bamako. Le juge d’instruction Noé Thera qui est devenu, par la force des choses, président de séance du tribunal, ainsi que le Procureur, Boureima Tamboura, se la jouent courageux, même s’ils ont déménagé à Ségou, avalant chaque jour 200 km, en aller et retour, à leurs frais, lorsqu’ils décident d’occuper leurs bureaux de Niono.

Le Greffier en chef, M. Sogodogo, lui, est en mission à Koulikoro. Dehors, quelques usagers, surfant sur les nouvelles de tout ce beau monde, surveillent quotidiennement les lèvres d’Elie Togo lorsqu’il annoncera que les deux importants acteurs qui animent le tribunal de Niono (Thera & Tamboura) sont en route depuis Ségou ! La bonne nouvelle est pourtant annoncée ce jour, vers 8 h, par ce dernier. Elle se répand comme une traînée de poudre. Le Tribunal est aussitôt envahi par des usagers. La sécurité est renforcée. On se croirait à une rentrée judiciaire.

Ça vaut le coup, puisque les dernières audiences remontent au mois d’août dernier. Le jeune Noé Thera a une pile de dossiers et de tous ordres. On est mardi, donc pas d’audience correctionnelle. Cependant, avec son équipe, décidés à sérier les difficultés et autres surcharges, ils acceptent une audience extraordinaire (ce qui dans le jargon administratif appelle à des heures supplémentaires) et optent pour trancher les affaires, uniquement, d’hérédité. 14 sont au rôle ce mardi et seront vidés jusque tard dans la soirée ! Une prouesse appréciée par un grand nombre d’usagers, qui apprendront que la semaine d’activité est consacrée à certains détenus, mis sous mandat de dépôt, histoire de désengorger la maison d’arrêt, devenue depuis peu, intenable.

À l’audience extraordinaire, l’ombre du président Soungalo Koné plane et le dispositif de sécurité rappelle bien que quelque chose s’est passé exactement un an dans ce local. Son bureau inoccupé est toujours ouvert : un PC neuf, couvert de sachet plastique transparent orne la table et le drapeau vert jaune rouge scintille dessus. Le réfrigérateur est vide. Le salon des visiteurs, aux couleurs noires, est encore propre et les documents du président sont encore bien ordonnés dans l’armoire chinoise qui jouxte le bureau de la secrétaire.

Marietou Diarra se rappelle bien de ce 16 novembre 2017, même si elle n’apprendra véritablement la nouvelle que le lendemain. Soungalo Koné avait des pressentiments, se souvient-elle. «Il me disait, pendant la semaine de son enlèvement, qu’il préfèrerait l’insécurité de Tombouctou d’où il venait à celle de Niono… Je le voyais, encore, après la prière de 16 heures, tirer de grosses bouffées de cigarette dans la cour. C’était ma dernière image de lui…». Effectivement, puisque trois ou quatre heures après, il se fait enlever chez lui dans un quartier périphérique de la ville de Niono.

On peut s’étonner qu’un juge, de surcroît le président du tribunal, loge dans un espace géographique de ce genre, au moment où l’insécurité va crescendo. Mais c’est là, dans le quartier Lafiabougou C3, en plein Sahel, à 3 km du centre-ville, dans une rue d’immondices où la seule bâtisse du juge fait office d’habitat modeste, que ses prédécesseurs avaient signé un bail avec le propriétaire, un certain Sékou Diallo, garagiste de son état. Six inconnus à bord d’une voiture 4X4 blanche et de quelques motos l’ont violemment maîtrisé, en dépit de l’interposition d’une de ses sœurs, avant de l’embarquer pour une destination inconnue à ce jour.

La bâtisse jaune sale est encore au compte de l’Etat malien même si les occupants l’ont libérée depuis. Le voisinage ne semble pas beaucoup disserter sur le drame, un an après, sauf parmi eux, un vulcanisateur qui pense être au parfum de ce rapt :
– Il savait bien qu’il était menacé. Pourquoi arrêter des terroristes et venir loger jusqu’ici ?

– Est-ce une raison de croire que son dossier n’intéresse plus les autorités au plus haut point, pour qu’un juge soit enlevé depuis un an et qu’il ne soit pas retrouvé, lui répond un jeune enseignant d’un lycée privé à côté ?

Le débat arrive à intéresser le propriétaire du véhicule, venu pour donner un coup d’air à son pneu :
– Je crois qu’il serait plus séant que les gens de Niono s’intéressent d’abord à cette affaire, pour en faire leur propriété, car il est clair que s’ils sont en vie (lui et un gendarme), des gens d’ici savent où ils se trouvent et avec qui…
-Pourquoi le faire, fulmine le vulcanisateur ?

-C’est quand même le Juge de Niono après tout, essaye de convaincre l’automobiliste !
-Non, nous, nous avons peu d’intérêt pour ces gens-là, ces porteurs de tenue, ces gens de la loi, nous ne pouvons pas nous apitoyer sur leur sort, renchérit le prestataire de service, sans état d’âme.

-Pourtant vous avez marché l’autre jour pour Faras (nom d’un ancien footballeur qu’on a donné au député Adama Araba Doumbia) quand on l’a battu à la marche de l’opposition à Bamako.
– Lui est un fils de Niono et puis il est député !
– Thiè, ils sont tous les mêmes. Qui instrumentalise les juges ? Ce ne sont pas ces députés là, argumente l’enseignant, qui répond, sans demander, à la place de l’automobiliste.
Ainsi donc, on rentrait de plein droit dans la quadrature du cercle, avec cette discussion qui étaye des relents d’un enlèvement spectaculaire reposant, en ce moment, sur une passivité d’un Etat sans moyen de défense et sur lequel des citoyens ont encore des doutes pour espérer.

Le Procureur de la République près le tribunal de Niono joue à se donner un bon moral. Boureima Tamboura est conscient que l’atmosphère est lourde mais le sacerdoce doit prendre le dessus, se convainc-t-il ! Même la stagiaire Zeinab Touré, qui a reçu un SMS de menace de mort, au lendemain de l’enlèvement du juge, avant de passer des nuits au commissariat de police, croit savoir que la peur est derrière elle, pour se permettre de ne pas arriver au travail.

Le Procureur tient aux promesses du ministre de tutelle pour étoffer le tribunal de ressources humaines. Il est convaincu que son collaborateur est en vie, sûrement, dans le secteur de Nampala, où des forains bruissent de la rumeur. En tout cas, au lendemain de la réception de ces échos, qui peuvent rassurer, c’est un collectif dénommé “Niono Ben Kan”, présidé par le sieur Adama Coulibaly, qui a écrit au Maire le 10 décembre 2018 pour lui suggérer 6 recommandations, dont une, expressément écrite ainsi : «le retour du tribunal de Niono», au motif, dans leur missive, que «le tribunal de Niono n’est plus fonctionnel, depuis la fin de la grève des magistrats, ayant comme conséquence le non jugement de plusieurs prisonniers et de surcroît le surpeuplement de la prison de Niono…».

L’audience extraordinaire de ce mardi 11 décembre 2018 qui s’est déroulée à l’AN 1 de l’enlèvement du président de cette juridiction est révélatrice du nouvel élan entamé par les rescapés des ravisseurs de Soungalo Koné.

Moustaphe MAIGA

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