«Je dirai que dans la hâte de répliquer aux observations du Sam sur le blocage injustifié du projet de réforme de la Cour suprême, nos parlementaires perdent les pédales et se trompent de cible. Les députés n’avaient nul besoin d’utiliser la photo de la Cour constitutionnelle dans un article paru au respectable journal Tjikan, en voulant présenter la Cour suprême comme étant l’une des institutions les mieux logées de la République. Si à ce niveau, la confusion est encore faite entre ces deux institutions, les craintes des citoyens deviennent alors fondées.
Si le Sam a des griefs contre la résolution, ceux-ci ne pourraient se situer que sur le seul point des motivations sans intérêt qui touchent incontestablement le domaine de compétence du pouvoir judiciaire. C’était tout simplement par respect pour la représentation nationale que le Sam avait souhaité, dans un cadre empreint de courtoisie, attirer les attentions sur les dérives relevées dans les motivations sans intérêt et sur lesquelles la résolution se fondait.
Quant au deuxième point lié au blocage du projet de réforme de la Cour suprême, la responsabilité est à situer ailleurs et non à la Cour suprême qui n’est, ni initiatrice du projet, ni même chargée de le défendre devant l’Assemblée nationale. Pour ma part, ces griefs portés contre la justice et le Sam mettent encore en exergue la nécessité absolue pour notre représentation nationale de solliciter les services de vrais juristes confirmés, si elle ambitionne réellement de se parfaire et de se hisser au rang des grands Parlements.
Les incohérences risquent de se multiplier, si c’est le premier courtisan venu, en crise de discernement, qui doit porter la réplique de l’Assemblée nationale contre des observations et critiques pertinentes du Syndicat autonome de la magistrature. Sur la résolution de rejet de la demande tendant à la levée de l’immunité parlementaire, il est important de préciser que l’appréciation d’une demande de levée d’immunité parlementaire, relevant des seules prérogatives de l’Assemblée nationale, le Sam ne saurait mettre en cause une résolution souverainement prise en cette matière par la seule institution habilitée par la Constitution. Dans son fond, elle ne porte aucunement atteinte à l’indépendance de la magistrature, laquelle d’ailleurs n’est pas porteuse de la demande ayant fait l’objet dudit rejet par l’Assemblée nationale.
Ce qu’il convient de préciser, c’est qu’une résolution de refus de levée de l’immunité parlementaire ne met pas en péril la procédure ou les procédures en cours. Elle ne fait que suspendre les poursuites engagées contre le député, sans pour autant faire courir le délai de prescription de l’action publique. C’est pourquoi, considérée à l’hémicycle comme preuve de solidarité et de succès parlementaire, cette résolution a, au contraire, été perçue dans le monde judiciaire comme un non-événement. Le Syndicat autonome de la magistrature aurait gardé tout silence si le législatif s’était limité à ses attributions, sans glisser sur le terrain du pouvoir judiciaire, en se perdant dans des motivations inacceptables et inadmissibles.
Conformément à ses statuts et règlement ainsi qu’aux principes de l’Union internationale des magistrats, le Sam ne saurait rester indifférent face à ces motivations inopportunes, publiquement tenues, lesquelles constituent des atteintes graves à la séparation des pouvoirs. Appelée à se prononcer sur une simple demande tendant à la levée de l’immunité parlementaire d’un député, présentée par l’exécutif, l’Assemblée nationale qui n’avait nul besoin de justifier sa résolution de refus, a excédé ses pouvoirs pour se retrouver gaillardement sur le terrain propre du pouvoir judiciaire, en se confondant dans des motivations incongrues.
Comme première motivation, les honorables députés du Mali soutiennent qu’au regard de leurs investigations, les faits reprochés à leur collègue en cause n’étaient pas fondés. Quant à la deuxième motivation, les mêmes députés ont conclu à un arrêt des poursuites pénales à l’encontre du député concerné, au motif qu’une partie plaignante aurait adressé un retrait de plainte à la justice.
Sur ce dernier point des motivations, le Sam tient à rappeler à l’attention des parlementaires maliens que le retrait de plainte ne constitue pas, dans tous les cas, un obstacle juridique à la poursuite de l’action publique. À l’analyse des deux motivations telles que présentées, il y a manifestement violation du principe de la séparation des pouvoirs. En effet, les députés, aussi puissants qu’ils soient au Mali, n’ont aucun pouvoir constitutionnel pour décider du caractère fondé ou infondé d’une poursuite judiciaire ou de se prononcer sur le sort d’un retrait de plainte adressée à la justice. Prenant l’opinion publique à témoin de ces dérapages parlementaires suffisamment graves qui risquent de mettre en péril notre démocratie, jusque-là citée en exemple, le Sam exige qu’un terme y soit immédiatement mis.
Sur les justifications fournies par l’Assemblée nationale, à travers un article de presse attribuant le blocage du projet de réforme à la Cour suprême qui aurait monté et présenté un dossier indigeste, je commencerai en disant qu’il ne s’agit là que d’un amalgame qu’on tente de semer. La Cour suprême n’a pas à répondre de ces griefs paroxystiques portés sur coup de tête contre un projet de loi dont elle n’est ni initiatrice, ni chargée de soutenir ou de défendre devant l’Assemblée nationale. L’Assemblée nationale restera incapable de justifier le fait pour elle d’abandonner au fond de ses tiroirs un projet d’intérêt général très attendu, au seul motif qu’il serait mal ficelé.
La logique commandait au Parlement de faire retourner le dossier accompagné de toutes ses observations au gouvernement. Le côté troublant : tandis que le dossier avait été classé au rang des affaires de moindre importance, parce que s’agissant de la justice, l’Assemblée nationale faisait montre de ses bonnes dispositions quant à l’adoption très prochaine du projet. Sans entrer dans d’autres détails, ces explications permettent suffisamment de situer la cause ou la responsabilité du blocage du projet de loi dont il s’agit.
Cheick Mohamed Chérif KONE (Magistrat)