Lors d’une conférence de presse marquant le lancement du rapport intitulé : « Face à la crise, faire le choix de la justice », le président de l’Association Malienne des Droits de l’Homme (AMDH), Me Moctar Mariko, a exprimé son indignation face à la lenteur de certains dossiers d’accusation de violation des droits de l’homme qui se trouvent actuellement au niveau des juridictions compétentes. C’était le 8 décembre 2017 à la Maison de la Presse de Bamako.
Financé par l’Union Européenne et produit par l’AMDH en collaboration avec la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH), ce rapport couvre toute la période de la crise politique et sécuritaire du Mali de 2012 à nos jours. Le document revient sur les crimes commis au nord, les détentions et libérations arbitraires aussi bien que les dossiers en souffrance au niveau des instances juridictionnelles.
Pour Me Moctar Mariko, les 12 derniers mois ont vu des avancées considérables, avec l’ouverture du procès d’Amadou Haya Sanogo et de ses complices, poursuivis pour l’exécution sommaire de plus de 20 « bérets rouges » et la condamnation d’Aliou Mahamane Touré, ancien commissaire de la police islamique de Gao. « Ces derniers mois, nous avons peut-être plus obtenu par la justice que ce qui fut obtenu par les armes : la reconnaissance des crimes des putschistes et des groupes armés. La paix se gagnera autant par le rétablissement de la sécurité qu’en répondant aux besoins de vérité, de justice et de réconciliation », a-t-il souligné.
Toujours s’agissant du procès d’Amadou Haya Sanogo et de ses complices, Me Moctar Mariko a tenu à préciser que ce ne sont pas seulement les familles des détenus qui sont impatientes. « Nous-mêmes, aussi bien que les victimes, nous voulons tous que ce procès se fasse dans le plus bref délai. Cela fait des années que les victimes attendent que la justice soit rendue », a-t-il déclaré.
Des inquiétudes
Selon le président de l’AMDH, avec la réhabilitation des tribunaux des régions de Tombouctou et de Gao, le tribunal de grande instance de la Commune III qui est chargé de juger les crimes commis au nord pendant la crise, ne sera plus compétent pour le faire. « Tous ces dossiers seront transférés aux instances judiciaires de Tombouctou et de Gao », a-t-il souligné. Me Mariko a également laissé entendre que «Si les tribunaux des régions de Tombouctou et de Gao ont été réhabilités après l’occupation, ils peinent à être fonctionnels. Ils ne peuvent notamment pas, en raison de la situation sécuritaire et des menaces auxquelles font face les administrateurs de la justice, traiter des affaires qui mettent en cause des individus affiliés aux groupes armés ».
Des dossiers dans l’oubliette
Le rapport révèle aussi que plusieurs autres procédures sont dans l’attente de relance, notamment celles concernant le massacre d’Aguelhoc (153 militaires maliens exécutés), la mutinerie de Kati, les disparus de Tombouctou ou les autres crimes commis par toutes les forces en présence pendant la reconquête du nord en 2013.
Selon le président de l’AMDH, l’ampleur et la gravité des crimes en cours d’instruction ou de jugement sont inédites dans l’histoire contemporaine du pays. « Nos organisations ont entendu plus de 500 victimes et témoins ces dernières années. Elles ont initié ou participé à une dizaine de procédures judiciaires, accompagnant plus de 180 parties civiles devant la justice », a-t-il affirmé.
Après avoir rappelé que l’année 2016 a connu une recrudescence de violences et d’attaques commises par les différents groupes armés contre des civils, des militaires maliens et ceux de la Minusma, Me Mariko a précisé que « Nos organisations avaient comptabilisé au moins 385 attaques ayant coûté la vie à au moins 332 personnes dont 207 civils dans le nord et le centre du pays. A cela, s’ajoutaient des actes de torture, des enlèvements, des détentions arbitraires et des extorsions de tous types, avec au moins 621 cas répertoriés »
L’ingérence politique
Pour Me Mariko, les efforts des défenseurs des droits de l’Homme, particulièrement ceux de l’AMDH sont restés vains à cause de l’ingérence politique. C’est le cas de la libération en août 2014, d’Ag Alfousseyni Houka, ancien juge islamiste de Tombouctou, Mohamed Aly Ag Wadoussène, Haïba Ag Acherif, Oussama Ben Gouzzi et Habib Ould Mahouloud, tous libérés en échange de l’otage français Serge Lazarevic. « Des détenus ont été libérés, alors que leurs dossiers étaient en train d’être étudiés par les juges », s’est-il indigné.
Quant à Me Drissa Traoré, vice-président de la FIDH, il a souligné que « Si la lutte contre l’impunité n’est pas la seule réponse à apporter au conflit, il ne pourra y avoir de paix sans un minimum de justice. Les Maliens attendent de leur justice qu’elle règle les différends, les protège de l’arbitraire des hommes en armes et contribue ainsi à sortir leur pays de la crise qu’il endure depuis 2012».
Les femmes reléguées au second plan
Après avoir rappelé que le 12 novembre 2014, une plainte commune au nom de 80 femmes victimes de violations sexuelles a été introduite au tribunal de grande instance de la Commune III du District de Bamako, la présidente de WILDAF-Mali, Mme Bouaré Bintou Founè Samaké, a informé qu’en mars 2014, une autre plainte commune de 34 femmes a été posée auprès du même tribunal. « Sur les 113 victimes, seules 37 ont été écoutées par les juges d’instruction. Ce qui témoigne que les femmes ne sont pas prioritaires aux yeux de la juridiction malienne », a-t-elle précisé.
Face à cette situation, Me Mariko n’a point caché son indignation. « Des crimes sexuels ont été perpétrés de manière systématique par les groupes djiahadistes du nord Mali en 2012-2013. Si des mandats d’arrêt ont été déposés et des dizaines de personnes arrêtées et inculpées en 2013, aucune n’a depuis été inquiétée, alors que ces crimes sont constitutifs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité ».
Le président de l’Association Malienne des Droits de l’Homme a enfin réitéré sa confiance en la justice et les autorités maliennes pour l’instauration de l’état de droit dans le pays.
Ousmane Ballo