Même indemnisé, le Collectif des parents des victimes souhaite que toute la lumière soit faite au procès d’Amadou Haya Sanogo et co-accusés. Pour eux, la Loi d’entente nationale ne doit aucunement empêcher l’éclatement de la vérité. Plusieurs organisations nationales et internationales estiment que le procès dit l’affaire des bérets rouges sera un pas dans la lutte contre l’impunité.
Le 25 février 2021 aurait dû se tenir la reprise du procès d’Amadou Haya Sanogo et co-accusés. Alors que cette reprise était attendue depuis le 8 décembre 2016, la date du 11 mars 2021 a été de nouveau fixée.
Ce procès va se tenir à un moment où une Loi d’entente nationale, votée le 2 août 2019 attire les attentions des avocats de M. Sanogo.
Déjà à l’ouverture de l’audience du jeudi 25 février, Me Abdrahamane Ben Mamata a donné le ton, rappelant la force de cette la loi, qui a permis la signature d’un protocole d’indemnisation entre le gouvernement et les parents des victimes. Et d’appeler la cour à tirer toutes les conséquences de droit.
Pour beaucoup d’observateurs, cette Loi d’entente ne doit nullement empêcher la cour à faire son travail de dire le droit. Autrement dit, les juges ont le devoir de dire si oui ou non Amadou Haya Sanogo est coupable des crimes qui lui sont reproché.
Le porte-parole des victimes, M. Fané, sur Renouveau TV, a appelé la justice à appliquer le droit, à dire la vérité aux parents des victimes. « Cela va soulager et les parents des victimes et les accusés ainsi que leurs familles ». Pour lui, « même indemnisées les familles des victimes ont droit à savoir ce qui s’est véritablement passé, qui a ordonné de tuer leurs fils ? Pour quelle raison ? C’est ça la vraie justice ». Et d’ajouter que « le vrai pardon suivra » à l’issue du procès.
Il faut dire que l’adoption de la Loi d’entente nationale avait suscité une vive opposition de la société civile malienne, dont l’AMDH, qui craignait que cette loi ne consacre une impunité généralisée pour les crimes commis depuis 2012 dans le pays.
« Nous ne pouvons-nous opposer désormais à ce que la Loi d’entente nationale soit appliquée, car elle a été votée. Mais nous tenons à rappeler les conséquences de cette loi, qui risque de consacrer l’impunité pour une partie des crimes commis au Mali ces dernières années, sauf en cas de crimes de guerre, crimes contre l’humanité ou viols. Or, ces qualifications ne sont qu’exceptionnellement retenues. Dans les faits, cette loi d’entente nationale risque par ailleurs d’empêcher que des procès prévus de longue date se tiennent ou se déroulent jusqu’à leur terme », a indiqué l’AMDH.
Le 9 janvier 2020, soit quatre jours seulement avant la tenue prévue du procès, le parquet général près la Cour d’appel de Bamako annonçait le report, motivé par les « contraintes majeures liées à la préservation de l’ordre public et de la cohésion au sein des Forces armées mobilisées pour la défense de la patrie ».
Flash-back
Les 21 et 22 mars 2012, alors que le Mali faisait face depuis janvier 2012 à une offensive de groupes armés notamment djihadistes ayant déjà conquis près d’un quart du pays, un groupe d’officiers subalternes renverse le président Amadou Toumani Touré. Ces militaires prennent le pouvoir à 40 jours de l’élection présidentielle, et instaurent une junte militaire dénommée CNRDRE, avec à leur tête le capitaine Amadou Haya Sanogo.
Le 30 avril 2012 se déroule une tentative de contre-coup d’État, menée par des éléments du 33è régiment des commandos parachutistes (RCP). Cette unité d’élite de l’Armée communément appelée « bérets rouges » a à leur tête le lieutenant-colonel Abdine Guindo, resté fidèle à l’ancien chef de l’Etat Amadou Toumani Touré (paix à son âme). Elle est mise en échec et violemment réprimée par les putschistes, qui capturent plusieurs dizaines de bérets rouges.
Dans la nuit du 2 mai 2012, 21 militaires bérets rouges sont sortis de leurs cellules à Kati et seraient transportés dans des camions militaires vers Diago, dans la localité de Kati, quartier général de la junte militaire. Ils y seraient exécutés et enterrés dans une fosse commune.
Le 22 décembre 2015, la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Bamako met en accusation Amadou Haya Sanogo et 17 co-accusés et décide de les renvoyer devant une Cour d’assises pour y être jugés des crimes « d’enlèvement et d’assassinat, ou de complicité de ces dits crimes ».
Presque un an après la décision de la chambre d’accusation, le 30 novembre 2016, s’ouvre le procès Sanogo et de 17 autres, pour complicité d’enlèvement et d’assassinat. Une session spéciale de la Cour d’assises est organisée à cette fin. Elle est transportée à Sikasso, à 380 km de Bamako, pour des raisons de sécurité.
Le 8 décembre 2016, après plusieurs jours de procès, la Cour décide le renvoi de l’affaire à la première session d’assises de 2017, afin de permettre la conduite d’une nouvelle expertise médicale dans un délai de 45 jours, la première n’ayant pas été conduite conformément aux procédures prévues par le droit malien.
Les Maliens doivent savoir qu’il y a certains de leurs concitoyens qui ont souffert dans leur chair et dans leur esprit du fait des agissements des régimes politiques passés et actuels. Cette vérité pourra non seulement apaiser les cœurs des victimes et de leurs familles, mais ferait en sorte qu’elles soient mieux disposées à accorder leur pardon aux auteurs de crimes, tout en permettant à la justice de faire efficacement son travail.
Mamadou Sidibé