Procès Amadou Haya Sanogo et co-accusés : La défense a planifié et obtenu le report en se jouant du parquet général

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On peut dire que les avocats de la défense ont remporté la première manche dans le procès ministère public contre Issa Tangara, Amadou Haya Sanogo et 15 autres accusés «d’enlèvement de personne, d’assassinat et complicité d’assassinat». Elle a en effet réussi à reporter l’audience jusqu’à la première session de la cour d’assises de 2017 pour cause d’irrégularité du rapport d’expertise légale. Cette décision a été rendue par la cour le jeudi 8 décembre 2016 dans la salle Lamissa Bengaly de Sikasso. Un report qui sème aussi le doute quant à la capacité de la justice malienne à instruire et juger cette affaire.

«Toutes les formalités légales étant observées, nous pouvons dire avec certitude que toutes les conditions sont réunies pour la tenue de cette cour d’assises» ! C’est la promesse faite aux Maliens par le Procureur général auprès de la cour d’Appel de Bamako à la veille de l’ouverture du procès d’Amadou Haya Sanogo et ses co-accusés à Sikasso (à 380 km au sud de Bamako) !

Il faut rappeler que les faits retenus contre les accusés (Issa Tangara, Amadou Haya Sanogo et 15 autres accusés) sont enlèvement et complicité d’enlèvement, assassinat et complicité d’assassinat. De graves violations des droits humains dont l’instruction devait nécessiter la plus grande rigueur. Sachant que les avocats de la défense seraient prêts à s’engouffrer par la moindre des brèches pour sauver la tête de leurs clients, il ne fallait pas leur en donner l’opportunité. Hélas !

Visiblement désarçonnée par l’arrêt de renvoi, les avocats de la défense ont vite compris qu’il fallait gagner du temps en essayant de politiser ces crimes, de jouer sur l’incompétence de la cour à juger des militaires, un ministre et un supposé «ancien chef de l’Etat». S’il en a obtenu le statut par procuration pour parvenir à un dénouement rapide de la crise institutionnelle, il n’a jamais exercé en tant que tel.

Plusieurs exceptions et irrégularités ont été soulevées par la défense comme, entre autres, le non-respect du délai de citation des accusés par le parquet général, l’incompétence de la cour, la composition irrégulière de la cour, l’irrégularité du rapport d’expertise… Après avoir obtenu plusieurs suspensions d’audience, la défense a sorti la carte de la liberté provisoire de ses clients pour l’expiration du délai de détention légale.

Au finish, la cour n’a retenu qu’une seule doléance : l’irrégularité du rapport d’expertise ! Surprenant que le parquet général se soit fait piéger sur un aspect aussi important que capital de ce procès. A notre avis, ce procès repose sur la crédibilité de l’identification des corps officiellement confiée au Bureau fédéral d’investigation (FBI). Un organisme disqualifié par la défense.

La cour a ordonné une nouvelle expertise des restes humains trouvés le 4 décembre 2013 dans les charniers situés à Diago, près de Kati. Une mission confiée au laboratoire malien (Charles Mérieux) sous le contrôle du conseiller à la cour d’appel Taïcha Maïga dans un délai de 45 jours.

Les résultats des tests ADN pratiqués par le laboratoire FBI, objet d’un rapport en date du 28 janvier 2014, ont confirmé les premières conclusions sur les identités des 21 militaires bérets rouges disparus.

La défense obtient gain de cause : le report du procès

Et il  y a très peu de chance que l’expertise du centre Mérieux aboutisse à un résultat contraire. Mais, la défense a vu une brèche et elle s’y est naturellement engouffrée afin de parvenir à ses fins : le report du procès ! Ce n’est qu’un secret de polichinelle que les avocats des accusés avaient fait le déplacement de la capitale du Kénédougou pour obtenir le report du procès. Ils ne l’avaient d’ailleurs pas caché lors d’une conférence de presse animée à deux jours de son ouverture. Et ils ont eu gain de cause. Il est inconcevable qu’on ait pu faire preuve d’un tel amateurisme, d’une telle légèreté dans une étape aussi cruciale de l’instruction.

Le spectacle auquel les malheureux proches des victimes ont assisté à Sikasso n’avait rien à avoir avec l’assurance affichée par le Procureur général. Pendant que nous appelons la première manche de ce procès, le parquet général a rarement fait preuve de sérénité, d’assurance…

Il a laissé le beau rôle à la défense qui l’a malmené mettant à nu une évidence : la mauvaise préparation du procès ! Nous n’irons pas jusqu’à dire que l’instruction a été bâclée, mais elle n’a pas visiblement fait objet de toute la rigueur requise.

Selon de nombreux observateurs, ce report apporte de l’eau au moulin de ceux qui n’ont jamais caché leur conviction que la justice malienne ne pourra pas juger cette affaire à la satisfaction de tous, c’est-à-dire en toute indépendance et en toute transparence. Nous sommes de ceux qui sont contre la Cour pénale internationale (CPI), mais nous sommes aujourd’hui déçus aussi par notre appareil judiciaire après ces failles exploitées par la défense.

Et nous ne partageons nullement l’enthousiasme affiché vendredi dernier (9 décembre 2016) à Sikasso par le ministre de la Justice et des droits de l’Homme, à l’occasion de la Journée mondiale internationale contre la corruption.

«Pendant dix jours le droit a été dit, toutes les parties ont eu droit au même traitement. Je félicite et remercie le président de la cour Mamadou Berthé, nous allons tout faire pour revenir vite à Sikasso, dans 3 mois nous allons tout mettre en œuvre pour que ce procès puisse se dérouler dans les meilleures conditions à Sikasso, ici…», avait-il déclaré par rapport au procès du putschiste Amadou Haya Sanogo et compagnie.

Nous pensons plutôt que, pour sa crédibilité,  la justice (la tutelle, le parquet général…) auraient dû plutôt tout mettre en œuvre pour éviter les errements constatés qui ont finalement conduit au report de ce procès. Et cela au grand dam des parents et proches des militaires lâchement assassinés.

A notre avis, le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme a toutes les raisons de «rougir»de ce «triste spectacle» qui est loin de refléter l’image qu’il veut donner à la justice malienne. Comme le disait un compatriote sur les réseaux sociaux, «tout ce temps pour présenter au monde entier un théâtre d’aussi mauvais scénario».

Ce doute accepté de la défense sur leur identité, à travers une seconde expertise, équivaut à «une deuxième mort pour toutes ces victimes et une épreuve terrible pour leurs proches».

Les autorités maliennes ont-elles réellement la volonté de juger Sanogo et sa clique ?  Cette parodie est-elle leur réponse à la pression des proches qui les oblige à «organiser ce semblant de procès» ?

Difficile de défendre le contraire ! Nous pensons que l’AMDH, la FIDH et toutes organisations de défense des droits humains doivent se battre pour que la CPI se saisisse du dossier de ces crimes odieux !

Moussa Bolly

 

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