La comparution en session disciplinaire de l’ancien avocat général près la cour Suprême, Mohamed Cheick Cherif Koné, aura tenu toutes ses promesses. Annoncée comme le tribunal de l’actuelle Transition dès la séance inaugurale, la procédure a donné lieu, en effet, à une démonstration d’une pertinence aussi déconcertante qu’audacieuse des fondements illégaux sus lesquels reposent le pouvoir, de ses incohérences ainsi que de ses contradictions avec les changements espérés par l’opinion.
Salve de Camouflets pour la haute magistrature
Le ton en a été donné dès l’entame de la procédure, il y a deux semaines environ, par la contestation avec succès des prérogatives de président du CSM au colonel Assimi Goita. La conquête du pouvoir par les armes n’en confrère pas la légitimité requise, avaient brillamment soutenu le président de Référence Syndical et ses avocats, en obtenant par la même occasion un effacement du président de la Transition au profit des autres membres légalement constitutifs du Conseil Supérieur de la Magistrature. Cette première victoire aurait logiquement suffi pour la nullité de la procédure déclenchée par le même chef de l’Etat, mais la partie devait se poursuivre, la semaine suivante, avec une nouvelle audience aux relents de camouflets supplémentaires pour la haute magistrature. Avec un conseil de défense brillamment conduit par Me Kassoum Tapo, le bras de fer du mercredi 15 juin a encore tourné aux dépens du suppléant d’Assimi Goita dans ses attributs indus de premier magistrat. Le Procureur général près la Cour Suprême – il s’agit de lui – n’a pu résister à son tour à la bourrasque des récusations déclenchée par le magistrat Koné et ses avocats. À leurs yeux, le Procureur Mamourou Timbo est naturellement disqualifié pour arbitrer la procédure disciplinaire pour être au cœur du contentieux en tant que protagoniste visé par une plainte de son collègue mis en cause. Un argument d’autant plus irrésistible qu’il lui a imposé l’abandon de son manteau de président de la formation disciplinaire au profit de l’avocat général, en vertu notamment des dispositions du code de déontologie des magistrats selon lesquelles les présomptions d’impartialité et de conflits d’intérêt entraînent la récusation.
La vague de récusation a épargné, en revanche, deux autres membres de la formation judiciaire sur lesquels pèsent des présomptions similaires d’impartialité – dont l’inspecteur en chef des services judiciaires pour avoir opiné dans son rapport sur la posture de son collègue traduit en conseil de discipline. Idem pour un autre élément de la même formation, en l’occurrence Kouriba Konaté, auquel il est reproché une imprudence similaire.
La transition aux gémonies
En attendant le choc des arguments sur le fond, après-demain mercredi, un avant-goût de cet épisode attendu du bras de fer transparaît déjà dans l’audition du magistrat Mohamed Cheick Cherif Koné par le rapporteur de la formation disciplinaire. La séquence remonte à la date du 15 mai dernier et il en ressort un refus catégorique du président de RESYMA de se dérober des propos et prises de position ayant prévalu à sa traduction en conseil disciplinaire. Lesdits propos «n’ont rien de contraire à la constitution, aux lois de la République, au serment du magistrat (…) encore moins à l’éthique et à la déontologie m», a-t-il martelé en expliquant au passage qu’il revient d’ailleurs aux magistrats de recadrer les autorités dans leurs dérives attentatoires à la séparation des pouvoir. Et l’intrépide magistrat d’exprimer sa surprise de constater que l’avalanche de griefs disciplinaires évoqués par le Garde des Sceaux à son encontre n’ait pour seule référence que le contenu d’une correspondance qu’il a personnellement adressée au chef de l’Etat.
Quoi qu’il en soit, monsieur Koné n’a tremblé un seul instant pour assumer l’ensemble des propos ayant inspiré au ministre de la Justice le chapelet d’inculpations ci-après : sorties médiatiques intempestives contre les autorités de la transition, manquement au devoir de la charge, atteinte au crédit des autorités de la tradition. Ainsi, au sujet de ses allégations de «gouvernement dépourvu de légitimité démocratique», Cheick Cherif Koné juge le qualificatif bien à-propos et défie quiconque de lui prouver que l’actuelle équipe gouvernementale est l’émanation d’un président de la République démocratiquement élu. Idem pour le terme «vagabondage gouvernemental » qui, selon lui, n’est qu’une allusion opportune devant la propension des hautes autorités à régenter la conduite des affaires judiciaires et à se retrouver là où il n’est point attendu.
C’est au détour de la définition de gouvernants peu exemplaires, par ailleurs, que le président de l’Association Malienne des Procureurs et Poursuivants a braqué les projecteurs sur les présomptions de malversations ayant jalonné la gestion de l’AMRTP par l’actuel Premier ministre. Il a notamment mis en relief l’association du nom du chef du gouvernement à des malversations portant sur des centaines de millions de nos francs, tout en martelant en filigrane que le remboursement des trop-perçus par Choguel Maiga ne saurait occulter les autres décaissements irréguliers sur lesquelles les équivoques demeurent.
Quant aux nombreux griefs disciplinaires en rapport avec ses manquements aux devoirs de la charge et de réserve, ils auront donné l’opportunité à Cheick Cherif Koné de dépeindre un tableau liberticide de la Transition faite d’intolérance manifeste à la différence où toute voix discordante est étouffée et l’indépendance de la magistrature confisquée au nom d’une perception erronée de certains principes professionnels.
Et d’en déduire qu’aucun manquement disciplinaire ou faute professionnelle, dans le cas d’espèce, ne peut égaler l’option du Procureur général de la Cour suprême de passer outre les formalités de mise en accusation et du privilège de juridiction pour engager une procédure de mise en accusation de justiciables de la haute cour de justice sans Assemblée nationale.
En voulant donc faire condamner un gênant magistrat pour son attachement aux principes de droit, les hautes autorités judiciaires lui auront plutôt offert une tribune inespérée de mise en accusation du pouvoir et d’exhibition des tares rédhibitoires qui le gêne aux entournures.
A KEÏTA