Préavis de grève des magistrats : Dans le secret des négociations

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Cheick Mohamed Cherif Koné, ex-président SAM (photo archives)

La grève des magistrats, prévue pour cette semaine, aura-t-elle lieu ? L’issue des négociations engagées, le jeudi 21 juillet dernier, entre le syndicat autonome de la magistrature (SAM) et le gouvernement apportera la réponse. Dans les locaux du ministère de la justice où se tiennent les négociations, les parties affichent une réelle volonté d’arriver à un compromis. Mais à la table des négociations, a-t-on appris de source proche du dossier, l’ambiance est toute autre, tant le fossé est large entre les revendications du syndicat et les propositions faites par le gouvernement. La preuve

Le 11 juillet 2016, à travers un préavis, le SAM a informé le ministère en charge du travail et de la fonction publique de son intention d’entamer une grève de 72 heures à partir du mardi prochain à 00 heure. Pour gérer ce préavis, le ministère a mis en place une commission de conciliation composée d’Amady Tamba Camara, Diarra Fatoumata Dembélé, Me Amidou Diabaté, Hamidou Younoussa Maïga et de Doulaye Konaté. « Des personnalités connues, neutres et indépendantes », assurent le secrétaire général du ministère de la justice et des droits de l’homme, Moumouni Guindo qui a présidé la cérémonie d’ouverture des négociations. Ces conciliateurs, à qui M. Guindo a rappelé le respect du droit de négociation collective, sont commis à la lourde tâche de trouver un terrain d’entente entre les deux parties. Y arriveront-ils? C’est là toute la question.

Déjà, on constate qu’il y a écart important entre les propositions contenues dans le mémoire de défense du gouvernement et celles du mémoire du SAM. Certains syndicalistes auraient même qualifié le mémoire du gouvernement « d’insultant », aussi bien dans sa forme que dans le fond. Les raisons ?

D’abord, dans la forme, les magistrats relèvent que le mémoire de défense du gouvernement n’a aucune valeur juridique, puisqu’il n’est ni daté ni signé. « Nous ne savons pas d’où ça vient. Ce document manque de crédibilité », confie un magistrat. Autre vice : le document ne traite pas, comme il se doit, les revendications point par point. « Dans le document, il y a beaucoup de points sur lesquels le gouvernement ne sait pas prononcer. Cela est une manifestation du mépris ou encore de la mauvaise foi», poursuit l’interlocuteur.

Dans le fond, la divergence est de taille. En effet, en réponse à la première revendication du syndicat, relatif au relèvement du budget du Ministère de la Justice à hauteur de 10% au moins du budget national, à compter de l’exercice 2017, le gouvernement rappelle que le budget de ce secteur a évolué d’environ 8,54% entre 2015 et 2016. Qu’à cela ne tienne, il estime qu’une augmentation est envisageable, le budget 2017 étant en cours de préparation.

La deuxième revendication concerne l’alignement de Cour Suprême sur les institutions de même niveau au regard du principe de la séparation des pouvoirs, au point de vue des traitements et avantages, ainsi que sa dotation en moyens suffisants nécessaires à son fonctionnement et lui permettant d’assurer le respect des engagements internationaux pris au nom du Mali. Pour le gouvernement, ce point peut faire l’objet d’examen dans un cadre d’harmonisation du traitement des membres des institutions sous l’égide du ministère en charge de la fonction publique. « Aussi, loin d’être une institution marginalisée, l’Etat a consenti d’énormes efforts, environ 12 milliards pour la construction du nouveau siège de la Cour suprême afin de lui offrir un cadre idéal de travail », précise le gouvernement.

La troisième revendication du SAM a trait au relèvement de la grille indiciaire des magistrats de 350 à 750 pour le Magistrat en début de carrière ; de 1100 à 3500 pour le Magistrat de grade exceptionnel. De son côté, le gouvernement met en avant l’argument selon lequel une augmentation (étalée sur trois ans) des salaires a été décidée pour l’ensemble des fonctionnaires et agents de l’Etat, dont les magistrats. Par ailleurs, rappelle le gouvernement, la grille indiciaire actuelle des magistrats est la deuxième la plus nantie des agents de l’Etat après celle des enseignants du supérieur et des chercheurs (1210).

Concernant le rehaussement des indemnités de judicature à hauteur de 800.000 FCFA pour chaque magistrat (point 4), le gouvernement estime que le personnel concerné bénéficie en l’état actuel des avantages de l’un des régimes de primes et indemnités les plus favorables parmi les fonctionnaires. Et que la satisfaction de cette doléance se traduira par une aggravation de l’écart entre ce personnel et les fonctionnaires les moins nantis en matière de primes et indemnités et exacerbera les revendications des autres fonctionnaires. Le gouvernement rappelle à cet effet que l’indemnité de judicature a fait l’objet d’une majoration d’environ 150% en 2009. Tandis que les taux en vigueur des primes et indemnités de certains corps de la fonction publique datent de périodes plus anciennes.

Sur le cinquième point, relatif au rehaussement des indemnités de logement à hauteur de 500.000 FCFA pour le magistrat de la Cour Suprême ; de 300.000 FCFA pour les autres magistrats, le gouvernement explique ce point est pris en charge au niveau du point 2 traitant de l’harmonisation du traitement des membres des institutions. Un dispositif qui recommande la mise en place d’une commission sous l’égide de la fonction publique en vue d’apprécier de façon globale les traitements pour l’ensemble des institutions et pour les magistrats des autres cours et tribunaux qui ne sont pas des institutions de la République.

Le sixième point du cahier de doléances du SAM demande l’octroi de primes de responsabilité et de représentation à hauteur de 500.000 FCFA pour le Président de la Cour Suprême et le Procureur Général près la Cour Suprême ; 400.000 FCFA pour les autres magistrats de la Cour Suprême ; 350.000 FCFA pour le Premier Président de Cour d’Appel, le Procureur Général près la Cour d’Appel, les Chefs des Services Centraux du Ministère de la Justice et le magistrat en détachement ; 300.000 FCFA pour tout autre magistrat de Cour d’Appel ou tout autre magistrat de l’Inspection des Services Judiciaires ; 250.000 FCFA pour le Président du Tribunal de Grande Instance, le Président du Tribunal Administratif, le Président du Tribunal de Commerce, le Président du Tribunal du Travail, le Président du Tribunal pour Enfants, le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance ; 200.000FCFA pour le Président du Tribunal d’Instance, le Procureur de la République près le Tribunal d’Instance et tout magistrat en fonction dans un Service Central ou assimilé du Ministère de la Justice ; 150.000 FCFA pour tout autre magistrat d’une juridiction de premier degré.

Pour le gouvernement, cette question, concernant les membres de la Cour suprême, est déjà prise en compte au niveau du point 2 traitant de l’harmonisation du traitement des membres des institutions de la République. S’agissant de l’octroi d’une indemnité de responsabilité et de représentation aux autres magistrats en fonction de leur poste de responsabilité et de leur affectation, le gouvernement signale que cette indemnité existe chez les magistrats même si l’écart avec le montant demandé est important.

Su le septième point, en occurrence l’octroi d’indemnités de recherche à hauteur de  200.000 FCFA pour chaque magistrat de la Cour Suprême et le Directeur National de l’Institut National de Formation Judiciaire ; 100.000 pour le Directeur Adjoint et le Directeur des Etudes de l’Institut National de Formation Judiciaire, le gouvernement ne voit pas la pertinence de l’octroi d’une telle indemnité de recherche au personnel désigné. « Ils ne sont pas des chercheurs et n’ont aucun engagement avec l’Etat pour faire des publications. Et même pour les chercheurs de l’enseignement supérieur, cette indemnité n’existe pas », explique le mémoire.

Quant à l’octroi d’une prime de risque d’un montant de 150.000 FCFA pour tout magistrat (Sur le point 8), la question de prime de risque est régie par le décret n°151/PG-RM du 22 août 1975 fixant les conditions et modalités d’octroi des primes aux fonctionnaires et agents de l’Etat et ses textes modificatifs subséquents. « Nous n’avons aucune objection quant à son application à tous les agents remplissant les conditions déterminées par ledit décret. Toutefois, nous estimons que l’indemnité de judicature dont bénéficie l’ensemble des magistrats satisfait à ce point », toujours selon le mémoire de défense du gouvernement.

La neuvième revendication du SAM concerne l’extension des dispositions du décret N° 2014-0837/PRM du 10 Novembre 2014 aux magistrats (indemnités de représentation et de responsabilité, d’eau, d’électricité, de téléphone, de résidence, primes de zone, de domesticité et autres). Si le gouvernement n’a aucune objection quant à l’application de ces dispositions ; il estime cependant que cette application doit intervenir dans le cadre de la classification des fonctions, dont le projet de texte a fait l’objet d’examen en réunion interministérielle du 14 juillet 2016. Par ailleurs, le gouvernement précise que le décret référé n’octroie pas de primes et d’indemnités aux fonctionnaires et agents de façon statutaire.

La divergence de vue est également importante sur le point 10 des doléances, relatif à l’octroi d’une prime, d’installation non taxable d’un montant de 2.000.000 FCFA, au jeune magistrat au moment de son entrée en fonction. Considérant que l’indemnité de 1ère mise d’équipement pour l’ensemble des agents de l’Etat est de 6 000 FCFA, l’Etat qualifie « d’insoutenable » le montant proposé par le SAM.

Tout de même, les parties pourront difficilement avoir une identité de vue sur la question d’intégration des primes et indemnités aux salaires (point 11). Pour le gouvernement, le principe des primes et indemnités ne prévoit pas leur intégration dans des indices. Et que si le principe de leur intégration est retenu, celles-ci devraient disparaitre au profit de leur conversion en indice. Cette conversion a un inconvénient et un avantage. Elle entraine en termes d’inconvénient une augmentation des retenues et une diminution du salaire net à payer. En termes d’avantage, elle entraine une augmentation de la pension à la retraite.

Le gouvernement, dans son mémoire, ne se prononce pas sur les points 12 et 13, relativement respectivement à la revalorisation des pensions des magistrats à hauteur de 50%, et à la dotation en carburant de tous les magistrats.

Par contre, sur le point 14 qui concerne la réparation des dommages matériels occasionnés aux magistrats lors des évènements survenus dans la partie Nord du pays, le gouvernement estime que cette doléance est prise en charge par l’article 4 du statut de la magistrature qui dispose « indépendamment des règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, les magistrats sont protégés contre les menaces et attaques de quelque ordre que ce soit dont ils peuvent faire l’objet dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. L’Etat doit réparer le préjudice qui en résulte dans tous les cas non prévus par la législation des pensions. Cette réparation s’étend à la famille et aux biens du magistrat ».

Quant à la demande d’élaboration d’un Plan de Carrière des magistrats et la classification des juridictions (point 15), elle est, selon le gouvernement, fait partie des activités inscrites dans le plan de travail 2016 de la Dnaj.

La seizième revendication est relative à l’élaboration du Règlement Intérieur du Conseil Supérieur de la Magistrature. Sur ce point, le gouvernement informe que des dispositions pratiques viennent d’être prises pour relire le statut et le texte du conseil supérieur de la magistrature en vue de les rendre conformes aux standards internationaux.

Le respect des dispositions de l’article 8 de la loi N° 02-054 du 16 Décembre 2002 portant Statut de la Magistrature, relatives à l’installation solennelle des chefs de juridiction et de parquets (Point 17), selon le gouvernement, passe par un arrêté du ministre de la justice. A cet effet, il estime qu’un délai court peut être envisagé pour la préparation par la Dnaj d’un projet à cet effet.

Et concernant le point 18 relative à la conception d’un programme adapté de formation de base et le soutien à la formation continue des magistrats, le gouvernement rassure qu’une politique nationale est en cours d’élaboration.

Cependant le gouvernement ne pipe mot sur les revendications 19, 20 et 21. La première concerne l’inscription du SAM au budget du Ministère de la Justice concernant les frais et charges afférents à sa qualité de membre de l’Union Internationale des Magistrats. La deuxième a trait à l’octroi au SAM de sa place au sein du Conseil Économique, Social et Culturel, conformément à l’arrêt N° 76 du 15 Août 2002 de la Section Administrative de la Cour Suprême. Et la dernière concerne le renforcement des mesures de sécurité.

Par rapport à la dotation de chaque magistrat en passeport de service, en général, et particulièrement ceux de la Cour Suprême, les Présidents des Cours d’Appel, les Procureurs Généraux près les Cours d’Appel et le Directeur Général de l’Institut National de Formation Judiciaire en passeport diplomatique (point 22), le gouvernement souligne que les conditions de délivrance du passeport diplomatique et du passeport de service en République du Mali sont fixées par le décret n°04-134/P-RM du 27 avril 2004. Ainsi, aux termes de l’article 4 dudit décret, les magistrats qui ont droit au passeport diplomatique sont le président, le vice-président, le procureur général et les présidents de la section de la Cour suprême. Et l’article 9 indique les magistrats qui ont droit au passeport de service sont les membres de la cour suprême, les présidents des cours d’appel, les procureurs généraux près des cours d’appel, les directeurs des services centraux et leurs adjoint et assimilés. Par conséquent, l’état actuel des textes portant sur cette question ne permet pas d’étendre la délivrance du passeport de service aux autres magistrats.

Les points 23, 24, 25 et 26 n’ont fait l’objet d’aucun commentaire dans le mémoire de défense du gouvernement. Le point 23 concerne la dotation des magistrats de la Cour Suprême, des chefs de juridiction et de parquet en véhicule de fonction. Le point 24 est relatif à la dotation de chaque Cour d’Appel, de chaque Tribunal de Grande Instance et de chaque Tribunal d’Instance en véhicule d’extraction. le point 25 exhorte l’Etat à plus de transparence dans l’attribution des titres de distinction et la disponibilité des critères d’avancement pour une meilleure prise en compte des magistrats. Et le point 26 demande l’adoption d’un programme de logement des magistrats.

En fin, sur le dernier point, l’exonération de la totalité des droits et taxes pour toute importation faite par le magistrat (chaque trois an), le gouvernement est on ne peut plus clair : cet avantage n’existe dans aucun corps, à l’exception de la Douane où il est autorisé pour chaque agent la franchise de 50% sur l’importation d’un véhicule personnel tous les cinq ans.

I B Dembélé

 

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