L’Agence malienne pour le développement de l’énergie domestique et l’électrification rurale (Amader) traverse des moments difficiles, voire très difficiles. Et pour cause : cette Agence a été récemment condamnée par le Tribunal de grande instance de la Commune V à verser plus de 200 millions F CFA à la société Abis Distribution au titre de réparation du préjudice et dommages et intérêts pour non-respect des clauses d’un contrat de projet l’électrification à Lambidou dans la région de Kayes. De son côté, l’Amader, par la voie de son conseiller juridique Mamadou Sarré, crie au scandale à travers cette décision de justice qui ramerait à contre-courant des lois qui régissent les services administratifs.
De quoi s’agit-il au juste ? Aux dires du gérant d’Abis Distribution, Binafou Sidibé, dans le cadre de l’électrification de la localité de Lambidou à travers un projet de la Banque mondiale, sa société a signé un contrat avec l’Amader.
“C’est en 2009 que nous avons signé le contrat pour l’électrification de cette zone, le coût global s’élevait à près de 200 millions de Fcfa. Notre participation au financement du projet était de 20 %, soit 44 millions de Fcfa que nous avons pu mobiliser grâce à notre banque, la Bcs, et le reste du montant devait être payé par l’Amader sur financement de la Banque mondiale. Dans le procédé, c’est l’opérateur (Abis distribution) qui doit faire le choix de la banque, c’était un compte joint dont le signataire était moi et le Daf de l’Amader, à l’époque un certain Diarra. Après avoir apporté et utilisé notre apport, à savoir nos 20 % dans le cadre du projet, l’Amader a refusé de verser les 150 millions de Fcfa dans notre compte”, introduit M. Sidibé, Comme prétexte, poursuit-il, l’Amader aurait demandé une lettre de confort attestant que le compte joint ouvert par Abis à la Bcs n’a pas d’antécédent.
“Toute chose qui nous a surpris dans la mesure où le Daf de l’Amader est cosignataire avec moi. Donc, comment peut-on mener des opérations à l’insu de ce dernier ?”, s’interroge M. Sidibé. Selon lui, malgré tout, la Bcs a rassuré l’Amader de sa crédibilité pour avoir mené beaucoup d’opérations ensemble.
“En dépit de cette assurance, l’Amader ne s’est pas exécutée. Dès lors, nous avons commencé à douter de la bonne foi de nos partenaires et les choses ont commencé à trainer car il était prévu de finaliser le projet en 2011 et en fin 2011 on devait commencer l’exploitation et le coup d’Etat a tout chamboulé”, regrette le patron de Abis qui affirme que le non versement de ce montant dans leur compte les a décrédibilisés au niveau de leur banque.
Cependant, le patron de Abis Distribution d’ajouter qu’en refusant de verser le montant du projet dans leur compte, l’Amader a en revanche demandé de payer directement toutes les entreprises avec lesquelles ils évoluent sur le terrain.
C’est ainsi que l’entreprise qui a fait les poteaux électriques et l’installation des fils a été directement payée par l’Amader. Mais le hic dans ce projet d’électrification de Lambidou, selon lui, est qu’après un investissement de plus de 150 millions de Fcfa de la Banque mondiale et d’Abis, le courant n’a jamais été allumé à Lambidou. Et pour cause, le groupe électrogène servant à alimenter la petite centrale et le véhicule pour le déplacement qui était aussi prévu n’ont pas été achetés. Raison invoquée du côté de l’Amader : le fonds de la Banque mondiale aurait été rapatrié.
“Donc tous les investissements sur le terrain sont partis à l’eau dont notre apport personnel et la centaine de millions de Fcfa de la Banque mondiale. Un montant total de 150 millions de Fcfa. Ce n’est pas tout. Cette production d’électricité devait générer des ressources financières pour notre société. Au lieu de cela, nous avons perdu non seulement notre argent, mais aussi la crédibilité auprès de notre banque que nous avons remboursée à plus de 77 millions de Fcfa. C’est après cela que nous nous sommes tournés vers l’Amader pour la trainer devant le Tribunal de la Commune V car ce genre de comportements tue à longueur de journées des petites entreprises comme nous”, déplore M. Sidibé. Il se félicite du verdict de la Commune V qui a condamné l’Amader à payer plus de 200 millions de Fcfa au titre de réparation et des dommages et intérêts.
“Ils ont fait appel de ce verdict au niveau de la Cour d’appel et sont partis jusqu’à la Cour suprême. Dans toutes ces juridictions, ils ont perdu et d’ailleurs notre huissier a pu bloquer leurs comptes bancaires dans toutes les banques du Mali”, ajoute Binafou Sidibé qui ne demande qu’à être remis dans ses droits.
Approché par nos soins, le conseiller juridique de l’Amader, Mamadou Sarré, tout en confirmant cette condamnation, s’est dit étonné de cette décision de justice. “Nous condamner à payer 200 millions à Abis Distribution et saisir nos comptes bancaires n’ont aucun fondement juridique. Pour la simple raison que s’il y a une partie qui doit se plaindre, c’est naturellement l’Etat à travers l’Amader et les populations de Lambidou qui ont été tous victimes du non-respect de l’engagement contractuel d’Abis. Car après la signature du contrat, tout devrait être fini dans 3 mois et Abis Distribution a mis près de 3 ans sans finir les travaux. Et d’ailleurs, cette société n’était pas seule dans cette situation et beaucoup d’opérateurs n’ont pas pu finir dans le temps imparti pour le projet, dont la clôture était fixée au 30 juin 2012. Donc avec cette incapacité de ses opérateurs dont Abis Distribution, ce sont près de 4 milliards de Fcfa qui ont été retournés à la Banque mondiale aux termes du projet. Mais bien avant ce rapatriement des fonds, nous les avons alertés à maintes reprises de l’imminence du rapatriement des fonds. Donc ce n’est pas de notre faute. Ces réalisations allaient sans soute améliorer les conditions de vie des populations bénéficiaires”, soutient le conseiller juridique de l’Amader.
Pour lui, dans cette affaire, l’Amader étant un service de l’Etat, c’est le droit administratif qui devrait s’appliquer. Ce qui n’a pas été le cas, pour lui. “Nous relevons de l’article 90-110 qui interdit de saisir les biens meubles et immeubles des Epa, nous avons un régime particulier”, insiste M. Sarré qui regrette le fait que depuis la saisie de leurs comptes toutes les activités sont presqu’à l’arrêt.
Le maire de Lambidou s’invite dans le débat
Entre-temps, le maire de Lambidou, à travers une correspondance en date du 17 mai 2019 adressée au ministre de l’Energie Sambou Wagué, s’invite au débat : “L’électrification de Lambidou a commencé il y a 13 ans, durant toutes ces années, les populations ont connu et subi tous les aspects négatifs dans la réalisation de ce projet. L’inachèvement du projet a constitué un grand frein dans le développement du village de Lambidou… “ souligne le maire, tout en réclamant la prise en compte de la localité dans la phase 2 du projet hybride de l’Amader.
Affaire à suivre.
Kassoum THERA