Paix et réconciliation nationale : Le Mali sur les pas de la Justice transitionnelle

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Les Nations-Unies définissent la Justice transitionnelle comme « l’éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation ».

Oui ! La Justice transitionnelle est bel et bien entrain de sévir au Mali. Certes, il ne s’agit qu’un début d’application mais elle atteindra sa plénitude dans les mois ou années à venir. Car, il s’agit d’un long et périlleux processus différent à bien des points de la Justice classique. Il s’agit surtout d’un outil indispensable à tout pays éprouvé par un conflit ayant fortement affecté son tissu social. Et d’ailleurs, si le Mali connait de manière cyclique des crises et des conflits, c’est surtout parce qu’à chaque fois, l’on n’est pas allé au bout de ce qui pouvait être qualifié d’un début de Justice transitionnelle. A chaque fois, le processus a fait l’objet d’un arrêt brutal, laissant vivaces les blessures des différentes victimes. Des blessures aussi bien physiques que morales.

Des violations graves des droits de l’Homme ont été commises au Mali, notamment dans sa partie septentrionale après le coup d’Etat du 22 mars 2012, mais aussi avant. Le massacre d’une centaine de soldats maliens à Aguelhok par les combattants du MNLA et leurs alliés d’AQMI constitue une des pires atrocités perpétrées. Dès l’installation des autorités politiques légitimes, l’urgence de la prise en charge de ces violations a été à la base de plusieurs initiatives locales.

Les autorités de transition ont saisi la Cour Pénale Internationale(CPI), le 13 juillet 2012 lui demandant d’enquêter sur les crimes commis sur le territoire malien depuis janvier 2012. Dans une lettre adressée à la CPI, le ministre la Justice de l’époque, Malick Coulibaly, énumérait les violations graves et massives des droits de l’Homme : « les exécutions sommaires des soldats de l’armée malienne, les viols des jeunes femmes et filles, les massacres des populations civiles, l’enrôlement d’enfants soldats, les tortures, les pillages généralisés des biens appartenant aussi bien à l’Etat qu’aux particuliers, les disparitions forcées, la destruction des symboles de l’Etat… ». A titre d’initiatives, l’on peut également citer, la création d’une Commission Dialogue et Réconciliation plus tard devenue Commission Vérité et Réconciliation et les procédures judiciaires nationales. Ces procédures comportent deux volets, à savoir celles dirigées contre le Général Amadou Haya Sanogo et ses acolytes (en particulier le dossier dit des bérets rouges) et celles relatives aux conflits dans le nord comprenant les exactions commises par les groupes armés, jihadistes comme rebelles et aussi par l’armée malienne.  Concernant le dossier du putschiste, le juge d’instruction a fini de préparer les dossiers et les auteurs et complices présumés n’attendent que d’être renvoyés devant le Tribunal de première instance pour jugement. Quant à ceux du nord qui sont au nombre de 200, ils sont toujours en instruction devant ce même tribunal grâce à une décision de la Cour Suprême dessaisissant les juridictions du ressort duquel les crimes ont été commis. Cependant, la tâche est ardue. Les magistrats instructeurs sont réticents à se rendre au septentrion malien et les victimes ont peur de témoigner de crainte d’être à nouveau victime de leurs agresseurs.

Le Mali a également mis en œuvre un processus de réconciliation nationale avec la tenue de dialogues communautaires et par la continuation des négociations de paix avec les groupes rebelles du nord. Autant d’éléments qui prouvent que le pays est bel et bien dans une dynamique de Justice transitionnelle. Une dynamique qui devra continuer et passer outre tous les obstacles qui se dressent devant elle.

Néanmoins, il est à préciser que dans cette démarche, le gouvernement et la société civile sont soutenus par l’  « Initiative Etat de Droit » de l’Association du Barreau Américain (ABA ROLI) qui opère au Mali depuis janvier 2011. Il s’agit d’un organisme qui aide notre pays à renforcer ses capacités en matière de mise en œuvre du processus de Justice transitionnelle à la malienne plaçant les victimes au centre des préoccupations post-conflit.

Concept de Justice transitionnelle dans le contexte malien

Plusieurs fois dans son histoire, le Mali a effleuré le concept de Justice transitionnelle sans jamais vraiment l’appliquer dans toute sa plénitude. A chaque période où a eu lieu des transformations socio politique, des mesures et décisions ont été prises pour consolider la cohésion sociale et le retour de la paix. Mais elles n’ont jamais pris un pied sur le plan des droits de l’Homme, indispensable dans la Justice transitionnelle. A chaque fois, il y a eu des tentatives de dédommagements des victimes et de poursuite des auteurs et de leurs complices. Ce fut le cas à la fin du régime de Moussa Traoré en mars 1991 ainsi que lors de la Transition qui a succédé au putsch du 22 mars 2012 et aux différentes vagues de rébellion qui ont secoué le nord.

Aux yeux de l’opinion publique, la Justice transitionnelle est limitée aux commissions vérités. Les  initiatives prises au niveau des plus hautes autorités pour établir la vérité des faits en situant les responsabilités des auteurs n’en feraient pas partie. Chose qui n’est pas tout à fait juste . En vérité, toutes les poursuites pénales par les instances nationales et internationales, les programmes de réparation, les réformes institutionnelles sont des composantes de la Justice transitionnelle. Encore aujourd’hui, bon nombre de maliens considèrent qu’elle relève du domaine des arrangements uniquement. Il y a une nécessité de véhiculer ce qu’elle est réellement.

Pour une bonne application dans le cas malien, la stratégie de Justice transitionnelle devra s’assurer de ne pas rendre les communautés et victimes vulnérables et de ne pas les exposer à de nouvelles violations des droits de l’Homme. Elle doit refléter une mesure de hiérarchisation des priorités des recours pour les communautés et victimes. Enfin elle doit assurer un consensus de toutes les parties à la crise malienne, en insérant son mécanisme dans le processus de paix d’Alger tout en préservant les principes fondamentaux relatifs aux respects des principes des droits de l’Homme.

La Cartographie des violations des droits de l’Homme : un  élément essentiel de la Justice transitionnelle

Au Mali, la Justice transitionnelle va couvrir les évènements et les violations des droits de l’Homme qui se sont déroulés depuis son indépendance conformément à l’ordonnance N°2014-003/PRM du 15 janvier portant création de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR). Dans son article 3, elle stipule que les travaux de la CVJR couvrent la période qui s’étend de 1960 à 2013. L’énormité du champ d’application de la Commission est due au caractère cyclique des violations des droits de l’Homme qui doivent toutes être traitées pour éviter une répétition.

L’existence d’une cartographie des évènements et violations des droits de l’Homme est un élément crucial dans toute Justice transitionnelle. Ça permet à ses institutions d’avoir une vue globale sur la nature et la portée de la crise. Dans le cas malien, plusieurs ONG de défense des droits de l’Homme disposent d’une banque de données recensant les cas de violation graves. Par exemple, « Freedom House », avec le soutien d’ « ABA ROLI » qui a effectué un monitoring des violations des droits de l’Homme commis entre janvier 2012 et juillet 2014,  500 cas ont été répertoriés et enregistrés dans une base de données incluant des assassinats et tentatives d’assassinats, des atteintes à l’intégrité physique, des maltraitances psychologiques, des mariages forcés dans les régions de Bamako, Gao, Kidal, Tombouctou, Mopti et Ségou, entre autres. D’autres organisations nationales sont actives dans ce domaine notamment Amnesty International Mali, Association Malienne des Droits de l’Homme (AMDH)…

Ahmed M. Thiam

 

(Encadré)

Quelques grandes lignes pour la bonne marche de la Justice transitionnelle

Placer les victimes au centre des préoccupations post-conflit en les appuyant à s’organiser en associations pour une meilleure identification, en veillant à leur implication dans le processus de réconciliation nationale et plaidoyer pour que les négociations et les accords de paix ne mettent pas en péril les recours judiciaires et non judiciaires des personnes lésées.

Consolider la cartographie des violations des droits de l’Homme pendant le conflit pour une meilleure prise en charge des victimes. Cela comprend, entre autres, la documentation des nouveaux cas de violations des droits de l’Homme, la sensibilisation des communautés pour qu’elles participent à cette cartographie et la coopération avec les organes judiciaires de prise en charge des victimes afin d’identifier des cas de violations des droits de l’Homme et éventuellement protéger l’identité de la victime dont le consentement n’est pas exprimé.

Opérationnaliser la Commission Vérité Justice et Réconciliation en préservant son indépendance notamment vis-à-vis  du pouvoir exécutif en assurant sa transparence et en la dotant de tous les moyens possibles pour lui permettre de trouver la vérité.

Considérer et incorporer les pratiques coutumières et religieuses dans la conception des politiques de justice transitionnelle.

Créer un cadre opérationnelle des programmes de réparation en identifiant les victimes et leurs besoins spécifiques en rapport avec les réparations et en mettant un accent particulier sur celles psychologiques et la reconnaissance des torts subis.

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