Accusés de meurtre, séquestration, trouble grave à l’ordre public et détention d’arme à feu, Radéni Ousmane Maïga (né vers 1994 à Bourem) et Sékou Bouri Yattara (cordonnier, né vers 1992 à Diré), tous deux combattants du groupe d’autodéfense CMFPR 2, ont été jugés le mardi 29 juin 2021. N’ayant pas comparu, Radéni Ousmane Maïga a été condamné à la réclusion à perpétuité et une année d’interdiction de séjour au Mali. Sékou Bouri Yattara, présent à l’audience, a écopé de 18 mois de prison dont 12 avec sursis. Ayant fait 9 mois en prison, il sera libéré à sa sortie des audiences. Les faits !
L’information a établi qu’à la faveur des accords du 15 juin 2015, le cercle de Diré a connu plusieurs mouvements d’auto-défense dont la CMPFPR 2 commandée par Kola Touré et présidée par son grand-frère consanguin, Bocar Aly Touré. A cause d’un problème de leadership, les deux frères ne s’entendaient point. Finalement, Kola a abandonné petit à petit la base pour former une petite base au quartier “Millionking”. Bocar, se rendant compte que les choses prospéraient chez Kola, a pris contact avec Ibrahim Diallo, chef d’état-major du mouvement se trouvant à Bamako au moment des faits, pour l’en informer. Ce dernier, de commun accord avec Bocar, a radié Kola Touré.
Après cette décision de radiation, Bocar, à partir de Bamako, a ordonné au lieutenant Radéni Ousmane Maïga d’aller récupérer les armes et munitions que le radié détenait en les considérant comme siennes. En exécution de cet ordre, Radéni Ousmane Maïga, à la tête d’un commando, armé de pistolets mitrailleurs (PM) va se rendre au niveau de la base de Kola pendant qu’il était absent. Une altercation a éclaté entre ses hommes et ceux de Kola. Les coups de feu ont tonné et des balles ont atteint Ahmed Sangho (adjoint de Kola) qui en est mort et son corps a été jeté dans le fleuve.
Sékou Bouri Yattara dit “Big” et autres combattants de Kola ont été désarmés, ligotés et séquestrés. Après les faits, un jeune combattant de la CMPPR 2 du nom d’Emmanuel Nassoko va informer la Brigade territoriale de Diré. C’est ainsi que cette unité d’enquête a interpellé Radéni Ousmane Maïga et Sékou Bouri Yattara dit “Big”. La justice de paix à compétence étendue de Diré a ouvert une information judiciaire contre eux.
L’inculpé Radéni Ousmane Maïga a nié le crime de meurtre tant à l’enquête préliminaire que devant le juge instructeur. A l’enquête préliminaire, il a déclaré qu’Ahmad Sangho est mort suite à des échanges de tirs et devant le juge instructeur, il a dit qu’il est mort à la suite de l’explosion de la grenade qu’il portait sur lui. Ces contradictions dans les propos de Radéni Ousmane témoignent de leur manque de sincérité.
Il ressort clairement des pièces de l’information que c’est lui qui a volontairement donné la mort à Ahmad Sangho. Plusieurs témoins entendus (Dramane Sissoko, Bouréima Terera, Moussa Ag Mohamed), soutiennent cette version. Ils ont déclaré que Radéni Ousmane et ses hommes ont poursuivi Sangho qui avait jeté son arme retrouvée à 20 mètres des toilettes des classes. Malgré cette capitulation de Sangho, Radéni lui a tiré dessus et jeté son corps dans le fleuve.
S’il était mort à la suite de l’explosion de la grenade, son corps n’allait pas être repêché. En plus, Sangho n’a pu faire usage de son arme et s’est même enfui. Radéni n’avait aucune raison de l’abattre dans la mesure où ses hommes avaient déjà enlevé toutes les armes et munitions au niveau de la base de Kola, raison de leur présence. Radéni, lui-même, sans ambages, a reconnu avoir donné des instructions à ses éléments pour immobiliser Sékou Bouri Yattara dit “Big” et le garder dans un local de la base.
Le crime de séquestration, tel que défini par l’article 237 du code pénal, est constitué. Radéni Ousmane Maïga et Sékou Bouri Yattara dit “Big” ont reconnu avoir détenu et utilisé les armes à feu pendant ce combat. Ils s’accordent à dire qu’ils les ont eues avec les responsables de leurs mouvements respectifs, mais sans être en mesure de produire dans le dossier les documents y afférents. A partir du moment où ces pièces ne sont pas versées au dossier, le délit de détention illégale d’arme à feu tel que défini par la loi n°04-050 du 12 novembre 2004 portant armes et munitions en République du Mali est constitué.
En plus, le délit de trouble à l’ordre public est aussi constitué car tous ont reconnu au moins avoir fait des tirs de sommation troublant la tranquillité de paisibles citoyens. En conséquence de tout ce qui précède, il résulte des charges suffisantes contre Radéni Ousmane Maïga, d’avoir dans la Commune urbaine de Diré à Alwalidji dans la nuit du 28 septembre 2016, en tout cas depuis moins de 10 ans, volontairement commis un homicide sur la personne de Ahmed Sangho, d”avoir dans les mêmes circonstances de temps et de lieu que ci-dessus, en tout cas depuis moins de 10 ans, sans ordre des autorités publiques et hors les cas où la loi ordonne de saisir les prévenus, arrêté, séquestré et détenu Sékou Bouri Yattara dit “Big” ; d’avoir, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu que dessus, en tout cas depuis moins de 3 ans, détenu une arme de type PM (pistolet mitrailleur) sans être possesseur d’un permis de port d’arme relatif à ladite arme ; d’avoir enfin, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, en tout cas depuis un temps non encore couvert par la prescription, tiré plusieurs coups de feu dans le dessein d’entraver ou d’empêcher la libre circulation des personnes et de semer la panique au sein de la population avec cette circonstance que les faits ci-dessus spécifiés ont été commis par attroupement armé et en bande.
Et Sékou Bouri Yattara “Big” d’avoir, dans la Commune urbaine de Diré, dans la nuit du 28 septembre 2016, en tout cas depuis moins de 3 ans, détenu 2 armes de type PM (pistolet mitrailleur) et PA (pistolet automatique) sans être possesseur de permis de port d’arme relatif auxdites armes, d’avoir dans les mêmes circonstances de temps et de lieu que dessus, en tout cas depuis un temps non encore couvert par la prescription, tiré plusieurs coups de feu dans le dessein d’entraver ou d’empêcher la libre circulation des personnes et de semer la panique au sein de la population, avec cette circonstance que les faits ci-dessus spécifiés ont été commis en attroupement armé et en bande, faits prévus et punis par les dispositions des articles 199, 200, 257, 63 du code pénal et la loi n°04-050 du 12 novembre 2004 régissant les armes et munitions en République du Mali. Ces faits peuvent donner lieu à l’application de peines criminelles.
Les résultats des expertises mentales du 18 août 2017 versés au dossier concluent qu’ils ne sont atteints d’aucune anomalie mentale susceptible d’influer sur leur responsabilité pénale pour les faits qui leur sont reprochés.
Les renseignements de personnalité recueillis sur les inculpés leur sont favorables. Les demandes de bulletin n° 2 n’ont pas été suivies d’effet.
Par ces motifs, la Cour, vidant son délibéré conformément à la loi, statuant en chambre du conseil criminelle et en dernier ressort, déclare suffisamment établies à l’égard des inculpés Radéni Ousmane Maïga et Sékou Bouri Yattara, les préventions de meurtre, séquestration, troubles graves à l’ordre public et détention illégale d’armes à feu, prononce en conséquence leur mise en accusation devant la Cour d’assises de Mopti en raison des faits ci-dessus spécifiés et qualifiés, décerne ordonnance de prise de corps contre eux et les renvoie devant la Cour d’assises du ressort de la Cour d’appel de Mopti pour y être jugés conformément à la loi.
Les accusés reconnus coupables des faits
Comparaissant seul devant les juges, Sékou Bouri Yattara a reconnu avoir détenu les deux armes (PM et PA) citées dans l’arrêt de renvoi et avoir fait 8 coups de sommation qui, pour lui, étaient faits pour alerter l’Armée nationale avec qui son groupe d’autodéfense collabore pour sécuriser la ville de Diré. Il a aussi reconnu n’avoir pas de permis ou d’autorisation de port d’arme, les armes appartenant à son groupe d’autodéfense. Il a relaté les circonstances de la mort de Sangho telle que décrites dans l’arrêt de renvoi.
Interrogée, Alima Traoré (l’épouse de Sangho, constituée partie civile) dira aux juges qu’elle ne sait rien de cette affaire. Tout ce qu’elle a pu dire, c’est que son mari et Sékou Bouri Yattara “Big” étaient des intimes amis et ils étaient ensemble le jour des faits. Elle savait que son mari était un combattant du groupe d’autodéfense.
Dans son réquisitoire, le ministère public a souligné que l’Etat central a failli. Ce qui a favorisé la prolifération des armes qui font plus de dégâts. Pour cela, il a interpellé l’Etat afin de mettre fin à cette anarchie. Pour lui, les choses sont simples. Il y a deux accusés dont un seul a comparu devant les juges. A son entendement, Sékou Bouri Yattara ne peut justifier la provenance de ses armes. Et son aveu suffit à maintenir sa culpabilité de détention illégale des armes et la sommation de 8 coups qui a troublé l’ordre public. Ce qui fait que la responsabilité pénale de Sékou Bouri Yattara est établie. Et les conditions de sa répression sont réunies pour le maintenir dans les liens de l’accusation car, à ses dires, “un civil n’a pas le droit de détenir une arme de guerre”.
Me Mahamadou H. Sidibé, l’avocat de l’accusé Sékou Bouri Yattara “Big”, a signalé que l’Etat a été incapable d’assurer la défense des populations contre les agressions des bandits armés. Ce qui a favorisé la création des groupes d’autodéfense pour le suppléer dans la sécurisation des populations.
“C’est connu, ces groupes d’autodéfense ne travaillent pas avec des bâtons, mais avec des armes de guerre que l’armée ne récupère pas. Dans ces conditions, peut-on parler de détention illégale d’armes de guerre ? Non, non. La détention des armes par les groupes d’autodéfense se justifie par un accord tacite desdits groupes avec l’Etat. Le ministère public ne doit pas noyer le poisson dans l’eau. Je demande à la Cour de prendre sa responsabilité en acquittant Sékou Bouri Yattara «Big» qui n’a fait que tirer en l’air pour alerter l’Armée des incursions du groupe rival. Où est donc le trouble à l’ordre public ? Il ne faut pas chercher à détruire la vie de Sékou Bouri Yattara “Big “.
Dans cette affaire, il ne s’agit pas de condamner pour la forme ou de punir. Si les groupes d’autodéfense ne sont dissouts, le port des armes est donc justifié. Je demande à la Cour de répondre non à la question de la culpabilité de mon client”, a-t-il plaidé.
Dans sa délibération, la Cour a reconnu Sékou Bouri Yattara “Big” coupable de détention illégale des armes de guerre, mais avec des circonstances atténuantes. L’accusé n’a pas été retenu pour trouble à l’ordre public. Pour la peine, le ministère public a requis une peine exemplaire. L’avocat de l’accusé a demandé de sauver son client en lui accordant une chance avec une condamnation assortie de sursis. Comme dernier mot, l’inculpé a sollicité la clémence de la Cour car, a-t-il soutenu, il a fait une erreur en détenant une arme sans autorisation de port d’arme.
Les cris de cœur de l’accusé et de son avocat ont été entendus par la Cour qui a condamné Sékou Bouri Yattara “Big” à 18 mois de prison dont 12 avec sursis. Ayant déjà fait 9 mois de prison, il sera libéré après l’audience.
Par contre, Radéni Ousmane Maïga (qui n’a pas comparu) a été jugé par contumace et condamné à la réclusion à perpétuité et une année d’interdiction de séjour au Mali. En arrêt civil, Alima Traoré (l’épouse de Sangho la victime) n’a rien demandé comme dommages et intérêts.
Baptême du feu réussi par Moussa Sanogo (le président de séance du jour)
Un fait insolite a été signalé après le verdict du procès. Moussa Sanogo (conseiller à la Cour d’appel), le président de la Cour d’assises du jour et qui présidait pour la première une audience, a réussi son baptême du feu avec un coup de maître. Il a surpris ses pairs en dirigeant le procès avec dextérité et confiance, comme s’il avait l’habitude de présider une audience. Il a été félicité par ses pairs dont le premier président de la Cour d’appel pour la bonne conduite de l’audience avec satisfaction.
Siaka Doumbia
Envoyé spécial à Sévaré