«Sans l’indépendance de la justice il n’y a pas d’Etat de droit» qui est le passage obligé pour parvenir à la stabilité du Mali ! Ainsi s’exprimait l’ancien Premier ministre, Boubou Cissé depuis son exil (il a fui la justice malienne pour se réfugier en Côte d’Ivoire), dans une récente tribune sur la situation politique de notre pays. Il y a dénoncé les détentions provisoires qui s’éternisent, le non-respect des droits de certains détenus et des jugements retardés à dessein. Dans sa situation, on peut comprendre le courroux de l’ex chef du gouvernement de feu Ibrahim Boubacar Kéita dit «IBK». Sauf que, après avoir donné des signes d’espoir quant à sa rédemption, la justice malienne semble retomber dans ses travers.
Pour l’Observatoire citoyen sur la gouvernance et la sécurité (OCGS), le pouvoir de transition, dans la ferveur populaire qui a accompagné le coup de force militaire d’août 2020, a «promis des changements en profondeur» dans la gouvernance du pays. Et nous savons que, en 2020, le pouvoir de feu le président Ibrahim Boubacar Kéita dit «IBK» avait été «fortement fragilisé» par la dégradation du contexte sécuritaire ainsi que de nombreuses affaires de corruption impliquant son entourage sur fond d’impunité.
Ces deux questions, la sécurité et la justice, pour lesquelles le président était fortement attendu à son élection en 2013, ont fini par «cristalliser les mécontentements» et favorisé le soulèvement ayant conduit à sa chute quelques mois après sa réélection en 2018. A la faveur de la transition, de nombreux Maliens ont à nouveau nourri l’espoir sur la fin de l’impunité, l’amélioration des conditions de vie et la sécurité sur l’ensemble du territoire.
Si pour l’OCGS l’analyse de l’environnement politique et social malien en cette période de transition fait ressortir des attentes et des défis multiformes, quelques éléments méritent une attention particulière. D’abord, les attentes au sujet d’une meilleure distribution de la justice et la lutte contre l’impunité étaient une demande forte des Maliens. A ce niveau, conscients qu’une bonne partie de leur légitimité repose sur la prise en charge de cette demande, dès les premiers mois de la transition les autorités ont affiché une volonté politique dans ce sens. Des arrestations ont visé des responsables du régime d’Ibrahim Boubacar Kéita en lien avec les affaires dites de l’acquisition du Boeing présidentiel et des contrats d’armements surfacturés. «Mais, ils ont laissé Karim Kéita quitté le pays alors qu’il est au cœur de toutes les malversations financières sous le règne de son père», a dénoncé un activiste.
Mais, en l’absence d’un audit de la loi d’orientation et de programmation militaire, certains interlocuteurs estiment qu’il est difficile de convaincre quant à la sincérité de la lutte contre la corruption. Pourtant, rappelle l’OCGS, «le narratif de l’audit de cette loi a été utilisé pour justifier le renversement de Bah N’Daw et de son premier ministre Moctar Ouane, en mai 2021». L’objectif opérationnel fixé à cette loi était de disposer (en 2019) d’une chaîne de commandement idoine avec des FAMa en mesure de faire face à un conflit sur le territoire. Tout comme le pays devait être en mesure de déployer un bataillon formé aux OMP30.
A l’époque, faut-il rappeler, ces affaires avaient révélé avec acuité le problème lié à l’assainissement des finances publiques et de lutte contre la corruption qui, malgré les discours, souffre d’un manque de volonté politique. «Pendant que certains de ces prévenus attendent toujours d’être jugés, le constat dressé par certains interviewés est désabusé quant à la rupture attendue et au motif qu’une corruption énorme s’est installée à la tête du pays».
Malgré cette volonté affichée des autorités de la transition, rappelle la note, les rumeurs de népotisme et de détournements continuent de jalonner la vie politique. Ainsi, en août 2022, la presse s’est fait l’écho de ce qu’elle qualifie de «détournement de procédure» dans l’attribution d’un marché de BTP de 24,2 milliards de francs CFA. L’un des scandales les plus emblématiques est celui des logements sociaux qui, en février 2022, a éclaboussé le ministre de l’Habitat, chargé du dossier. Tout comme le Premier ministre. Destinés aux populations à «revenus faibles ou intermédiaires», les Maliens ont été surpris de retrouver sur la liste des bénéficiaires des proches de membres du gouvernement, y compris du chef du gouvernement qui s’était voulu pourtant l’apôtre du changement en mobilisant la rue pour renverser feu IBK.
La levée de boucliers a amené le président de la Transition à monter au créneau pour ordonner l’annulation de la liste des bénéficiaires. Mais, le mal était presque fait parce que ce scandale a semé le doute dans le cœur de nombreux Maliens qui ont commencé à se poser des questions quant à la sincérité de l’engagement des autorités de la transition de créer les conditions d’une gouvernance vertueuse du «Mali Kura».
«Les dispositions pouvaient être prises sur la question des détournements. Des ministres à remercier sur la question des logements et la gestion des engrais. Nous ne sommes pas arrivés à cette rupture que nous demandions. C’est du IBK sans IBK. L’État continue dans les mêmes pratiques mafieuses (corruption, népotisme, détournements…). Et cela n’augure pas d’un avenir calme», a confié aux enquêteurs de l’OCGS un dirigeant politique qui soutient pourtant la politique du pouvoir de la transition à l’égard des partenaires du Mali.
Moussa Bolly