C’est sur fond de dissentiment, si ce n’est de ressentiment qu’a eu lieu l’audience solennelle de Rentrée des Cours et Tribunaux 2019-2020, ce 18 novembre, à la Cour suprême, sise à Banankabougou, sous le thème : «Rôle de la Cour Suprême en matière de lutte contre les infractions financières et budgétaires». Comme annoncé dans leur Communiqué conjoint N° 08 du 10 novembre 2019, le Syndicat Autonome de la Magistrature (SAM) et le Syndicat Libre de la Magistrature (SYLIMA) ont mis à exécution leur mot d’ordre de boycott : ‘’le SAM et le SYLIMA, tout en se félicitant de la réconciliation progressive du Peuple avec sa Justice, invitent les Magistrats ainsi que leurs amis à boycotter la Rentrée Judiciaire du 18 novembre 2019’’.
‘’La Magistrature malienne continue à ruminer le traitement, peu amène, qui lui a été réservé par certains de ses interlocuteurs lors du mouvement de grève passé et cela avec, curieusement, la complicité active de certains de ses propres fils avec à leur tête l’actuel plus haut magistrat professionnel du Mali. Aussi, se souvient-elle du déni de justice dont elle est l’objet par le blocage systématique des procédures qu’elle initie à la plus haute juridiction’’.
Il ressort de ce communiqué, la non-exécution d’une revendication des deux syndicats, à savoir la ‘’démission’’ (limogeage ?) du Président de la Cour suprême, Nouhoum TAPILY, et certains blocages inexpliqués des procédures, au niveau de la haute juridiction.
Vindicatifs, jusqu’au-boutistes, à la limite du pronunciamiento, les syndicats de Magistrats font dans la démesure sur ce dossier. Il y a-t-il une entreprise de diabolisation d’un magistrat chevronné ?
Si cette action de boycott est moins pénalisante que de priver les citoyens, pendant plus de 100 jours, de la distribution de la justice et de l’accès à certains actes légaux ; il n’en demeure pas moins qu’elle offre le visage hideux de la justice malienne qui se présente pourtant comme une famille, ‘’la famille judiciaire’’.
Cette action de boycott montre à quel point le Président TAPILY fait l’objet de byssus syndical. Parce que, le 10 octobre 2018, une Assemblée Générale Extraordinaire Conjointe du SAM et du Syndicat Libre de la Magistrature (SYLIMA) exigeait : ‘’la démission de Monsieur Nouhoum TAPILY de ses fonctions de Président de la Cour Suprême et engage les syndicats à porter plainte contre lui pour forfaiture et violation de son serment’’. L’exigence est plus que jamais maintenue.
L’action de boycott traduit également la difficulté de praticiens du droit à se soumettre à la loi. Parce que c’est la Loi fondamentale qui dispose des conditions de nomination du Président de la Cour suprême, en son article 84 : ‘’la Cour suprême est présidée par un magistrat de l’ordre judiciaire nommé par le président de la République sur proposition conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Le président de la Cour suprême est assisté d’un vice-président nommé dans les mêmes conditions’’. Il est donc difficile d’envisager son départ sur de simples différences d’approches sur des sujets donnés.
Au-delà de la crise émotionnelle liée à la grève des 100 jours, il faut renouer avec la réalité qui impose un aggiornamento de la justice qui gagnerait en une introspection pour se réconcilier avec la population. L’ennemi à abattre, ce n’est certainement pas le Président de la Cour suprême ; mais le démon qui habite chacun, détournant du vrai défi qu’est la restauration de l’image de la justice malienne auprès des justiciables. Le challenge, c’est une nouvelle virginité de la justice. Or, d’évidence, les querelles byzantines qui ébranlent la ‘’famille judiciaire’’ ne sont pas pour y contribuer particulièrement. Mettre fin à la guéguerre improductive serait indubitablement salvateur pour une corporation qui doit avoir bien d’autres chats à fouetter. Il est possible d’arrêter de regarder dans le rétroviseur, pour avancer. D’ailleurs, Winston Churchill disait : «il n’y a aucun mal à changer d’avis, pourvu que ce soit dans le bon sens». Le bon sens, dans le cas d’espèce, c’est de contribuer au renouveau de la justice.
PAR BERTIN DAKOUO