Grève des magistrats: le garde des sceaux enfonce l’Etat

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Mamadou-Ismaila-Konate, ex-ministre de la Justice

Hors de portée des radars depuis l’enlisement de la grève illimitée déclenchée par les magistrats et en dépit des graves accusations dont il fait l’objet, à la faveur de l’appel vendredi soir de la levée du mot d’ordre de grève du Comité directeur du SAM, le Garde des sceaux, ministre de la Justice, Me Mamadou I Konaté, s’est invité sur le plateau du journal de « 20 heures » de l’ORTM.

Peu scrupuleux de la non-ingérence dans les affaires syndicales, dans un contexte de fort déchirement voire d’imbroglio au sein du SAM, le ministre de la Justice a presque adoubé la tendance dirigée par le président Chérif Koné, dont il vante la légitimité.

Pensant l’affaire dans le sac, il pérore sur la représentativité du plus ancien et du plus grand syndicat des magistrats en faisant passer les autres (les contestataires du SAM et le SYLMA, qui le suivent dans leurs salons) comme quantité négligeable. Pensant avoir conforté le bloc qu’il présente comme légal et légitime, le ministre de la Justice, par son intrusion à peine voilée dans le conflit interne, a réussi à griller le président Chérif Koné et à conforter ses adversaires dans leurs prétextes et accusations.

Comme un consultant syndical, il encourage, pardon appelle, à coup de menaces à peine voilées, les magistrats à reprendre le travail lundi. « Aucun gouvernement, aucun État de droit ne peut se contenter de plus de trois semaines d’absence des magistrats dans les juridictions. De ce point de vue là, nous sommes suffisamment responsables aujourd’hui, pour demain prendre en compte la situation personnelle de ceux qui vont décider de venir librement travailler. Ceux-là vont être dans les juridictions, vont avoir accès aux tribunaux et vont avoir accès aux dossiers.

Les autres sont libres d’observer le mot d’ordre de grève, mais alors, il faut simplement qu’on prenne conscience que la contrepartie de la grève, c’est l’absence de salaire. La contrepartie de la grève, c’est aussi la situation dans laquelle le magistrat lui-même peut ne pas être présent sur son lieu de travail. De ce point de vue là, s’il faut encore que le gouvernement passe par d’autres mesures, notamment recruter des magistrats c’est n’est pas exclu », martèle-t-il.

Les questions qui viennent à l’esprit sont : comment cette verve ne s’est-elle pas manifestée depuis le début de la grève ? Comment un responsable a-t-il pu laisser les magistrats trois semaines hors de leurs juridictions ? Les comptes d’apothicaire faits en direct à la télévision peuvent-ils exempter le gouvernement qu’il représente sur le plateau de l’ORTM de sa responsable pleine à juguler à prévenir, à anticiper la crise syndicale magistrale, la première depuis que le Mali est Mali.

En confabulant et jacassant, de manière sordide et peu amène sur le traitement des magistrats à l’aune de leurs prétentions syndicales, le ministre Konaté ne fait pas un exercice d’éclairage, il règle ses comptes et jette l’ensemble des juges en pâture et à la vindicte de l’opinion. Regardez ces messieurs qui ont déjà pleins les poches et qui exigent plus dans la situation du pays ! Le ressenti est terriblement vexant pour les magistrats et son effet désastreux pour leurs doléances qu’ils estiment légitimes qui « n’ont reçu aucune contreproposition » de la part du gouvernement. Un gouvernement, qui craignant une flambée et une maximalisation des revendications, s’est emmuré derrière la préservation des équilibres budgétaires et n’a pas donné de suite aux demandes des magistrats.

Comptant sur le pourrissement de la situation, la récolte a été un bel enlisement. N’est-ce pas parce qu’ils ont su tenir bon que le gouvernement a lâché du lest ? Dès lors le ministre de la Justice est mal-fondé à présenter les concessions comme un trophée, une preuve de bonne volonté du gouvernement qu’il brandit.

C’est pourquoi il n’est pas exagéré de voir dans cette sortie inattendue, une opération de Com incendiaire dont les conséquences impacteront forcément et gravement le cours des négociations. En effet, comment faire prospérer le souci d’apaisement et le besoin de rétablir le dialogue en invectivant et en brandissant des menaces à l’emporte-pièce ? Plus que tout autre, Me Konaté devrait se convaincre qu’« il n’y a pas vierge à la maternité » et ce n’est pas le fait de recruter d’autres magistrats qui va résoudre l’équation syndicale posée.

Enfin, déballant sur la page Facebook du ministère de la Justice, la stratégie à minima pour faire face à la situation, le Garde des sceaux ne fait qu’enfoncer davantage le gouvernement. Parce qu’il reconnaît et endosse la responsabilité de l’épreuve de force désormais engagée : « Les premières négociations entamées sur ces bases ont échoué. Le gouvernement, conscient de ce que d’autres corps tout aussi méritants que celui des magistrats seraient alors légitimement fondés d’exprimer les mêmes demandes. Au risque de voir l’explosion des équilibres budgétaires, le gouvernement n’a pas donné de suite à ces demandes. »

Mais enfin, attendons de voir le gouvernement prendre toutes ses responsabilités et agir en conséquence, comme le promet le ministre de la Justice.

Par Sékou CAMARA

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