Énième renvoi du procès de Sanogo : Les raisons d’un blocage

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Sanogo à la barre ce mercredi 30 novembre 2016 à Sikasso (Photo Ministère de la Jutsice)

Pour la deuxième fois en 72 heures, vendredi dernier, le procès d’Amadou Haya Sanogo a été renvoyé à ce matin. Le chef de l’ex junte et 16 de ses co-accusés comparaissent devant la Cour d’assises de Bamako en transport à Sikasso, pour « enlèvement de personnes, assassinat et complicité ». Ils sont poursuivis dans le cadre de l’affaire des 21 bérets rouges tués et ensevelis dans une fosse commune à Diago (non loin de Kati), il y a trois ans. Ce renvoi intervient après celui de mercredi dernier, jour de l’ouverture du procès, à la demande de la défense. Le deuxième renvoi ? Il est motivé par une saute d’humeur des avocats, toutes tendances confondues, qui exigent de plaider avec leurs téléphones en poche. A quand les vrais débats ? Début de réponse, ce matin, avec la reprise du procès.

Vendredi 2 décembre 2016 à la salle de spectacle Lamissa Bengaly qui abrite, depuis le mercredi 30 novembre dernier, le procès des présumés auteurs et complices de la répression sanglante des bérets rouges qui avaient tenté un contre putsch contre la junte de Kati, en avril 2012. Tout le secteur est placé sous haute surveillance des forces de sécurité (essentiellement la garde et la police). Et l’accès à l’enceinte est subordonné à la présentation d’un badge, suivi d’un contrôle minutieux aux détecteurs de métaux. Excepté les stylos, les blocs-notes et documents, aucun objet n’est accepté, notamment les téléphones portables.

Dans la salle d’audience, d’autres éléments de la garde et de la police occupent les allées, coins et recoins. L’ambiance est relativement calme, quand, aux environs de 8 heures, Amadou Haya Sanogo apparait. En veste noire, sourire scotché aux lèvres, le chef de l’ex junte affiche une certaine sérénité, en saluant ses « fans » qui l’applaudissent. Pourtant, sa physionomie qui dévoile un homme qui a perdu beaucoup poids pendant sa période de détention, trahit cette apparence et ses gestes d’homme débordant de forme. Il s’installe dans la chaise n°565, indiquée par le surveillant de prison qui l’accompagne. Et entame des parlottes avec ses compagnons Ibrahima Dahirou Dembélé et Yamoussa Camara qui avaient déjà occupé et sans lubie, respectivement les places n°534 et 536. Ils sont les trois premiers accusés à rentrer dans la salle.

Ensuite, arrivent les autres: Fousseyni Diarra dit Fouss, Mamadou Koné, Tiémoko Adama Diarra, Lassana Singaré, Cheickna Siby, Issa Tangara, Blonkoro Samaké, Siméon Keïta, Oumarou Sanafo dit Kif Kif, Soïba Diarra, Christophe Dembélé, Mohamed Issa Ouédraogo, Ibrahim Boua Koné et Amadou Konaré.

Les parents des victimes s’installent dans l’aile gauche de la salle. Tous, ou presque, étaient là, face à la Cour d’assises, présidée par Mahamadou Berthé. Le président est entouré de ses conseillers Boureïma Gariko et Taïcha Maïga. Les trois magistrats sont assistés de quatre assesseurs. Sont également présents le procureur général près la Cour d’appel de Bamako, Mamadou Lamine Coulibaly, l’avocat général et les sept substituts généraux qui composent le parquet.

Après citation des parties et les témoins des accusés, ceux-ci sont appelés à la barre. Le procès peut commencer. Sauf qu’un élément essentiel du jugement manque à l’appel, à savoir les avocats. Aussi bien ceux de la défense que les avocats de la partie civile. Les « débrayeurs » exigent d’accéder à la salle d’audience avec leurs smartphones. Un privilège qui est refusé à tout le monde depuis le début du procès. « Cela fait partie des mesures de sécurité », selon l’avocat général. Alors, le ministère public a attendu que les avocats rentrent dans la salle. Car, certains accusés, notamment Amadou Haya Sanogo, Amadou Konaré et Dahirou Dembélé ont refusé de comparaître en l’absence de leurs avocats. « Autant la partie civile a hâte de savoir la vérité, autant nous (ndlr, défense) sommes pressés de donner notre version des faits… », affirme Sanogo, ajoutant qu’ils ne peuvent aller aux débats sans leurs conseillers.

Constatant le blocage, la Cour a décidé une suspension de 48 heures. Au grand mécontentement de l’assistance, impatiente d’entendre les versions des parties.  Aussitôt, la salle se vide, dans un brouhaha de désapprobation.

«Les avocats ne peuvent pas travailler sans leurs Smartphones », confie Me Boubacar Soumaré, avocat de la défense. Ces appareils, précise-t-il, contiennent nos documents essentiels, comme le Code pénal et des textes de jurisprudence. L’avocat voit en cette mesure une restriction qui met en cause la transparence du processus.

Quant à Me Tiessolo, il invitait les partisans de Haya au calme. Ces derniers ont tenté une manifestation de soutien à celui que certains d’entre eux appellent « le sauveur ».

Seydou estime de son côté que ce procès est purement politique. « Le général n’a tué personne. Et puis, on semble oublier que ce sont les bérets rouges qui l’on attaqué. N’a-t-il pas le droit de se défendre ? », interroge le jeune homme, brandissant, avec des amis, une photo de Amadou Haya Sanogo.

Cependant, ici l’ex-putschiste n’a pas que des « amis ».

Ousmane T, un enseignant venu d’un village voisin, a des dents contre Amadou Haya Sanogo. « Ces gens qui soutiennent ce sanguinaire ne savent, en réalité, rien de lui », confie-t-il. Et de poursuivre : « notre armée, à cause de cette affaire, est divisée à jamais. »

Souleymane est du même avis : « Haya a fait plus de mal que de bien », déclare-t-il.

Du côté de la partie civile, difficile d’approcher les parents des 21 bérets rouges tués. Ils ont été conduits, sous haute sécurité, à leur lieu d’hébergement. Joint au téléphone, la présidente de l’association des familles des victimes, n’a pas souhaité répondre à nos questions. « Je vais demander l’avis de nos avocats », affirme Mme Sagara Bintou Maïga. Depuis,…..

Cette suspension est la deuxième du genre, depuis l’ouverture du procès. En terme précis, le procès n’a pas véritablement commencé. C’est ce matin que les lignes devraient bouger, si seulement le parquet et les avocats réussissent à accorder leurs violons.

Déjà dans l’après-midi du vendredi, l’avocat général près la Cour d’appel de Bamako, Mohamed Maouloud Najim, et ses collaborateurs ont affiché leur bonne volonté et leur engagement à décanter la situation. C’était à la faveur d’un point de presse.

L’avocat général a expliqué que cette mesure, qui n’est pas « nouvelle au Mali », est bien mentionnée dans le règlement intérieur élaboré et arrêté en association avec toutes les parties. Le parquet, qui se dit surpris par cette réaction des avocats, estime que ladite mesure s’inscrit strictement dans la logique du bon déroulement du procès. Et, elle s’impose à tout le monde, y compris le président de la cour qui a la police de l’audience.

« Cette mesure a été prise  pour des raisons évidentes de sécurité», affirme l’avocat général qui, tout en reconnaissant que le téléphone est une invention utile, précise que d’autres technologiques ont été développées (parallèlement à l’utilité du téléphone) par des esprits malveillants.

Entre autres solutions de rechange, le parquet propose la mise à la disposition des avocats de deux stands équipés d’ordinateurs et d’une connexion internet. « Ils pourront ainsi déposer dans ces stands leurs Smartphones, auxquels ils auront accès à tout moment », explique Mohamed Maouloud. Avant d’indiquer qu’ils feront recours à la loi, si les avocats restent campés sur leur position.

IBD

Envoyé spécial à Sikasso

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