Le feuilleton judiciaire des personnalités arrêtées pour tentative de déstabilisation de la transition bat son plein. Après les accusations du Procureur général de la République, Mamoudou Kassogué, les avocats des inculpés montent au créneau. Ils étaient face à la presse le vendredi 08 janvier 2021.
L’inculpation et l’incarcération des personnalités pour « tentative de déstabilisation de la transition » alimentent les débats aussi bien dans les milieux judiciaires qu’ailleurs. Il s’agit de la série d’interpellations menées par la Direction générale de la sécurité d’Etat (Dgse) le lundi 21 décembre. Elles ont visé Vital Robert Diop, directeur général du Pari mutuel urbain (PMU), Mahamadou Koné, trésorier payeur général ; Souleymane Kansaye, receveur général du district de Bamako ; Sékou Traoré, secrétaire général de la présidence de la République ; et Aguibou Tall, directeur général adjoint de l’Agence de gestion des fonds d’accès universel (Agefau), non moins demi-frère de l’ex-Premier ministre Boubou Cissé.
Au bout d’une semaine d’interprétation et de spéculation, le procureur de la République Mamoudou Kassogué fini par donner des précisions. Dans un communiqué rendu public, il indique : « À la suite d’une dénonciation des services de sécurité faisant état de faits d’atteinte à la sûreté de l’État, une enquête préliminaire a été ouverte au niveau du Service d’investigations judiciaires (SIJ) de la gendarmerie nationale ». Le parquet a soutenu cette information à travers un autre communiqué annonçant l’ouverture d’une information judiciaire contre six personnalités, dont l’ancien Premier ministre Boubou Cissé, pour « complot contre le gouvernement, association de malfaiteurs, offense à la personne du chef de l’État et complicité ». Le juge a ordonné leur placement sous mandat de dépôt.
Nonobstant les démentis de Boubou Cissé affirmant n’être ni directement ni indirectement associé à un projet de déstabilisation des institutions de son pays, il a reçu la visite des hommes armés, le 24 décembre 2020.
Dans sa cachette, comme annoncé par une presse étrangère, Boubou Cissé clame toujours son innocence. Pour les tirer d’affaire, un pool d’avocats maliens et français est monté au front pour assurer la défense de Boubou Cissé et de ses coaccusés qui se trouvent déjà en prison. Il s’agit de Me Kassoum Tapo, Me Marcel Ceccaldi et Me Éric Moutet.
Au cours de la présente conférence de presse, les avocats des personnes incriminées se sont livrés à un exercice de démontage des faits reprochés à leurs clients.
Dans son intervention, l’avocat français Me Marcel Ceccaldi affirme que la procédure employée est une atteinte directe volontaire aux principes pour lesquelles les Maliens se sont sacrifiés. « L’impartialité est consubstantielle à la justice. Il ne peut pas avoir de justice qui ne soit pas impartiale. Lorsque l’action politique se mêle de la justice, ne parlons plus de justice. Parlons tout simplement d’arbitraire », indique-t-il. Dans son commentaire, il a noté que le Mali devrait s’inspirer de la transition Burkinabè qui n’a pas eu besoin d’une année, à fortiori 18 mois pour mettre en place des institutions légales et légitimes à travers l’élection présidentielle. « Une révolution peut être fondée. Mais une révolution doit avoir des objectifs immédiats. Un objectif dont elle ne peut pas se soustraire. C’est le respect des droits et libertés des citoyens tels qu’ils sont garantis par les textes internes et internationaux signés par le Mali. Notamment la Charte universelle des droits de l’homme, le Pacte international des droits civils et politiques…», a-t-il indiqué. Nous allons refuser de nous prêter à une palinodie judiciaire. Eviter M. le juge d’être l’otage d’action politique que vous ne maîtrisez pas, qui vous sera toujours dissimulée. S’il n’y a toujours rien dans ce dossier, nous ne serons pas l’otage de cette palinodie judicaire. Ce dossier sera ouvert sur la table. Chacun pourra dire que des poursuites qui sont engagées ne reposent sur rien, a poursuivi Me Marcel Ceccaldi. « Il n’y a rien dans la procédure qui permette de fonder les poursuites qui ont été engagées. C’est la première fois dans ma carrière d’avoir connaissance d’un dossier de cette nature. Ce dossier est scandaleux. Ce qui le met en cause n’est pas seulement la situation des personnes mises en examen et incarcérées, ce qui est en cause dans cette procédure, ce sont les droits et des libertés des citoyens maliens», se plaint-t-il.
Pour sa part, Me Éric Moutet affirme que les conditions de détention ne sont pas réunies dans ce dossier. Pour lui, du dossier judiciaire, on glisse dans l’immatériel. Il y a un jeu d’ombre qu’il faudra élucider. Ce refus des autorités de s’expliquer à ce stade sur ces indices graves et concordants qu’on reproche de manière itérative qui ont conduit à leur mise en détention est incompréhensible.
Du point de vue de Me Kassoum Tapo, le réquisitoire informe que Boubou Cissé nourrit une ambition présidentielle. Et dans ce cadre, il aurait constitué un noyau de groupe pour déstabiliser la transition au profit de cette ambition. Ce qui lui fera dire qu’il y a contradiction, puisqu’on ne peut pas vouloir devenir président et tenter de désorganiser la transition qui est censée organiser ces élections. « Ça me parait pour le moins aberrant », commente-t-il. S’agissant des présumées réunions secrètes, il souligne que les personnes citées n’ont jamais tenu une réunion autour de Boubou Cissé.
Oumar KONATE