Cette fois, en plus des attaques contre les monuments historiques et mausolées, la Procureure a retenu à l’encontre d’Al Hassan des charges de crimes contre l’humanité très graves, tel que le viol et l’esclavage sexuel, le mariage forcé, la torture, d’autres actes inhumains et atteintes graves à l’intégrité, y compris des amputations, et la persécution basée sur le genre. Pour la première fois devant la CPI, la Cour examinera les persécutions basées sur le genre comme des crimes contre l’humanité.
« Alors que l’affaire contre Al Mahdi et son aveu de culpabilité constituaient une reconnaissance historique du préjudice causé par Ansar Eddine au patrimoine culturel de Tombouctou, du Mali et du monde entier, l’affaire contre Al Hassan prend en compte la myriade de crimes commis par le groupe pour affirmer son pouvoir et son contrôle sur la population » a déclaré Amal Nassar, représentante permanente de la FIDH auprès de la CPI. “En particulier, les accusations de persécution fondée sur le genre et de mariage forcé en tant qu’autre acte inhumain mettent en lumière les souffrances endurées par les femmes et les filles et son impact sur leur vie et sur la société dans son ensemble “.
Ces procédures à la CPI sont d’autant plus importantes que l’ancien Commissaire de la Police Islamique de Gao, Aliou Mahamane Touré, a été libéré le 17 février dernier en dehors de tout cadre légal, à l’issue de tractations sur des échanges de prisonniers.
« Alors qu’Aliou Mahamane Touré, le seul djihadiste condamné au Mali à 10 ans de prison en août 2017, a été libéré en dehors de tout cadre legal, il y a quelques mois, l’ouverture du procès d’Al Hassan à la Haye est une excellente nouvelle’, a déclaré Me Drissa Traoré, Vice-Président de la FIDH. « Nous espérons que les charges présentées par la Procureure seront confirmées par la Chambre préliminaire et qu’un procès pourra ainsi débuter rapidement, ouvrant la voie à d’autres poursuites à La Haye et surtout au Mali sur les crimes commises en 2012- 2013. Nous souhaitons que la poursuite des auteurs d’un échelon intermédiaire permette de remonter la chaîne de responsabilité jusqu’à la poursuite plus hauts responsables ».
L’ouverture des premières audiences de cette affaire intervient alors que le conflit s’intensifie dans le centre du Mali depuis plusieurs mois (1), où des groupes armés extrémistes et des milices intercommunautaires se livrent à des exactions qui pourraient faire l’objet de nouvelles enquêtes du Bureau de la Procureure, si l’Etat malien ne remplissait pas son obligation d’enquêter et poursuivre ces crimes. Entre mars et juin 2019, au moins 250 civils ont été tués au centre du pays à l’issue des massacres d’Ogossagou, Sombame, Gangafani, Yoro.
« Pour enrayer la spirale meurtrière du conflit en cours au centre Mali, il est urgent de s’attaquer au chapitre judiciaire des crimes commis durant l’occupation de Tombouctou en 2012 – 2013, et de montrer que l’impunité ne saurait être la règle, et que ceux qui se livrent – ou seraient tentés de se livrer – aux exactions les plus graves, seront un jour jugés par la CPI ou les tribunaux maliens » conclut Me Moctar Mariko, président de l’Association Malienne des Droits de l’Homme (AMDH).
Le 27 Juin 2019, l’Assemblée Nationale du Mali a adopté la loi visant à élargir la compétence du pôle judiciaire spécialisé de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. Disposant de compétences et moyens d’enquêtes et instructions plus important que les juridictions de droits communs, celui-ci sera ainsi compétent sur les crimes de crime de guerre, crime contre l’humanité et crime de génocide. Depuis 2014, l’AMDH et la FIDH n’avaient eu de cesse d’exhorter les autorités maliennes à élargir la compétence de ce pôle, afin de relancer les enquêtes sur les crimes commis au nord du Mali, qui sont au point mort depuis des années, et d’apporter une réponse judiciaire aux crimes qui continuent d’être perpétrés au centre du pays.
Par ailleurs, le même 27 Juin 2019, a été adoptée la loi d’entente nationale en dépit des préoccupations soulevées par la FIDH, l’AMDH et plusieurs autres organisations. Si certaines observations soumises par les organisations de défense des droits humains ont finalement été prises en compte par les députés, des questions restent soulevées relatives notamment à l’opportunité du moment et le risque d’impunité que pourrait créer cette loi, dont le projet avant l’examen par les députés comportait plusieurs lacunes de nature à permettre aux auteurs de crimes internationaux d’échapper à la justice.