En grève illimitée depuis plus de deux mois, les magistrats sont finalement réquisitionnés par le gouvernement, à travers un décret pris le mardi dernier et qui s’appuie sur un Avis de la Cour Suprême soutenant l’illégalité de la grève des magistrats. Ce qui provoque l’ire des deux syndicats de magistrats qui en appellent à l’insoumission, suite à une assemblée générale tenue hier dans la matinée. On est donc loin de la sortie de crise, pendant que l président de la République, président du Conseil supérieur e la Magistrature, choisit de faire le mort.
Le bras de fer entre les magistrats grévistes et le gouvernement atteint son paroxysme et sans un fléchissement de la position dans l’un des deux camps, le pire est à craindre pour le pays, qui voit ainsi les pouvoirs judiciaire et exécutif, deux des trois grands piliers de la nation, se donner en spectacle, de façon si désolante.
Le gouvernement, incapable de répondre aux doléances des magistrats par la voie du dialogue, disons de la négociation, commence à recourir à des méthodes plus ou moins brutales. Au lieu d’apporter des lueurs de solutions, les mesures prises sont en train de conduire tout droit dans un cul-de-sac.
En réalité, le gouvernement a fait échec dans la gestion de ce dossier et s’aventure maintenant dans des menaces, intimidations et sanctions, face à des magistrats qui ne craignent rien et foncent dans leur combat, certainement radicalisés par la façon de faire de l’Exécutif.
En effet, en dépit de la suspension de leurs salaires et leur réquisition que le gouvernement vient de décider, les magistrats, droits dans leurs bottes, disent niet. La simple lézarde de départ, entre les magistrats et le gouvernement, s’est ainsi élargie et approfondie au fil du temps pour devenir un énorme fossé. Et les magistrats, pour prouver qu’ils ne sont pas des enfants de cœur à intimider, envoient des messages forts, comme quoi ils en savent des vertes et des moins mures sur la gestion du pays de la part de ces autorités de l’Exécutif, non dépourvues de reproches dans la gestion des deniers publics. « Vous vous servez à volonté, pourquoi pas nous aussi, compte tenu des responsabilités qui pèsent sur nos épaules et les spécificités de nos fonctions qui nécessitent que nous soyons mis à l’abri du besoin, comme d’ailleurs le sont tous nos collègues de l’espace communautaire ». Tel est, en langage très simple, comment nous traduisons l’engagement des magistrats dans ce mouvement de grève.
3,5 milliards de francs CFA disparus au niveau du ministère des Finances
Après la décision de la suspension du salaire des magistrats grévistes, les poussant à riposter par la révélation du dossier de 3,5 milliards de francs CFA disparus au niveau du ministère des Finances, le gouvernement du Mali vient de prendre une autre décision, historique celle-ci. En effet, le mardi dernier, a été rendu public un décret portant réquisition des magistrats grévistes. « Compte de la discontinuité du service public de la justice avec son lot de souffrances causées à la population, le gouvernement a décidé, conformément à la loi N°87-48/AN-RM du 04 juillet 1987 relative aux réquisitions de personnes, de services et de biens, de réquisitionner les magistrats en grève », a déclaré Mme Diarra Raky Talla, ministre du Travail et de la fonction publique, sur les antennes de l’ORTM.
Selon elle, la décision a été prise après que la Cour suprême a donné un Avis soutenant que ladite grève des magistrats est illégale. « Face à cette grève illimitée, le gouvernement a saisi la Cour suprême pour son avis sur la légalité de la grève des magistrats ». Ainsi justifie-t-elle la décision du gouvernement, confirmant ainsi que le gouvernement a beau jeu de se défausser sur la Cour suprême, laquelle a affirmé le caractère illégal de la grève illimitée des magistrats. La haute juridiction devient ainsi une sorte de bras armé pour frapper les magistrats dont la réaction n’a pas tardé : le président de la Cour Suprême est « inféodé » au gouvernement, ont-ils dénoncé.
De toute façon, les deux parties se radicalisent et Dieu seul sait jusqu’où cela peut-il mener le Mali déjà fébrile, à cause des multiples problèmes qui l’assaillent dans tous les secteurs de la vie socioéconomique.
A en croire Mme le Ministre du Travail et de la fonction publique, chargé des relations avec les institutions, le décret de réquisition n’est pas suspensif de négociations. C’est alors radical !
La réponse du berger à la bergère
Juste après la déclaration du gouvernement sur leur réquisition, les magistrats ont répliqué, à travers un communiqué conjoint du Syndicat Autonome de la Magistrature (SAM) et du Syndicat Libre de la Magistrature (SYLIMA). Comme il fallait bien s’y attendre, c’est la réponse du berger à la bergère. Les magistrats crient à une atteinte grave et intolérable à la constitution en ses principes relatifs à la démocratie, à la séparation des pouvoirs, à l’indépendance du pouvoir judicaire et au droit de grève.
Pour le SAM et le SYLIMA, le gouvernement du Mali veut, à travers cette de décision de réquisition des magistrats grévistes, enterrer la démocratie malienne. « La Magistrature réfute ce délire dictatorial et invite tous les magistrats à faire bloc contre la velléité de caporalisation du pouvoir judicaire par le pouvoir exécutif », écrivent-ils dans leur communiqué, non sans exprimer leur indignation, face au silence du président de la République, président du Conseil Supérieur de la Magistrature. En effet, pour un problème aussi sérieux, le chef de l’Etat reste emmuré derrière un silence inquiétant toute la population.
Quant au décret portant réquisition des magistrats grévistes, les syndicalistes invitent les magistrats à ne pas se soumettre. « Le SAM et le SYLIMA, sous leur responsabilité propre, invitent les magistrats à refuser de se soumettre à cette illégalité éhontée et d’une autre époque » martèlent les cosignataires, Aliou Badra Nanacassé et Hady Macky Sall.
Boureima Guindo