Atteinte aux biens sociaux : Bakary Togola écope de 5 ans d’emprisonnement ferme

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Et au remboursement de plus de 7 milliards F CFA

Le procès marathon de Bakary Togola et ses coaccusés a connu son épilogue le mardi 27 août 2024. Initialement inculpés d’atteinte aux biens publics, les faits ont été requalifiés en biens sociaux par la Cour. Reconnus coupables, Bakary Togola et 4 autres, à savoir Soloba Mady Kéita, Tiassé Coulibaly, Drissa Traoré et Seydou Coulibaly ont pris 5 ans ferme avec une amende de 10 millions F CFA chacun. Comme intérêt civil, Bakary Togola devra rembourser la somme détournée au préjudice de la Confédération, les plus de 7 milliards F CFA. La Cour a également reconnu non coupables 7 accusés : Mady Kéita, Mamadou Fomba, Djiguiba dit Ampha Coulibaly, Alou Dembélé, Bréhima Coulibaly, Djalla Moussa Dembélé et M’Pié Doumbia contre lequel l’action publique a été éteinte suite à son décès. Ils ont été acquittés des charges.

La deuxième semaine du procès de Bakary Togola a débuté par les réquisitoires du ministère public et les plaidoiries des avocats de la défense. Les interventions du contentieux de l’Etat et les avocats de la partie civile avaient mis fin à la première semaine. En ces deux derniers jours d’audience, tout comme les jours précédents, les partisans du président des cotonculteurs sont sortis massivement pour prendre d’assaut la salle d’audience de la Cour d’appel.

C’est le procureur général Hamadoun Balobo Guindo qui a donné le ton de la journée du lundi 26 août qui s’annonçait longue. Il a rappelé que leur mission est de protéger l’intérêt du peuple et non de condamner sans preuve. A sa suite, Kokè Coulibaly est revenu sur les faits avant de situer la responsabilité de chacun des accusés dans les actes posés. “Tous les accusés sont des cotonculteurs et ils sont tous non instruits, mais c’est grâce à leur engagement et abnégation pour le développement du secteur cotonnier qu’ils ont été recrutés pour diriger la Confédération. Dans le cadre de la relance du secteur, l’Etat a conclu plusieurs conventions avec des partenaires techniques et financiers pour assister ces paysans. Il s’agit notamment des comptables, des animateurs et des techniciens. Personne ne peut nier que Bakary n’a pas travaillé et personne ne peut nier qu’il n’a pas été utile pour le pays. Mais, il a bouffé l’argent des paysans. Pour battre campagne pour Ibrahim Boubacar Kéita, Bakary Togola a déboursé plus de 600 millions de F CFA des cotonculteurs pour un rassemblement de milliers de paysans au stade du 26 mars. Ils ont produit des pièces justificatives qui ne sont pas sincères. C’est du faux organisé et cela prouve que l’argent de la Confédération a été utilisé à d’autres fins. Comme un crime n’est jamais parfait, en voulant se blanchir, ils ont produit la preuve de leur culpabilité”, a expliqué le ministère public.

Aux dires du parquet, même s’ils sont analphabètes, cela ne leur enlève pas leur volonté de bien faire. “Djiguiba Ampha Coulibaly, le président de la Fédération de Koutiala a bien géré, il n’y a aucun reproche à son égard. Tous les justificatifs sont corrects et le compte est exact le concernant. Il doit être acquitté et il faut maintenir tous les autres dans les liens de l’accusation”, a requis le ministère public.

Pour sa part, le conseil de la défense a indiqué que le procès concerne uniquement les 15 % alloué au fonctionnement de la Confédération après la vente du coton et qu’il n’est nullement question de la subvention de l’Etat. “Il ne s’agit pas de fonds publics parce que la Confédération n’est pas publique. Si l’Etat doit faire un procès, c’est plutôt contre la CMDT et non contre la Confédération parce qu’il est actionnaire à la CMDT et son intérêt provient de là et non à la Confédération. Personne n’a pu produire la preuve que la CMDT a effectivement versé plus de 13 milliards de F CFA dans le compte de la Confédération, car il s’agit plutôt de 11 milliards F CFA. Dans ce cas, les 9 milliards F CFA reprochés à Bakary Togola deviennent 7 milliards FCFA”, s’est-il défendu.

Après plus de quatre heures de plaidoiries, la défense a plaidé non coupable d’atteinte aux biens publics et sollicite l’acquittement des accusés. A la suite de cela, la Cour a suspendu l’audience et annoncé la reprise pour le lendemain mardi 27 août qui a finalement mis fin à cette affaire avec des condamnations et acquittements.

Bakary Togola, Soloba Mady Kéita, Seydou Coulibaly, Drissa Traoré et Tiassé Coulibaly ont pris 5 ans d’emprisonnement ferme et une amende 10 millions F CFA chacun. Bakary Togola devra également rembourser la somme dite détournée, c’est-à-dire les plus de 7 milliards F CFA.

Par contre Djiguiba dit Ampha Coulibaly, Alou Dembélé, Mamadou Fomba, Dialla Moussa Dembélé, Bréhima Coulibaly et Mady Kéita ont été acquittés des charges. Il y a l’extinction de l’action publique contre M’Piè Doumbia suite à son décès.

Insatisfait de cette décision, Me Ladji Traoré, avocat au barreau du Mali et l’un des avocats de Bakary Togola, a déclaré dans une interview accordée à la presse à l’issue du procès que la décision ne les satisfaits nullement, la mesure où la poursuite est faite sur la base d’atteinte aux biens publics alors qu’il a été démontré qu’il ne s’agit pas de biens publics, mais de l’argent des cotonculteurs eux-mêmes. “C’est comme si on condamne Bakary Togola pour avoir détourné son propre argent”, déclarera-t-il. Et d’ajouter qu’ils feront un pourvoi pour les extraire de cette situation.

Il résulte de l’information les faits suivants : L’Etat du Mali s’est lancé depuis plusieurs décennies à travers diverses politiques publiques de développement dans une dynamique soutenue d’organisation de son économie basée essentiellement sur l’agriculture, l’élevage, la pêche et le commerce avec corrélativement l’indispensable professionnalisation des acteurs de ce secteur vital.

Une telle démarche, sur le plan agricole, ne pouvait aucunement occulter la culture cotonnière qui occupe une place importante dans les activités champêtres d’autant qu’elle constitue la source principale de revenu de la plupart du monde rural du sud du pays. Il s’agit de celui de la zone cotonnière couvrant l’intégralité de la région de Sikasso et une partie de celle de Ségou, Koulikoro et Kayes. Ainsi s’explique la création dans les années 2000, sur l’initiative des producteurs avec l’appui du gouvernement de la République du Mali, de la Confédération des sociétés coopératives des producteurs de coton aux Etats généraux sur la culture du coton consécutivement aux profondes difficultés que vivaient les différents acteurs du secteur dans les années 90.

Les conclusions de ces assises ont conduit à la conception puis à la mise en place d’un mécanisme de financement de la production cotonnière et de régulation tarifaire de cette matière importante entre d’une part, la Compagnie malienne de développement des textiles (CMDT) et l’autre part, la Confédération des sociétés coopératives des producteurs de coton au Mali (C-SCPC).

Conformément à ce système, un protocole liant ces deux structures a prévu la fixation à l’avance du prix d’achat du coton ainsi que la gestion des bénéfices éventuels à l’issue de la campagne agricole. Aux termes de ce schéma, les bénéfices réalisés devaient être partagés suivant la clé de répartition suivant : 45 % pour les producteurs de coton, 40% pour le fonds de soutien (destiné à garantir en faveur des producteurs les fluctuations négatives du coton sur le marché mondial) et 15% destiné au fonctionnement de la confédération.

Sur la base de ce plan, le montant total mis à la disposition de la Confédération des sociétés coopératives des producteurs de coton par la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT) s’élève à plus de 13 milliards de F CFA, sur la période allant de 2013 à août 2019.

Du point de vue organisationnel, l’organigramme de la confédération comporte un conseil d’administration au niveau national, assisté d’un service administratif et financier, d’un comité de surveillance et d’un coordinateur national. Outre Bakary Togola, son président à l’époque des faits, le conseil d’administration enregistrait ainsi la présence de Djiguiba dit Ampha Coulibaly qui en était le vice-président.

M’Piè Doumbia était le trésorier général ; Seydou Coulibaly, le délégué à l’approvisionnement avec Tiassé Coulibaly comme délégué à la formation, à l’information et à la sensibilisation.

Le nommé Fadiala Coulibaly y assurait les fonctions de responsable administratif et financier pendant que Drissa Traoré présidait le comité de surveillance composé en outre de Djalamoussa et Alou tous Dembélé ainsi que Mamadou Fomba, comme membres de cet organe. Souko Mady Raymond Dansoko assurait la coordination.

La Confédération regroupe 4 fédérations régionales, à savoir celles de Sikasso-Bougouni, Koutiala-San, Fana-OHVN et Kita. Ces fédérations régionales sont respectivement dirigées par Drissa Traoré, Djiguiba dit Ampha Coulibaly, Seydou Coulibaly et Soloba Mady Kéïta.  Elles avaient comme trésoriers dans le même ordre d’énumération, Bréhima Coulibaly, Salif Traoré, Tiassé Coulibaly et feu Baïny Diakité. Avec le décès de ce dernier, Mady Keïta, le comptable de la fédération régionale de Kita a pris le relai.

Ces fédérations régionales reçoivent de la confédération un budget annuel dont la clé de répartition est déterminée par le conseil d’administration. A leur tour, les fédérations utilisent ces fonds pour leur fonctionnement ainsi que pour des activités de formation dans leurs ressorts géographiques respectifs. Ainsi, de 2013 à 2019, la fédération régionale de Sikasso-Bougouni a reçu de la confédération plus de 539 millions ; celle de Koutiala-San, plus de 500 millions ; celle de Fana-OHVN, plus de 576 millions et plus de 398 millions pour celle de Kita.

En effet, sous le couvert de l’anonymat, un citoyen a saisi le procureur de la République près du Tribunal de grande instance de la Commune III du district de Bamako, chargé du Pôle économique et financier, d’une lettre dénonçant des malversations financières au sein de la confédération des sociétés coopératives de producteurs de coton du Mali (C-SCPS).

Après analyse et exploitation de cette correspondance, le parquet a ordonné le 16 juillet  2019, la brigade économique et financière du pôle d’ouvrir une enquête préliminaire sur les faits dénoncés à l’effet de vérifier leur exactitude ainsi que les personnes qui seraient auteurs ou complices sur la période de 2013 à 2019.

Au cours des investigations entamées, les soupçons de prévarication ont fini par se confirmer avec la découverte d’un véritable désordre dans l’administration et surtout les comptes tant de la confédération des sociétés coopératives de producteurs de coton du Mali (C-SCPS) que celles des fédérations régionales, notamment celles de Sikasso-Bougouni, Fana-OHVN et Kita.

Après un examen minutieux des pièces comptables et un rapprochement entre les fonds mis à la disposition et la réalité comptable de l’utilisation qui en a été faite par ces différentes structures, les enquêteurs du pôle sont arrivés à la conclusion que ces sommes importantes bien que consommées demeurent non justifiées par lesdites structures. Ainsi, pour un montant total de plus de 13 milliards,  mis à la disposition de la Confédération par la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT), seulement 8 854 760 823 F CFA ont pu être retracés dans les documents comptables de la  confédération, d’où un gap de plus de 4 milliards de FCFA.

Sur les 8 854 760 823 F CFA, seuls plus de 3 milliards ont pu être sous tendus par des pièces justificatives et du coup, plus de 4 milliards demeurent non justifiés. Le cumul de ces deux montants non justifiés au niveau de la Confédération fait la somme de plus de 9 milliards.

Pour ce qui est de la Fédération régionale de Sikasso-Bougouni, l’enquête a établi que cette structure a bénéficié de la confédération de plus de 579 millions. Sur cette somme, les dépenses justifiées au sein de la boîte s’élèvent à 491 315 593 F CFA. Cette situation dégage un écart non justifié de plus de 88 millions.

S’agissant de la Fédération régionale de Fana-OHVN, les enquêteurs ont découvert que sur un montant de plus de 576 millions mis à la disposition, seuls 172 475 451 F CFA ont pu être justifiés plus un solde en banque de 5 233 310 F CFA, ce qui dégage un reliquat non justifié de plus de 398 millions.

La fédération régionale de Kita a quant à elle reçu de la confédération pendant la période sous revue la somme totale de 388 480 777 F CFA et sur ce montant, le comptable de la structure n’a pu produire de pièces justificatives que pour 74 052 256 F CFA, d’où un montant reliquataire non justifié de plus de 314 millions.

Au regard de ces indices graves et concordants, la brigade économique et financière du pôle a dressé le procès-verbal n°031/BEF-PEF transmis au parquet le 13 septembre 2019. Suite au réquisitoire introductif du Procureur de la République, le juge d’instruction spécialisé du 8e cabinet du Tribunal de grande instance de la Commue III a été saisi.

C’est ainsi que les nommés Bakary Togola, Drissa Traoré et Soloba Mady Kéita ont été inculpés pour crime d’atteinte aux biens publics et Seydou Coulibaly, Djiguiba dit Ampha Coulibaly, M’Piè Doumbia, Alou Dembélé, Mamadou Fomba et Dialla Moussa Dembélé pour complicité.

                              Marie Dembélé

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