Makoye Sissoko, Yacouba Traoré, Alpha Macky Tall, Aïssatoun Mahamane Touré, Mariam Sangaré se sont présentés devant les juges de la Cour d’assises pour connaître leur sort dans l’affaire dite atteinte aux biens publics. Madina Coulibaly était absente à la barre pour des raisons de santé. C’était le lundi 8 juillet 2024. Reconnue coupable aux faits reprochés, Makoye Sissoko a été condamnée à 5 ans de prison ferme et une amende 500 000 F CFA. Mariam Sangaré et Aïssatoun Mahamane Touré ont pris 5 ans de prison avec sursis et 250 000 F CFA d’amende chacune. Madina Coulibaly a été condamnée par contumace à la réclusion à perpétuité pour son absence à la barre.
Makoye Sissoko est inculpée pour atteinte aux biens publics par détournement et autres malversations financières portant sur la somme de 542 millions de F CFA, somme détournée au préjudice de la société Agence de gestion des zones industrielles (Azi-SA). Aussi bien à l’enquête préliminaire que par devant le magistrat instructeur, elle a constamment nié les faits qui lui sont reprochés.
Pour assurer sa défense, Makoye Sissoko a, de prime à bord, expliqué que la création d’une caisse rattachée au service commercial par le PDG qui l’a précédé pour encaisser les paiements des clients est à la base de tous les problèmes enregistrés au sein de la société.
Elle ajoutera que les griefs objet de son inculpation sont le fait de ses agents commerciaux, lesquels, selon elle, commettaient ces forfaits avec la bénédiction du PDG d’Azi-SA qui entretenait des relations privilégiées avec eux et leur permettait par la suite de faire des pratiques malsaines, en violation de toutes les procédures. Continuant dans ses dénégations, Makoye Sissoko a ajouté que ces agents commerciaux notamment Mariam Sangaré, Madina Coulibaly et Aïssatoun Mahamane Touré établissaient, à son insu, des reçus parallèles à ceux fournis par le service comptable.
Le président lui a rappelé que le problème fondamental dans le dossier est le non renversement de la totalité des sommes perçus des clients à la comptabilité. Les reçus remis aux clients étaient différents de ceux reversés à la comptabilité.
Qu’est-ce que vous avez à dire, lui rétorquera le président, Makoye de répondra : “J’étais payé à 1 500 000 de F CFA en tant que directrice commerciale et 3 000 000 de F CFA lorsque je suis devenue directrice générale, sans les primes de logement, d’électricité et autres. Je n’avais rien à envier à quelqu’un au point de rentrer dans les histoires de malversations”.
Ne pensez-vous pas avoir votre part de responsabilité dans les 542 millions de F CFA reprochés à l’Azi-Mali, a continué le président. “Le payement se faisait à la comptabilité. Ma part de responsabilité n’est qu’administrative”, s’est-elle justifiée. Un conseiller l’a rappelé qu’elle est arrivée à l’AZI 10 ans après sa création, mais que c’est avec son arrivé que les malversations ont commencé.
Yacouba Traoré, ancien PDG de l’Azi, répondait également des faits d’atteinte aux biens publics par détournement et autres malversations financières portant sur le même montant. A l’enquête préliminaire aussi bien que devant le magistrat instructeur, il a catégoriquement nié les faits qui lui sont reprochés.
Pour assurer sa défense, étant le premier PDG ayant créé la société Azi-SA, il ne saurait poser le moindre acte au détriment de celle-ci. Il a affirmé ne s’être associé ni de près, ni de loin aux actes de détournements enregistrés au sein de la société. En ce qui concerne les irrégularités constatées à l’occasion de la cession des parcelles ainsi que l’établissement des fausses pièces visant à dissiper les paiements faits par les clients, il a soutenu que seule la directrice commerciale Makoye Sissoko était responsable car, selon lui, c’est elle qui avait la charge de surveiller les agents dans le cadre de leurs opérations, que cela ne relevait pas de ses attributions en tant que PDG. Il a ajouté qu’il ne voulait pas interférer dans les domaines de compétence dévolue de ses agents et que ces derniers ont tout simplement fini par le trahir en lui faisant signer des actes irréguliers.
Vous avez ouvert la porte à la gabegie, de par votre légèreté parce que vous avez dit que c’est en étant à la retraite que vous avez appris les malversations au sein de l’Azi, lui a reproché le ministère public. En tant que PDG, comment donner la latitude à la directrice commerciale d’ouvrir une caisse à son niveau alors qu’il y a la direction financière, a demandé le parquet ? L’ex-PDG de l’Azi : “C’est parce qu’elle a avancé que les clients se plaignaient du fait que la direction financière se trouvait à l’étage”. Pourquoi n’avoir pas ouvert un bureau en bas pour le comptable ou ramener sa direction en bas ? a insisté un conseiller. Pas de réponse claire de la part de Yacouba Traoré.
A la suite de cela, un conseiller lui a demandé s’il ne laissait pas tous ses employés faire ce qu’ils voulaient. L’accusé d’avouer que c’était sur la base de la confiance. Le conseillé lui a demandé ce qu’il gérait réellement à l’Azi. Il est resté silencieux.
Mariam Sangaré aussi est inculpée dans la présente procédure des faits d’atteinte aux biens publics par faux et usage de faux, détournement et autres malversations financières portant sur la somme de plus de 335 millions de FCFA. A l’enquête préliminaire que par devant le magistrat instructeur, elle a constamment nié les faits qui lui sont reprochés.
Mariam Sangaré a indiqué c’est Makoye Sissoko qui, en sa qualité de directrice de la structure au moment des faits, faisait faire reprendre des fiches de réservation en minorant les prix payés par les clients sans donner des montants correspondants à reverser au service comptable.
Mariam Sangaré a affirmé à titre illustratif, parmi tant d’autres, que dans le cadre de la vente faite à la Société Aminata Konaté, Makoye Sissoko a encaissé 25 millions de F CFA qu’elle n’a daigné reverser au service comptable. Mieux encore, dans le cas du client Soumeïla Sylla, elle a perçu un premier montant de 75 millions de F CFA et un deuxième de 62 millions. Sur tout ce montant, elle n’a reversé que 62 500 000 F CFA au service comptable.
“J’ai toujours agi sous les ordres de la directrice commerciale qui était mon chef hiérarchique. Le paiement se faisait pendant 4 ans, mais après 3 mois sans versement mensuel d’un client, la parcelle était automatiquement saisie. Normalement, la somme déjà versée doit être remboursée, mais cela n’a jamais été le cas. Il arrivait des fois où une parcelle était vendue à 4 personnes sous l’autorité de la directrice commerciale”, a ajouté Mariam Sangaré.
A la question de savoir si ses actes étaient légaux ou pas, Mariam Sangaré a répondu qu’elle pensait que c’était logique parce que des fois les chèques étaient établis au nom du comptable ou du chauffeur même de la directrice et ils lui remettaient l’argent directement.
“Lorsque je me suis rendue compte que ce n’était pas légal, je l’ai signalé à l’avocat de l’entreprise”, a-t-elle souligné. Pourquoi n’avoir pas saisi la justice, a répliqué un conseiller ? Elle a répondu qu’elle pensait avoir fait ce qu’elle avait à faire. A qui incombe la disparition des 545 millions de F CFA, lui a demandé le président. “Makoye Sissoko, la directrice commerciale”.
Il est reproché à Madina Coulibaly d’avoir détourné au préjudice de la société Azi-SA la somme de plus de 20 millions F CFA, à titre de non reversement des montants par elle reçus au service comptable. Aussi bien à l’enquête préliminaire que devant le magistrat instructeur, elle a formellement nié les faits qui lui sont reprochés. On n’a pas eu sa version des faits à la barre parce qu’elle était absente pour des raisons de santé.
Aïssatoun Mahamane Touré répondait dans la présente procédure du crime d’atteinte aux biens publics portant sur la somme d’environ 297 millions de F CFA au préjudice de la société Azi-SA. Aussi bien à l’enquête préliminaire que devant le magistrat instructeur, elle a formellement nié ces faits qui lui sont reprochés.
Pour assurer sa défense, l’inculpée Aïssatoun a exposé ne s’être jamais impliquée dans quelque détournement que ce soit au sein d’Azi-SA. Continuant dans ses dénégations, elle a ajouté qu’elle a reversé tous les montants qui lui ont été remis à Makoye Sissoko et que c’est cette dernière qui a dissipé une partie avant de reverser le reste au service commercial.
Il est reproché à Alpha Macky Tall, des faits d’atteinte aux biens publics portant sur la somme de plus de 23 millions de F CFA. Il a catégoriquement nié tant à l’enquête préliminaire que devant le magistrat instructeur les faits. Il dira qu’il n’a jamais détourné le moindre centime du montant sus spécifié qui lui est reproché. Alpha Macky Tall a expliqué que les montants perçus par lui pendant sa période de gestion, en tant que caissier, ont tous été remis à la directrice commerciale Makoye Sissoko, laquelle prélevait, selon lui, une partie avant de reverser le reste au service comptable.
C’est avec fermeté que le parquet a demandé à la Cour d’infliger de lourdes peines aux accusés. “Les faits de détournements de derniers publics sont constants et clairs. Comment les choses peuvent bien fonctionner au Mali avec de tels actes. Je vous demande de prendre des décisions fermes afin que des leçons soient tirées de ces agissements par les accusés et pour d’autres personnes qui veulent tenter de tel acte”, a requis le parquet.
Indigné par ces propos du ministère public, l’avocat de Makoye Sissoko a répliqué : “Le ministère public se base sur quel texte pour demander d’infliger de telles sanctions à ma cliente, contre qui on n’a d’ailleurs pas de preuves”, assènera-t-il.
Pour sa part, l’avocat de l’Azi-SA a réclamé 2 milliards de F CFA aux accusés à titre de dommages et intérêts. Quant au Contentieux de l’Etat, il a demandé le remboursement de la somme de 545 269 168 F CFA détournée par Makoye Sissoko en soulignant que l’Azi-SA fait face aujourd’hui à plus de 200 procédures judiciaires.
La Cour, après avoir reconnu coupable la petite sœur de Fily Sissoko, des faits à lui reprochés, Makoye Sissoko, l’ancienne directrice commerciale et PDG de l’Azi a été condamnée à 5 ans de réclusion criminelle et une amende de 500 000 F CFA. Mariam Sangaré et Aïssatoun Mahamane Touré, toutes des agents commerciaux ont pris 5 ans de prison avec sursis et 250 000 F CFA d’amende chacune. Seydou Traoré, l’ancien PDG et Alpha Macky Tall, l’informaticien de l’Azi-SA ont été acquittés. Madina Coulibaly a été condamnée par contumace à la réclusion à perpétuité.
La Cour a rejeté les demandes du Contentieux de l’Etat et de l’avocat de l’Azi-SA. Par contre, la directrice commerciale et ces agents doivent payer les 545 millions de FCFA qu’elles ont fait perdre à l’Agence.
Rappelons les faits. Le 24 décembre 2019, Me Abdourhamane Boubacar Maïga, avocat inscrit au Barreau du Mali, au nom et pour le compte de l’Agence pour l’aménagement et la gestion des zones industrielles (Azi-SA), a saisi le procureur de la République près le Tribunal de grande instance de la Commune III du district de Bamako, chargé du Pôle économique et financier, d’une plainte formulée contre X pour atteinte aux biens publics, soustraction de biens dans le secteur privé et abus de biens sociaux.
Dans cette plainte, il exposait que suivant un mandat en date du 25 juillet 2002, ayant fait l’objet de relecture le 20 février 2016, puis le 31 mai 2018, l’Etat du Mali, représenté par la direction nationale des domaines et du cadastre, a confié à l’Agence pour l’aménagement et la gestion des zones industrielles (Azi-SA), la mission exclusive de service public consistant à aménager toutes les zones à vocation industrielles en République du Mali, à y installer les industriels et à les gérer pour le compte de l’Etat.
A ce titre, I ‘Azi-SA proposait à ses clients des parcelles dans le lotissement de la zone industrielle de Dialakorobougou, site pilote du programme. Pour matérialiser les différentes ventes, des fiches de réservation et des promesses de vente étaient établies par l’Agence au profit de ses clients pour leur permettre d’honorer les coûts de viabilisation et le prix de cession des parcelles.
Au début, les paiements se faisaient directement dans les comptes ouverts par l’Azi-SA auprès des établissements financiers de la place ou à la direction financière de l’Agence. Curieusement, à partir du 23 août 2009, des pratiques malsaines ont été instaurées et ont conduit des clients à effectuer les paiements en espèces auprès de la direction commerciale en se passant des services des banques et de la direction financière. Interrogés, ces clients avançaient qu’ils ont été approchés à cet effet par des agents de la direction commerciale de l’Agence au motif que les comptes de la société font l’objet de saisie et qu’ils se chargeraient de reverser l’argent dans la comptabilité de l’Agence.
Les acteurs de cette pratique se sont arrangés à délivrer aux clients floués des faux reçus fabriqués avec l’entête de I’Azi-SA. En effet, ces reçus n’ont aucune trace à l’Agence et ne correspondent pas aux numéros de série. La somme des montants détournés s’élève à plus de 545 millions de F CFA.
Les investigations immédiatement menées par la brigade du Pôle économique et financier de Bamako ont permis de constater des atteintes multiformes aux biens et intérêts de la société Azi-SA, notamment dans la procédure de paiement au sein de la société par le non reversement total ou partiel des fonds que les clients effectuaient dans les caisses de l’Azi-SA en vue de l’acquisition de parcelles lui occasionnant ainsi un préjudice énorme estimé à plus d’un milliard de F CFA.
A l’issue du procès-verbal du 30 juin 2020 et par un réquisitoire introductif en date du 27 juillet 2020, le parquet du Pôle économique et financier a ouvert une information judiciaire à l’encontre de Makoye Sissoko, Yacouba Traoré, Madina Coulibaly, Alpha Macky Tall, Aïssatoun Mahamane Touré et Mariam Sangaré pour atteinte aux biens publics.
Marie Dembélé