Affaires dites de l’avion présidentiel et des armements : Saura-t-on toute la vérité un jour sur les acteurs et l’ampleur de la prédation des fonds publics ?

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Au Mali, l’avènement de la démocratique devait imposer aux décideurs un nouveau paradigme pour le développement. La mauvaise gouvernance et ses maux devaient ainsi faire place un nouveau paradigme dans le système de gouvernance politique et sociale avec plus de transparence et de redevabilité. Mais, avec le procès des affaires dites de l’Avion présidentiel et des équipements militaires, nous nous rendons compte que ce ne fut en réalité qu’une illusion de plus. Les deniers publics étaient utilisés (s’ils ne le sont pas toujours) sans aucun respect des règles convenues. Ce procès a été renvoyé sine die. Et il est censé reprendre avec de nouveaux éléments (factures) et nouveaux témoins privilégiés. Mais, cela suffirait-il à réellement faire la lumière sur l’ampleur de la prédation des fonds publics enracinée dans notre gouvernance démocratique ?

Après dix jours de procès et de débats souvent houleux, le procès (Cour d’assises spéciale) de l’acquisition de l’avion présidentiel et des armements militaires a été renvoyé sine die pour complément d’information.  Une décision de la cour qui fait suite à une demande du Procureur général et de la partie civile. Ceux-ci souhaitent entendre les anciens Premiers ministres Oumar Tam Tam  Ly et Moussa Mara ; Madani Touré ex ministre délégué au budget au moment des faits. Il a été demandé également de rechercher les factures de paiements (les factures originales liées aux accusations de surfacturation) GUOSTAR au niveau du Trésor public.  Et naturellement que la défense a vite réagi en dénonçant une «stratégie dilatoire». Elle s’est surtout appesantie sur l’incapacité du procureur à présenter des preuves solides après dix jours de débats.

Au-delà des joutes oratoires entre la défense, la partie civile et le Procureur général, ce procès a mis en évidence la manière révoltante dont les derniers publics sont gérés dans notre pays depuis l’avènement de la démocratie. Et cela au mépris des textes, des procédures, de l’orthodoxie budgétaire des finances publiques. Les ordres du «Chef» ainsi que des «directives politisées ou malveillantes» des décideurs d’une époque sont systématiquement appliqués même s’ils violent les textes en vigueur. Le président instruit son Premier ministre qui ordonne au ministre des Finances qui oblige le Trésor à s’exécuter… Dans le Mali démocratique, du moins du temps de feu Ibrahim Boubacar Kéita dit IBK, tout le monde gère les deniers publics à sa guise, mais personne n’est responsable quand cela tourne au vinaigre. C’est en tout cas que l’impression que nous avons eu en écoutant les accusés et les témoins de ce procès.

Mme Bouaré Fily Sissoko

«J’ai été mise devant les faits accomplis  parce que les contrats d’acquisition me sont parvenus signés du ministre de la Défense avec la lettre d’intention d’achat à l’appui», s’est par exemple défendue Mme Bouaré Fily Sissoko, l’ex-ministre de l’Economie et des Finances. Etait​-elle alors obligée de s’exécuter ? A notre avis, elle avait deux choix : faire reprendre tout le processus ou, au pire des cas, démissionner. Le second choix lui aurait sans doute évité de se retrouver dans le box des accusés et d’être privée de sa liberté depuis trois ans. Mais, comme l’a souligné un confrère, ce procès, au-delà des sommes faramineuses dépensées en toute violation des procédures requises, «soulève de graves questions de gouvernance au Mali». Il met en évidence l’indélicatesse des cadres de l’État qui, confrontés aux injonctions de leur hiérarchie, préfèrent entrer en conflit avec la loi que  de s’opposer à des ordres illégaux ou démissionner tout simplement.

Dans un système de gouvernance vertueuse, quand le «Chef» instruit, il revient à l’exécutant de veiller à ce que cette instruction soit suivie dans le strict respect de la loi. Et quand, il est impossible de se plier à ses injonctions ou de lui faire plaisir sans aller à l’encontre des textes, on le lui fait savoir. Au-delà des dysfonctionnements de l’administration publique (d’ailleurs le plus souvent sciemment créés pour profiter aux uns et aux autres), ce procès met en évidence la gestion peu orthodoxe faite de nos deniers publics.

Assurés de ne pas être inquiétés (l’impunité a été confortée comme principe démocratique de gouvernance), on prend ​ses aises avec les fonds publics gérés comme un patrimoine personnel, familial ou clanique. Ce qui fait que les marchés publics offrent à tous les protagonistes (des cadres aux coursiers, les cols blancs déguisés en opérateurs économiques, les vautours d’intermédiaires…) une belle opportunité de se faire les poches si ce n’est garnir les comptes en banque.

Raison de plus  qu’un marché soit impunément ajusté à 18 voire 20 milliards alors que son estimation réelle ne dépasse pas une dizaine de milliards. L’Etat devait par exemple débourser à Guo Star 69 milliards F CFA, sur la base de ses proformats, avant que le Vérificateur général n’estime que les équipements en question ne devaient pas dépasser 39 milliards F CFA. Et quand il y a conflit, protestation ou dénonciation, c’est que le partage n’a été fait comme convenu, quelqu’un ou certains ayant poussé la cupidité à s’arroger une partie ou la totalité de la part d’autres considérés comme moins nuisibles, donc pas ne représentant pas une menace sérieuse.

Malheureusement, même épinglés, les protagonistes s’arrangent toujours sur le dos de l’Etat qui perd tous ces procès en la matière. Ce n’est pas grave, c’est l’argent de l’Etat, donc de personne. On peut en faire ce que l’on veut. L’essentiel c’est de se montrer généreux avec les protagonistes de la chaîne du financement des marchés. Alors que le pays a du mal à faire face à ces devoirs régaliens et que des «goorgoorlou»  (débrouillards paumés) comme votre serviteur ne cessent de se multiplier, le Trésor public est devenu l’usine de fabrique des fonctionnaires et opérateurs économiques millionnaires et milliardaires. Et ça ne choque que nous les égoïstes et les aigris du système. Que nenni !

Avec le renvoie, on se demande si les prochaines audiences, les nouveaux témoignages… pourraient bouleverser la suite de cette affaire ? Quand est-ce que le procès va-t-il d’ailleurs reprendre ?  Les accusés en détention obtiendront-ils une liberté provisoire ? Rien n’est moins sûr ! De toutes les manières, qu’est-ce que cela va changer pour le contribuable dont les impôts sont utilisés à convenance de ceux et celles qui sont supposés les gérer rigoureusement dans l’intérêt de la nation.

Hamady Tamba

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