L’audience du 26 septembre 2024 de la session spéciale de la Cour d’assises qui statue sur l’affaire dite de “l’avion présidentiel” et des “équipements militaires” a été une véritable passe d’armes entre l’ancienne ministre de l’Economie et des Finances, Bouaré Fily Sissoko (poursuivie dans le dossier) et Boubacar Ben Bouillé Haïdara, directeur national du trésor et de la comptabilité publique au moment des faits (cité comme témoin dans l’affaire). La pomme de discorde : qui a autorisé le paiement de 15 milliards de F CFA ? Si les débats endiablés de cette journée n’ont pas pu éclairer la Cour suffisamment, à cause des affirmations gratuites de l’accusée, lors de l’audience du 30 septembre, Ben Bouillé a apporté de la lumière vive sur les moindres contours de cette affaire, preuves à l’appui. Néanmoins, dans le strict cadre de notre mission de journaliste, nous avons mené une enquête sur cette partie de ce scandale révélé par le Bureau du Vérificateur général. Des investigations qui nous permettent d’écrire, sans risque d’erreur, que c’est bel et bien Mme le ministre Fily Sissoko qui a cautionné le paiement des 15 milliards. En plus, c’est elle qui a ordonné à “son” directeur du Trésor le paiement de toutes les factures afférentes à l’acquisition de l’avion présidentiel, et été régulièrement informée de l’état d’exécution des opérations qu’elle a ordonnées. Enfin, nous avons découvert que l’ancien patron du Trésor public malien a respecté les règles requises d’un bout à l’autre du processus. Alors, Ben Bouillé est blanc. Les preuves !
D’entrée de jeu, d’après nos informations, tous les documents demandés lors de l’audition du témoin Boubacar Ben Bouillé Haïdara, le jeudi 26 septembre 2024, ont été soigneusement mis à la disposition de la justice (le lundi 30 septembre 2024) qui saura situer les responsabilités sur la base de ces preuves écrites.
L’homme qui était à la tête du Trésor public est connu de tous les spécialistes en finances publiques comme un homme sérieux, à cheval sur la réglementation et qui a une maîtrise parfaite des dossiers. Il a été au cours de sa riche carrière deux fois directeur national du trésor et de la comptabilité publique, directeur général des marchés publics et de délégation des services publics, payeur général du Trésor et par deux fois conseiller technique auprès du ministre de l’Economie et des Finances. Le simple bon sens indique qu’un tel cadre chevronné et rompu aux arcanes en matière de finances et de comptabilité ne commettrait jamais d’erreur naïve qui le compromettrait un jour.
Processus de règlement et modalités de paiement des factures de l’avion présidentiel par le Trésor public
C’est pourquoi, nous avons décidé de mener cette enquête sur les procédures de règlement par le Trésor public des factures de l’avion présidentiel afin que l’opinion publique soit définitivement éclairée sur ce sujet qui domine l’actualité depuis l’ouverture, le mardi 24 septembre 2024, de la session spéciale de la Cour d’assises relative à l’avion présidentiel et aux équipements militaires.
Le financement de l’achat de l’avion présidentiel a été rendu possible grâce à un prêt contracté par le ministre de l’Economie et des Finances auprès de la BDM-SA via une convention de crédit à moyen terme.
En effet, le 11 mars 2014, le ministère de l’Economie et des Finances représenté par Mme Bouaré Fily Sissoko et la BDM-SA, représentée par Abdoulaye Daffé, ont conclu une convention de crédit d’un montant en principal de dix-sept milliards (17 000 000 000) de F CFA destinée au financement d’un équipement de transport pour le compte du ministère de la Défense et des Anciens combattants.
Le 13 mars 2014, ce prêt a été mobilisé et viré dans le compte de l’Agent comptable central du Trésor ouvert dans les livres de la Bcéao pour un montant de seize milliards huit cent quatre millions cinq cent mille (16 804 500 000) destiné au règlement des factures liées à l’acquisition de l’équipement de transport.
Les paiements se font normalement au Trésor par mandat budgétaire sur la base des inscriptions de crédits budgétaires dans la loi de finances.
Dans le cadre de l’acquisition de l’avion présidentiel, en l’absence totale d’inscription budgétaire sur le budget initial 2014, il a été instruit au Trésor par Mme le ministre de régler les factures en dépenses avant ordonnancement avant leur régularisation par mandats budgétaires comme en attestent trois lettres qu’elle a signées à cet effet.
Il convient de noter que les dispositions de l’article 36 du décret n°97-192/P-RM du 9 juin 1997 portant principes fondamentaux de la comptabilité publique confèrent au ministre chargé des Finances, en sa qualité d’ordonnateur principal du budget, le pouvoir d’ordonner l’exécution des opérations de trésorerie, en l’occurrence le paiement des dépenses avant ordonnancement dont les régularisations se font par mandat budgétaire.
Dans le cadre de l’acquisition de “l’avion présidentiel”, les demandes de paiement par avance ont été adressées à la direction nationale du trésor et de la comptabilité suivant respectivement les lettres confidentielles n°004/MEF-SG du 15 janvier 2024, n°33/MEF-SG du 10 février 2014 et n°113/MEF-SG du 21 mars 2014 du ministre de l’Economie et des Finances.
La lettre n°004/MEF-SG du 15 janvier 2024, reçue à la DNTCP le 15 janvier 2014, sous le numéro 383, a ordonné le paiement de : 1 500 000 USD (726 755 000 F CFA) dans le compte séquestre AIC et 300 000 USD (145 355 000 F CFA) dans le compte de Sky Colour, conseiller du gouvernement dans la transaction. Le Trésor a procédé aux paiements demandés suivant respectivement les ordres de transfert n°0183318 du 15/01/2014 et n°0183316 du 15 janvier 2014.
La lettre n° 033/MEF-SG du 10 février 2024, reçue à la DNTCP le 10 février 2014, sous le numéro 411, a ordonné le paiement de : 3 000 000 USD dans le compte séquestre AIC n°4005136389, Swift, BFOKUS44 (1 453 500 000 F CFA) et 918 750 USD (444 445 313 F CFA) dans le compte de Sky Colour, conseiller du gouvernement dans la transaction. Le Trésor a procédé aux paiements demandés suivant respectivement les ordres de transfert n°0183320 du 10 février 2014 et n°0183321du 10 février 2014. Enfin la lettre n°113/MEF-SG du 21 mars 2024, reçue à la DNTCP le 21 mars 2014, sous le numéro 444, a ordonné le paiement de : 918 750 USD (438 243 750 F CFA) dans le compte de Sky Colour n°023 073448 838 HSBC Hong Kong, Swift HKHHHKH, conseiller du gouvernement et 32 256 100 USD (15 378 095 675 FCFA) pour le compte séquestre AIC n°4005136389. Le Trésor a procédé aux paiements demandés suivant respectivement les ordres de transfert n°0052680 du 12 mars 2014 et n°0183328 du 13 mars 2014.
Il convient de noter que ce dernier paiement a soulevé assez de débats pour la simple raison que le paiement de la facture de 15 378 095 675 est intervenu le 13 mars 2014 alors que la lettre d’autorisation du Ministre est signée le 21 mars 2014.
La lettre qui cautionne le paiement des 15 milliards de F CFA
Dans le cadre des dépenses payées avant l’ordonnancement et liées le plus souvent à l’urgence et aux instructions données par la hiérarchie, les paiements peuvent bien intervenir avant toute autorisation écrite de la hiérarchie ; d’où le paiement des 15 378 095 675 F CFA intervenu le 13 mars 2014 sur la base des factures transmises au Trésor par le ministre de l’Economie et des Finances et la lettre d’autorisation n°113/MEF-SG signée par Mme le ministre le 21 mars 2014.
Questions banales :
Si Mme le ministre n’est pas celle qui a autorisé le paiement de la facture des 15 378 095 675, pourquoi a-t-elle accepté de signer la lettre d’autorisation de paiement avant ordonnancement parvenue à la direction nationale du trésor et de la comptabilité publique par ses propres soins le 21 mars 2014, sous le numéro 444.
Si l’avion a été livré, c’est que toutes les factures du fournisseur ont été payées.
Pourquoi n’a-t-elle pas cherché à savoir, lors de la livraison de l’avion, qui a autorisé le règlement de la facture si ce n’est pas elle qui l’a autorisé.
Pourquoi attendre le procès, soit plus de dix ans après, pour faire savoir au Trésor que ce n’est pas elle qui a autorisé le paiement des 15 378 09 675 alors même que dès le départ elle a signé une lettre autorisant ce paiement et qu’elle a mobilisé à cet effet, un prêt de 17 milliards de F CFA avec la BDM pour le paiement des factures liées à l’acquisition de l’avion présidentiel ? A l’opinion de se faire une opinion sur ces questionnements.
La preuve de la régularisation des avances consenties
Les dépenses d’acquisition et d’entretien de l’avion ont fait l’objet d’inscription dans le projet de Loi de finances rectificative 2014 par Mme le ministre sur la base des factures payées.
Pourquoi accepter la régularisation par mandat budgétaire d’une facture de 15 378 095 675 F CFA dont on est censé ignorer l’existence ?
Ce collectif budgétaire a été adopté en conseil des ministres et voté par l’Assemblée nationale sous la conduite de Mme le ministre avec l’inscription des dépenses liées à l’acquisition de l’avion présidentiel pour des mandats de régularisation de plus de 18 934 118 166 F CFA.
En somme, Mme le ministre de l’Economie et des Finances est intervenue dans tout le processus de paiement au titre de l’acquisition de l’avion présidentiel comme en attestent les lettres d’avances adressées par ses soins à la direction nationale du trésor et de la comptabilité publique.
Le paiement du troisième acompte a été effectué avec son instruction, raison pour laquelle elle a signé la lettre de demande de paiement avance n°113/MEF-SG du 21 mars 2024, reçue par la DNTCP le 21 mars 2014, sous le numéro 444.
Aussi, Mme le ministre de l’Economie et des Finances, en sa qualité d’ordonnateur principal du budget, a été régulièrement informée de l’état d’exécution des opérations qu’elle a ordonnées ainsi que de la procédure de régularisation de celles-ci, suivant différentes correspondances.
Dernier fait majeur à savoir et à retenir : le Trésor public n’est aucunement impliqué dans le processus de contractualisation en vertu du principe de séparation de fonction de l’ordonnateur et du comptable consacré par la loi relative à la Loi de finances. Comme mentionné plus haut, c’est à la justice de savoir situer les responsabilités sur la base des preuves écrites mises à sa disposition.
Boubacar Ben Bouillé a fait son devoir, celui de témoigner à la demande de la Cour.
El Hadj A.B. HAIDARA