Affaire amadou Haya Sanogo et autres : La Loi d’entente nationale met fin aux poursuites

0

Après de multiples reports, le procès de Amadou Haya Sanogo et coaccusĂ©s a repris le jeudi 11 mars 2021 Ă  la Cour d’Assises de Bamako. Les avocats de la partie civile ayant dĂ©sistĂ©, après la plaidoirie de la dĂ©fense, le verdict a Ă©tĂ© rendu le lundi 15 mars 2021. Mais accusĂ©s d’assassinat de 21 bĂ©rets rouges après le coup d’Etat de 2012, le gĂ©nĂ©ral Sanogo et consorts Ă©chappent au couperet de la justice, au nom d’une Loi dite d’entente nationale.

Il rĂ©sulte de l’information les faits suivants : Le 22 mars 2012, une mutinerie Ă©clate au camp militaire Soundiata de Kati, au cours de laquelle les soldats mutins se dirigent vers Koulouba, le palais prĂ©sidentiel. Une rĂ©volte au dĂ©part, qui se transforme par la suite en coup d’Etat, obligeant le prĂ©sident de la RĂ©publique de l’Ă©poque, Amadou Toumani TourĂ©, Ă  s’enfuir et entrainant ainsi, du coup la chute du gouvernement et le renversement de toutes les institutions de la RĂ©publique.

Un groupe composĂ© d’officiers et de sous-officiers, sous le nom du ComitĂ© national pour le redressement de la dĂ©mocratie et la RĂ©publique (Cnrdre) dirigĂ© par le capitaine Amadou Haya Sanogo fait une proclamation Ă  la tĂ©lĂ©vision nationale et Ă  la radio, confirmant ainsi la consommation du coup d’Ă©tat militaire.

La communauté des Nations Unies et certains leaders de groupements politiques contestent ce changement de pouvoir par la force. Cette protestation amène ensuite la Cédéao à imposer un embargo contre le Mali.

Sous la menace du terrorisme djihadiste et de la rĂ©bellion indĂ©pendantiste du Nord du pays et devant l’effondrement de l’armĂ©e nationale, la CĂ©dĂ©ao, avec le prĂ©sident Blaise CompaorĂ© du Burkina-Faso dĂ©signĂ© comme mĂ©diateur de cette crise, parvient Ă  faire signer un accord dit de sortie de crise le 6 avril 2012. Aux termes de cet accord,  le prĂ©sident Amadou Toumani TourĂ© dĂ©missionne et le prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale, Dioncounda TraorĂ©, est dĂ©signĂ© prĂ©sident par intĂ©rim. Un Premier ministre aux pleins pouvoirs est nommĂ© en la personne de Cheick Modibo Diarra et l’AssemblĂ©e nationale continue d’exercer le pouvoir lĂ©gislatif. Un gouvernement installĂ©.

C’est dans cette situation que dans la nuit du 30 avril au 1er mai 2012, le RĂ©giment  des commandos parachutistes (33ème Rcp)  dirigĂ© par le colonel Abdine Guindo, concocte un plan d’opĂ©ration contre le Cnrdre basĂ© Ă  Kati. Ainsi, un groupe monte Ă  l’assaut du camp Soundiata de Kati, siège des anciens mutins du Cnrdre.

Un second groupe sedirigĂ© vers l’Ortm oĂą les agents de sĂ©curitĂ© sont maitrisĂ©s, la radio prise et un dernier groupe monte Ă  l’assaut de l’aĂ©roport restĂ© brièvement sous contrĂ´le du 33ème RĂ©giment  des commandos parachutistes. La riposte est immĂ©diate et les militaires de Kati repoussent les diffĂ©rentes attaques au prix de plusieurs morts et blessĂ©s. Des militaires appartenant au corps des bĂ©rets rouges sont faits prisonniers et certains sont montrĂ©s Ă  la tĂ©lĂ©vision nationale. Parmi ceux-ci des Ă©lĂ©ments du camp de Djicoroni Para, des policiers, des militaires d’autres unitĂ©s, tous conduits au camp I de la Gendarmerie nationale pour l’enquĂŞte prĂ©liminaire. D’autres Ă©lĂ©ments du 33ème Rcp sont dĂ©tenus au camp de Kati comme prisonniers.

Les parents et proches de ces Ă©lĂ©ments, dans leur quĂŞte de  nouvelles de ces militaires prisonniers, se heurtent Ă  un mur de silence, voire d’absence de nouvelles. Aucune information quant au lieu de dĂ©tention de ces militaires, alors que leur compagnon d’infortune font dĂ©jĂ  circuler la nouvelle d’une sinistre exĂ©cution nocturne, quelques jours après les Ă©vènements au cours desquels ils ont Ă©tĂ© arrĂŞtĂ©s. Certains militaires tĂ©moignent de l’embarquement d’une  vingtaine de militaires nuitamment menottĂ©s, les visages bandĂ©s et conduits vers une destination inconnue.

Devant la persistance des rumeurs, le parquet gĂ©nĂ©ral, par la lettre n°021du 21 juillet 2012, instruit au procureur de la RĂ©publique près du tribunal de Grande instance de la commune III du district de Bamako d’ouvrir une enquĂŞte et par la suite requĂ©rir l’ouverture d’une information contre X pour enlèvement de personnes.

A la suite de cette information, plusieurs officiers et sous-officiers membres du Cnrdre sont inculpĂ©s des faits d’enlèvement de personnes. Parmi les mis en cause : le gĂ©nĂ©ral Amadou Haya Sanogo, les capitaines Issa Tangara, Amassongo Dolo, Christophe DembĂ©lĂ© ; les sous-officiers Ousmane Sanafo dit Kif-kif, Mamadou KonĂ©, Fouseyni Diarra di Fouss, etc.

Lors de leur première comparution devant le magistrat instructeur,  les charges retenues contre eux leur sont notifiĂ©es. Mamadou KonĂ© et Fousseyni Diarra reconnaissent formellement les faits d’enlèvement et d’assassinat d’un certain nombre d’Ă©lĂ©ments du 33ème Rcp et avouent y avoir participĂ©. En plus de cette double reconnaissance des faits, ils indiquent dans les moindres dĂ©tails l’endroit oĂą sont sommairement enterrĂ©es les victimes. Alors, le magistrat instructeur ordonne sur le champ un transport sur les lieux, Ă  savoir dans les environs du village de Diago, non loin de la cimenterie. LĂ , dans la campagne et au beau milieu d’un champ de cultures, Fousseyni Diarra et Mamadou KonĂ©, deux personnages clĂ©s dans cette affaire, indiquent l’endroit exact oĂą se trouvent les restes des corps des suppliciĂ©s.

Une exhumation est faite par les agents de la police technique et scientifique du Service d’investigation judiciaire de la Gendarmerie nationale.

Ainsi, dans une fosse, vingt et un (21) squelettes sont exhumĂ©s. Sur la base donc de ces faits nouveaux, le parquet, par un rĂ©quisitoire  supplĂ©tif en date du 5 dĂ©cembre, requiert l’extension de l’information Ă  ces faits nouveaux pour induire les crimes d’assassinats et complicitĂ©. Tant au cours de leur interrogatoire de première  comparution qu’au cours des interrogatoires sur le fond et lors des confrontations, l’adjudant-chef Mamadou KonĂ© et l’adjudant-chef Fousseyni Diarra ne varient guère sur leurs dĂ©clarations. Il en est de mĂŞme pour Tièmoko Adama Diarra, lequel, Ă  quelques variantes près, reconnaĂ®t Ă©galement les faits. A partir de la version des faits tenus par Fousseyni Diarra dit Fouss, Mamadou KonĂ© et Tièmoko Adama Diarra, le scĂ©nario qui se dĂ©gage est alors le suivant :

A la suite de l’Ă©chec de l’agression des militaires du 33ème Rcp dirigĂ©e par le colonel Abdine Guindo contre le camp Soundiata de Kati, de nombreux assaillants sont faits prisonniers et parmi les blessĂ©s admis dans diffĂ©rents centres hospitaliers, certains sont enlevĂ©s par le capitaine de gendarmerie Issa Tangara et conduits Ă  Kati, dans la nuit du 2 mai 2012, une liste est remise à  l’adjudant-chef Mamadou KonĂ© par le lieutenant SoĂŻba Diarra.

Mais auparavant, le lieutenant SoĂŻba demande Ă  Mamadou KonĂ© de creuser une fosse. Devant le peu d’enthousiasme manifestĂ© par ce dernier. SoĂŻba Diarra confie la mĂŞme tâche Ă  Cheickna Siby qui l’exĂ©cute. Ainsi, tard dans la nuit, un camion vient se garer près de l’endroit oĂą sont gardĂ©s les bĂ©rets rouges. A l’appel, chaque militaire sort de sa cellule les mains attachĂ©es au dos et les yeux bandĂ©s. Ils sont 21 Ă  ĂŞtre embarquĂ©s dans le camion, mais le 21ème, notamment Mohamed Diarra, sera miraculeusement dĂ©barquĂ© sans que l’on sache pourquoi. Il sera remplacĂ© par le lieutenant Aboubacar Kola CissĂ© dĂ©tenu Ă  l’Ă©cole d’application de Kati oĂą il est gardĂ© par le capitaine Amassongo Dolo. C’est donc Mohamed Diarra qui se trouvait parmi les 21 militaires embarquĂ©s, qui tĂ©moigne le premier de l’issue de l’embarquement nocturne de ses compagnons d’arme suivi de leur exĂ©cution non loin de Diago.

Au moment oĂą on embarquait les 20 suppliciĂ©s, Lassana SingarĂ© et Cheickna Siby sont allĂ©s chercher le lieutenant Aboubacar Kola CissĂ© dĂ©tenu Ă  l’Ă©cole d’application de Kati pour complĂ©ter Ă  nouveau la liste Ă  21 bĂ©rets rouges. Tout au long du dĂ©roulement des Ă©vènements du 30 avril au 1er mai 2012, en plus de militaires du 33è RĂ©giment des commandos parachutistes, certains policiers sont recherchĂ©s, arrĂŞtĂ©s et violentĂ©s par leurs compagnons de corps. Ils sont au nombre des victimes.

Les accusĂ©s sont au nombre 18 Ă  comparaĂ®tre pour enlèvement de personnes, assassinat, complicitĂ© d’enlèvement et d’assassinat, des faits prĂ©vus et punis par les articles 24, 25, 199, 200 et 240 du code pĂ©nal. Il s’agit de  Fousseyni Diarra dit Fouss, Mamadou KonĂ©, Tièmoko Adama Diarra, Lassana SingarĂ©, Cheichna Siby, Issa Tangara, Amadou Haya Sanogo, Blonkoro SamakĂ©, Amassongo Dolo, SimĂ©on KeĂŻta, Oumarou Sanafo dit Kif-kif, SoĂŻba Diarra, Christophe DembĂ©lĂ©, Amadou KonarĂ©, Mohamed Issa OuĂ©drago, Ibrahim Boua KonĂ©, Yamoussa Camara et Ibrahim Dahirou DembĂ©lĂ©. Un pool d’avocats est constituĂ© dans le dossier. Pour les accusĂ©s, il s’agit de MaĂ®tre Tièssolo KonarĂ© pour Amadou Haya Sanogo et autres. MaĂ®tre Alassane SangarĂ© pour les gĂ©nĂ©raux Yamoussa Camara et Ibrahim Dahirou DembĂ©lĂ© et le lieutenant-colonel Ibrahim Boua KonĂ©. MaĂ®tre Cheick Oumar KonarĂ© pour Amadou Haya Sanogo. Le cabinet d’avocat SoumarĂ©-FanĂ© pour Amadou KonarĂ©. MaĂ®tre Mamadou Camara pour le gĂ©nĂ©ral de division Ibrahim Dahirou DembĂ©lĂ©. MaĂ®tres Mohamed Diop, Boubacar MallĂ© et Mariam Diawara pour tous les accusĂ©s.

Pour la partie civile : Maîtres Mamadou Diarra, Wali Mamadi Diarra, Mouctar Mariko et Clément Sangaré.

A l’entame du procès, tous les accusĂ©s se prĂ©sentent un Ă  un. Au tour de l’ancien ministre de la dĂ©fense, Ă  savoir le GĂ©nĂ©ral Yamoussa Camara, il dit ceci : “Je vais me prĂ©senter par respect pour la Cour sinon cette affaire ne me concerne en rien, seulement j’Ă©tais le ministre de la dĂ©fense au moment des faits, je n’y suis pour rien”, dĂ©clare-t-il.

Prenant la parole au nom du collectif des avocats des accusĂ©s, MaĂ®tre Alassane SangarĂ© dit que c’est un procès de la vĂ©ritĂ© pour certains, un procès des bĂ©rets rouges pour d’autres et pour lui, c’est le procès de la honte.

Au cours de cette audience, quatre tĂ©moins sont prĂ©sentĂ©s et une seule victime du nom de Aminata SoumarĂ© car les autres sont entièrement dĂ©dommagĂ©es, au nom de l’application de la Loi d’entente nationale. Cette dame dit rĂ©clamer la justice pour son cas car elle a Ă©tĂ© victime d’enlèvement et viol pendant 5 mois.

Les accusĂ©s bĂ©nĂ©ficient de la Loi d’entente nationale qui parle d’amnistier les acteurs des dĂ©gâts causĂ©s par la crise de 2012, explique MaĂ®tre Alassane SangarĂ©. “En ce sens, veuillez renvoyer les accusĂ©s sans peine ni dĂ©pens”, demande-t-il.

En effet, l’article 3 de ladite loi stipule : “Les dispositions de la prĂ©sente loi s’appliquent aux faits pouvant ĂŞtre qualifiĂ©s de crimes ou dĂ©lits, prĂ©vus et punis par le code pĂ©nal malien. Les autres lois pĂ©nales et les conventions et textes internationaux ratifiĂ©s par le Mali en matière de promotion des droits de l’homme survenus dans le cadre des Ă©vènements liĂ©s Ă  la crise de 2012 et qui ont gravement portĂ© atteinte Ă  l’unitĂ© nationale, Ă  l’intĂ©gritĂ© territoriale et la cohĂ©sion sociale “.

MaĂ®tre Cheick Oumar KonarĂ© de la dĂ©fense donne plus de prĂ©cision. “Les parties plaignantes, Ă  travers leurs avocats, ont dĂ©posĂ©s dans le dossier un document portant protocole d’accord signĂ© entre elles et le gouvernement du Mali. Aux termes de ce protocole d’accord, les parties civiles ont reçu une indemnisation financière et en vertu de ce protocole d’accord, elles se sont dĂ©sistĂ©es de toutes les poursuites contre les accusĂ©s sur le fondement de Loi d’entente nationale.

Il s’agit d’une loi qui prĂ©voit l’extinction de toutes les poursuites contre toutes les personnes qui rĂ©pondent Ă  un certain nombre de critères et ces critères-lĂ , nos clients y rĂ©pondent. L’indemnisation qui a Ă©tĂ© accordĂ©e par l’Etat aux parties civiles vise expressĂ©ment cette Loi d’entente nationale, donc il n’y a aucune raison qu’elle ne s’applique pas aux accusĂ©s. Le ministère public a requis l’application de cette loi”, souligne MaĂ®tre Cheick Oumar KonarĂ©.

Me KonarĂ© d’ajouter ceci : “Nous sommes confiants et dans un pays d’un moment Ă  un autre les fils ont besoin de se rĂ©concilier et se parler. Ce qui profite aujourd’hui Ă  Sanogo et coaccusĂ©s va profiter Ă  d’autres demain parce qu’il y a d’autres affaires qui impliquent des  militaires, djihadistes et terroristes, donc pour panser les plaies de la nation, il va bien falloir accorder le pardon national Ă  ceux qui sont poursuivis”, conclut-il.

Le dossier est donc renvoyĂ© pour ĂŞtre dĂ©libĂ©rĂ© le lundi 15 mars 2021. Après dĂ©libĂ©ration sans jugement de fond, la Cour dĂ©clare les faits amnistiĂ©s, donc l’action publique Ă©teinte contre tous les accusĂ©s qui sont libres.

Aminata SoumarĂ© n’ayant pas eu droit Ă  la parole le lundi dernier, avant et après le prononcĂ© du verdict, Ă©tait sur les nerfs Ă  la sortie d’audience : “Les juges ont enterrĂ© la justice malienne, ils ont fait la honte du Mali. Je vais porter plainte dans les juridictions internationales car ce n’est pas une justice ça”, indique-t-elle. Elle est la seule partie civile non dĂ©dommagĂ©e.

Il faut rappeler que les autres victimes ont reçu de l’Etat, chacune, une villa et 28 millions Fcfa et des promesses pour les ayants-droits des bĂ©rets rouges assassinĂ©s.

               Marie DEMBELE

Commentaires via Facebook :