La célébration de cette journée intervient cette année dans un contexte marqué par une forte recrudescence de l’insécurité dans le monde et plus particulièrement dans la zone du Sahel. Une situation qui a de fortes conséquences sur le développement du Sahel, à travers la fragilisation de sa jeunesse. M. Mabingué NGom livre son analyse sur la question.
En matière de population, les chiffres parlent. Que nous disent-ils ? En 2050, le Nigéria, pays le plus peuplé d’Afrique, comptera 410 millions des 2,5 milliards d’Africains, contre 190 millions aujourd’hui. Les populations du Niger et du Mali vont également doubler, avec des répercussions importantes sur la demande sociale et l’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD).
À force de projections chiffrées, la question démographique s’est imposée dans les agendas politiques, aux niveaux nationaux comme à l’échelle de l’Union africaine (UA), outre le programme d’action de la dernière Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD), qui s’est tenue à Nairobi en 2019. Reste à la voir traitée pour ce qu’elle est vraiment : une urgence.
Le chômage, facteur d’instabilité
Beaucoup reste à faire, en effet, pour que l’Afrique achève sa transition démographique et en tire l’essor économique escompté. Au cours des trois prochaines décennies, la population en âge de travailler va augmenter de 200 %, selon un rapport de Standard & Poors Global Ratings publié le 4 août dernier.
Et ce, alors que l’inclusion des jeunes sur le marché du travail représente déjà un problème lancinant, sur fond de chômage, d’inégalités et de fragilités structurelles des économies. Selon les statistiques nationales du Nigeria, le chômage est passé de 22 % à 33 % entre fin 2019 et fin 2020, en raison de la pandémie. Le chômage des jeunes s’élevait à 53,4 % en janvier 2021, contre 40,8 % un an plus tôt.
Ce manque de perspectives contribue à jeter sur les routes de la migration et dans les bras de groupes armés des centaines de jeunes chaque année. Une étude menée par l’UNFPA, le Peace Research Institute of Oslo (PRIO) et l’École Nationale de la Statistique et de l’Analyse Économique (ENSAE) de Dakar a démontré le lien entre démographie et insécurité.
Il en va de la stabilité des pays, notamment dans le Sahel central, où se joue une quadrature du cercle. Les États consacrent en effet une part importante de leurs dépenses à la sécurité, au détriment de la santé et de l’éducation. La confiance entre les États et les citoyens se dégrade, avec des franges de la population qui se sentent délaissées, faute d’accès aux services de base. Des jeunes s’enrôlent dans des groupes armés non pas par idéologie, mais pour gagner quelques poignées de nairas ou de francs CFA.
Faire passer les solutions à l’échelle
Concrètement, l’expérience de ces cinq dernières années nous démontre qu’il faut faire passer à l’échelle les solutions ayant fait leurs preuves à un niveau régional ou local.
L’initiative G8-Muskoka a vu les pays du G8 s’engager en 2010 à hauteur de 7,3 milliards de dollars sur cinq ans pour soutenir les cibles des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) portant sur la baisse de la mortalité maternelle, néonatale et infantile dans les pays en développement, et le meilleur accès au planning familial. Cherchant à changer les mentalités, Muskoka a notamment lancé en 2015 une série télévisée panafricaine, « C’est la vie », diffusée sur TV5 Monde Afrique, Canal+ Afrique et 40 chaînes africaines, pour traiter de la polygamie, des grossesses rapprochées, des mariages d’enfant et autres pratiques néfastes. Un projet « sage-femme itinérante » a été lancé au Sénégal, une offre en Soins obstétricaux et néonatals d’urgence (SONU) en Guinée, ou encore la campagne « zéro grossesse à l’école » en Côte d’Ivoire.
Pour faire changer les mentalités, chaque effort compte. Il s’agit aussi bien de faire passer les messages sur l’espacement des naissances via les chefs religieux et traditionnels, comme l’UNFPA le fait par le biais du programme Autonomisation des femmes et dividende démographique au Sahel (SWEDD), actif dans neuf pays, que de tendre la main à des jeunes prêts à changer la donne, comme le Réseau africain des adolescents et des jeunes (AfriYAN). Ou à répliquer partout des projets tels que « Fass émergent », lancé dans une commune de Dakar, afin de rehausser le plateau médical d’un centre de santé, rendre accessibles les moyens de contraception, mais aussi former des cohortes de jeunes à de petits métiers.
Les résultats vont dans le bon sens. En Afrique de l’Ouest et du centre, le taux des mères adolescentes est passé de 128 à 108 pour 1000 entre 2015 et 2021. Les accouchements médicalement assistés sont désormais majoritaires, à 55 % contre 48 % en 2015. L’accès à la contraception, entre trop limité, est passé à 17 % contre 13 % seulement en 2015.
Ne nous leurrons pas, cependant. Ces progrès restent trop lents face aux enjeux qui nous attendent. Créer 450 millions d’emplois en Afrique dans les prochaines années représente une tâche absolument titanesque. Une mobilisation générale sera nécessaire, pour que l’augmentation des actifs permette le décollage économique de l’Afrique, au lieu d’aggraver ses crises.
Mabingué Ngom
Conseiller principal de la Directrice exécutive de l’UNFPA et Directeur du Bureau de représentation de l’UNFPA auprès de l’UA et de la CEA