Intime conviction : Des fondamentaux à rétablir pour stabiliser le Mali

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Instaurer la justice entre les citoyens et accorder aux justiciables leurs droits ! C’est l’une des conditions sine qua non de prévention des crises politiques et un facteur fondamental de la stabilité du pays. Au Mali, la corruption de l’appareil judiciaire est en partie à la base de certains fléaux (corruption, délinquance financière, spéculation foncière, insécurité, incivisme) qui ont favorisé la rupture entre le peuple et ses dirigeants. Pis, cela a engendré des crises qui ont menacé la nation dans ses fondements républicains et démocratiques.

«Quand on arrive à imposer la justice et l’équité, on peut faire l’économie de beaucoup de crises dans nos pays» ! Telle est la conviction réaffirmée par M. Drissa Guindo, Secrétaire général du ministère de la Jeunesse et de la Construction citoyenne. Il félicitait ainsi le jury de la 4e édition du concours «Talent de presse» (une initiative de l’OJRM (Organisation des jeunes reporters du Mali) et du Club des Amis de l’Union européenne), dont la cérémonie de remise a eu lieu le 22 septembre à la Résidence Wassoulou.

Justice et équité ! Deux valeurs sacrifiées au Mali depuis de très longues décennies. Ce qui a entraîné un malaise de plus en plus profond au point de provoquer la rupture entre les Maliens et leur justice. En fait, parler même de «justice» au Mali, ces dernières décennies, serait se nourrir d’illusions. En effet, sous le poids de la corruption, c’est un édifice qui s’est littéralement effondré. Et les professionnels du secteur sont les premiers à l’admettre. «La justice malienne est indépendante de tout, sauf de l’argent sale» ! Ainsi s’était exprimée Me Fanta Sylla, ex-ministre de la Justice et Bâtonnier de l’Ordre des Avocats à l’époque. C’était à l’occasion de la rentrée judiciaire de 2004.

Une boutade qui établissait un pertinent diagnostic de ce profond malaise qui secoue toujours la magistrature et qui a précipité notre pays dans une sorte de «République des juges» : l’argent ! La justice n’est pas rendue par respect du droit, mais en fonction du rang ou de la classe sociale, des intérêts économiques en face ; que l’on soit riche ou pauvre ; selon que l’on soit dans le cercle du pouvoir ou un citoyen lambda…

Garant de la liberté et de la protection du citoyen, le juge malien a presque acquis une puissance divine parce qu’il a droit de vie ou de mort sur le pauvre justifiable. Et cela, au détriment des règles de droit et l’éthique, le meilleur bouclier contre les dérives dans la profession. Treize ans après ce coup de gueule de la courageuse Me Fanta Sylla, l’appareil judiciaire du Mali est toujours englué dans le même fléau et toutes les tentatives visant à redorer son image ont échoué.

Un fossé qui se creuse entre la magistrature et les justiciables

La grève illimitée observée entre le 9 janvier 13 février 2017 par le Syndicat autonome de la magistrature (SAM) et le Syndicat libre de la magistrature (SYLMA) a montré la profondeur du fossé qui sépare ce corps et les justifiables. En effet, elle a offert aux citoyens l’opportunité d’exprimer ce qu’ils pensent de leur justice à travers des débats, notamment sur les réseaux sociaux. «Aujourd’hui au Mali, la justice n’existe que sur le papier. Et si par hasard, elle existe, il faut la chercher en d’autres lieux. Dans nos Palais de justice et tribunaux, la raison du plus puissant est toujours la meilleure», dénonçait ainsi un intervenant.

Pour cet autre internaute, «c’est utopique de croire qu’il existe réellement une justice dans notre pays. Les pauvres et les laissés pour compte du système politique sont obligés de s’en remettre à la justice divine». «La justice au Mali ? Pour la trouver, il faut sonder dans les gosiers, les tripes jusqu’aux fions et bas-fonds des justiciers d’ici, car ils la cachent, si bien qu’on ne la retrouvera jamais…», avait précisé un autre intervenant pour enfoncer le clou. «Les libertés provisoires sont vendues, au nez et à la barbe de tous, au plus offrant. Pendant que les voleurs de poules croupissent en prison et dans l’anonymat le plus total, les fossoyeurs du denier public se la coulent douce au volant de luxueuses bagnoles. Ou à l’ombre des forteresses, la main sous les soutiens-gorges des lolitas ou des Grobinèw (Grandes Dames) de la capitale. C’est donc logique que voler du denier publique soit devenu un sport favori», a récemment déploré une actrice engagée de la société civile malienne.

On voit alors aisément que si le «Mali est malade», sa justice est à l’agonie. Malheureusement, pensent de nombreux observateurs, on ne note «aucune volonté de changer les choses de la part de ceux qui sont chargés de dire le droit». À l’image de la société humaine, aucune démocratie ne fonctionne sans que la justice ne joue pleinement son rôle de régulateur des relations sociales, professionnelles, politiques, économiques. Ceux qui abusent des biens sociaux savent qu’ils peuvent corrompre les juges et même les avocats du gouvernement pour s’en sortir à peu de frais.  Ceux qui vivent de la corruption savent aussi que la justice est le terreau fertile de ce fléau.

Une bombe sociopolitique pire que la crise sécuritaire

Des fléaux comme la délinquance financière, l’incivisme fiscal, la spéculation foncière… prospèrent parce que ceux qui animent ces réseaux savent compter sur la complicité voire la protection de la justice. Les victimes doivent sans cesse refouler leur désespoir, leur désillusion et surtout leurs frustrations. Autant de bombes sociales dont la déflagration est généralement la source fondamentale des conflits et crises que nous connaissons dans ce pays. «Au Mali, personne ne veut avoir affaire à la justice parce qu’on ne lui fait plus confiance… Rares sont ceux qui sont censés appliquer la loi ou la faire respecter et qui ne font que la modifier en fonction des leurs intérêts», a déploré un responsable de la société civile.

«La situation du foncier au Mali est grave. Si rien n’est urgemment fait, il faut craindre que le pays ne soit face à une bombe à fragmentation. Il faut assainir le domaine foncier sur toute l’étendue du territoire», s’est ainsi exprimé M. Baba Akhib Haïdara, Médiateur de la République, lors de la conférence de presse de présentation de ses rapports annuels 2012 et 2013, le 3 juin 2014. Ainsi, comme le déplorait récemment un confrère (Le Point du 21 septembre 2017), «deux à trois propriétaires se retrouvent fréquemment devant le juge avec 2 ou plusieurs titres fonciers sur un même terrain. Et pourtant, il n’existe nulle part une société privée de délivrance de titres de propriété si ce n’est l’Etat. Dans la majorité des cas, le plus nanti gagne le duel puisque le juge aura sa part du gâteau en nature ou en espèces sonnantes et trébuchantes. Ce n’est pas un hasard si les juges corrompus sont ceux qui disposent de terrains partout».

Malgré ces alertes annuelles du Bureau de Médiateur de la République, malgré les dénonciations de la société civile et une partie de la classe politique (le parti Sadi notamment), et malgré les cris de détresse des victimes privées de leurs biens et à qui on refuse l’accès à une justice équitable, la spéculation foncière ne cesse de prendre de l’ampleur. Et cela d’autant plus que ces usurpateurs fonciers savent mettre les juges de leurs côtés. S’ils (spéculateurs) ne sont pas d’ailleurs parmi eux ou les auxiliaires de justice. Pis, ces fléaux qui se nourrissent de la corruption de l’appareil judiciaire constituent aussi un terreau fertile de l’extrémisme violent, du terrorisme… Ils créent des frustrés et des désœuvrés qui deviennent des proies faciles pour les réseaux criminels.

La frustration du déni de justice est ainsi l’une des raisons essentielles de la crise qui secoue le Mali depuis de longues années. Un malaise antérieur à la rébellion qui a débuté au nord du pays en janvier 2012. C’est pourquoi il est utopique de vouloir accéder à la paix, à la réconciliation et à la stabilité sociopolitique sans rééquilibrer la balance de la justice au profit du seul droit. «Nul n’est censé ignorer la loi» dit l’adage. Tout comme nul ne doit être impunément privé de ses droits parce qu’il est pauvre ou parce qu’il n’a pas les bras longs. Il faut faire de la justice et de l’équité les charpentes de la paix. Comme le rappelait si pertinemment un rapport de la Fondation Friedrich Ebert/Mali, «Gouvernance de la justice au Mali» (2007), «la Justice, c’est certes la fonction de dire le droit, mais elle peut être aussi un facteur central des enjeux liés à l’environnement politique, économique, social, culturel, religieux et sécuritaire». En effet, au-delà de la sécurité juridique, «une saine distribution de la justice favorise le respect des droits de la personne, de la sécurité humaine et la démocratique. Une bonne justice est de nature à sécuriser les investissements internes et externes, partant, à dynamiser la croissance économique et à stimuler le développement», avait précisé le document.

Briser ce cercle vicieux était l’une des fortes attentes des Maliens par rapport au processus de réforme du secteur de la justice, à travers le Programme décennal de développement de la justice (PRODEJ). Malheureusement, les résultats sont pour le moment bien maigres en termes d’accès équitable de tous à une justice transparente et crédible. Les mauvaises attitudes sont liées au comportement de ceux qui rendent la justice, donc une question de mental, et non forcément aux textes ou à la vétusté des infrastructures.

Réconcilier, pacifier le pays et le stabiliser sont intimement liés à la réhabilitation de la justice, au rééquilibrage de la balance de l’appareil judiciaire au profit du seul droit. La justice, surtout sociale, est une condition sine qua non de la paix. Il faut un accès équitable de tous les fils et de toutes les filles de la nation à l’éducation, à la santé, à l’emploi, aux postes de décision… Les Maliens aspirent à une justice pouvant contraindre les citoyens à respecter les limites, les lois ; amener les pauvres à ne pas craindre les riches ;  forcer les autorités à ne pas abuser du pouvoir que le peuple leur confie.  Mais, hélas, cela demeure toujours un… mirage !

Hamady TAMBA

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