Manifestation contre le mauvais état des routes à Gao et Tombouctou, colère à Badiangara après le bombardement de la base militaire de Dan Na Ambassagou, mobilisation contre l’insécurité à Ménaka, meeting à Bamako contre la corruption….Les mouvements de contestation se multiplient à travers le pays. Faut-il craindre le pire ?
« Il y a eu une manipulation à ce niveau là. On a prêté au chef du gouvernement des propos qu’il n’a jamais tenus…» Les propos, signés Ibrahim Boubacar Kéïta, à l’occasion de l’An I de son second quinquennat, sur les manifestations contre l’état des routes à Gao et Tombouctou, illustrent parfaitement la crispation qui gagne actuellement les autorités maliennes.
Après Kayes, Kati, Gao, la protestation contre le mauvais état des routes a gagné Tombouctou. Les jeunes de la cité religieuse continuent, depuis une semaine, de bloquer la route menant à l’aéroport de la ville, les entrées de la ville et le quai de Koriomé. Aujourd’hui, la jeunesse de Tombouctou exige des actions concrètes et a dit niet à tout le monde. Elle veut comme seul interlocuteur le Premier ministre Dr Boubou Cissé.
Ce dernier, selon des allégations, aurait instruit que le matériel de chantier de la route Léré – Niafunké – Tombouctou soit transféré sur le chantier de la route Kati – Didiéni. Selon Yaya Sangaré, le porte-parole du gouvernement, « le chef du gouvernement n’a jamais tenu ces propos. » « Le gouvernement a conscience de la souffrance des populations et reconnaît la légitimité de ces actions citoyennes qui sont une façon pacifique de s’exprimer en démocratie. Le gouvernement appelle seulement notre jeunesse à plus de retenue dans l’expression de ses revendications citoyennes dont la forme actuelle est fortement préjudiciable aux efforts du gouvernement pour trouver des solutions aux problèmes du pays dans la situation de crise que nous vivons », a déclaré, le lundi dernier, le ministre de la Communication, chargé des relations avec les instituions, porte-parole du gouvernement.
A Bandiagara, les populations, excédées par l’insécurité chronique dans le centre du pays, ont marché le lundi denier pour exiger le départ des forces étrangères et la démission du Premier ministre Dr Boubou Cissé. Le bombardement de la base militaire de Dan Na Ambassagou, un groupe armé d’autodéfense, a été la goutte d’eau qui a fait déborder la vase. Dans leur déclaration, les manifestants ont exprimé leur ras le bol. «Après tous les efforts allant dans le sens de l’apaisement, de la réconciliation et de la cohésion sociale, notre étonnement est grand de voir les choses s’aggraver et se détériorer », regrettent-ils. « Nous n’entendons plus rien de l’Etat qui n’est pas capable de nous protéger contre les attaques régulières et récurrentes des terroristes.»
Ginna Dogon, l’association pour la protection et la promotion de la culture dogon , explique que dans la région de Mopti la situation sécuritaire est marquée par la résurgence des attaques de villages Dogon (aux alentours de Bandiagara) et le bombardement récent d’une base de cantonnement des combattants de Dan Na Amassagou par les FAMAS. «Un bombardement incompréhensible au moment où toutes les énergies étaient déployées pour amener Dan Na Amassagou à déposer les armes», souligne Ginna Dogon.
L’association a ainsi invité « le gouvernement à privilégier toujours la voie du dialogue et les Forces Armées à agir avec plus de discernement afin d’éviter le sentiment de stigmatisation et de chasse aux sorcières. »
A Ménaka, un grand rassemblement a aussi eu lieu le lundi dernier. Objectif : faire face à l’insécurité qui sévit dans la région et prôner la paix et le vivre ensemble. A Bamako, le samedi dernier, l’imam Mahmoud Dicko, ancien président du Haut conseil islamique du Mali, a lancé, en grande pompe au Palais de la culture, la Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS) de l’imam Mahmoud Dicko.
Une occasion pour l’influent imam de fustiger une « gouvernance catastrophique » et une « corruption à ciel ouvert et endémique » au Mali. Le même jour, la Plateforme de lutte contre la corruption et le chômage, dirigée par Clément Dembélé, a aussi tenu un meeting pour inviter les autorités maliennes à faire toute la lumière sur l’affaire des hélicoptères cloués au sol, une affaire qui défraie la chronique aujourd’hui au Mali.
En effet, dans une interview accordée à Jeune Afrique, le président IBK avait fait cas des hélicoptères maliens cloués au sol par faute de maintenance. A sa suite, son fils et non moins président de la commission défense de l’Assemblée Nationale, Karim Keïta, lors d’une interpellation des députés français d’origine malienne à Paris, a confirmé les dires de son père et s’interroge si le Mali « n’a pas été floué à l’achat ». La rocambolesque affaire sur fond de corruption suscite beaucoup de commentaires.
Ces poches de protestations sociales renseignent ainsi sur la colère latente de la société qui subit depuis plusieurs années les contrecoups de la crise multidimensionnelle secouant le pays. Ce bouillonnement de la société, qui manque de mille et une choses dans un pays en proie à une insécurité chronique et la réaction empreinte d’impuissance du gouvernement, fait aujourd’hui peur. En tentant de délégitimer les revendications des populations, les autorités maliennes cachent mal leur incapacité à répondre favorablement aux problèmes multiples générés par la mauvaise gouvernance, la corruption….depuis plusieurs années. Cette impuissance face aux soulèvements des populations, n’augure rien de bon pour l’avenir du pays. Le risque d’une grave explosion sociale n’est pas à écarter.
Madiassa Kaba Diakité