Ventes aux enchères de migrants en Libye : Arrêtons de verser des larmes de crocodile et trouvons, nous-mêmes, des solutions à la question des migrations illégales !

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Moussa Mara
Moussa Mara

Les questions de l’émigration sont décidément de véritables cailloux dans la chaussure des gouvernants en Afrique et notamment, ceux de notre pays. L’année dernière, à la même période, nous traversions la polémique des Accords supposés entre l’Union Européenne et le Mali pour aider à rapatrier les Maliens en situation irrégulière avec son lot d’occupations des consulats et de troubles divers. Cette année, c’est l’image de la vente aux enchères en Libye de migrants transitant par ce pays, qui déchaine les passions au point de troubler le Sommet Union Africaine –  Union Européenne d’Abidjan. 

Curieusement, les responsables publics font mine de découvrir cette horreur, alors que de nombreuses alertes sont lancées depuis plusieurs années sur les tragédies qui se déroulent en Libye où les migrants font l’objet de brimades, viols, assassinats, extorsions de fonds…La vente aux enchères n’est que l’un des avatars de ce que nos parents subissent au quotidien. Nos dirigeants peuvent difficilement prétendre qu’ils n’en savaient rien. Les indignations et autres réactions plus ou moins passionnées sont donc plutôt politiciennes au premier chef et destinées à endormir les consciences. Il serait dommage de s’en arrêter à cela !

L’émigration, pour un pays comme le Mali, est un sujet crucial et nos autorités devraient le traiter comme tel. Ce n’est pas un sujet à aborder de manière conjoncturelle en réaction aux drames qu’il charrie. Nous devons le traiter comme une des thématiques majeures des années à venir en soulevant clairement ses aspects les plus problématiques. Cela nous permettra d’éviter des réactions épidermiques sans lendemain et d’engager des initiatives de fonds. Il nous faut convaincre nos  partenaires que nous en sommes conscients et qu’il s’agit, d’abord, de notre problème avant d’être le leur. Oui, le départ de jeunes maliens par dizaine de milliers, chaque année, est aussi un problème malien et non européen ou maghrébin. A ce titre, c’est le Mali qu’il faut entendre dans son diagnostic, dans sa vision, dans ses objectifs fixés et dans ses propositions avant que nous ne confondions les propositions des « autres » à des diktats.

Ces questions doivent être abordées à la lumière de certains principes qu’il convient de partager clairement avec les populations maliennes qui sont, à la fois, actrices et victimes des projets migratoires. Elles concerneront les dispositifs misent en place pour leur renforcement afin d’être plus efficaces dans le traitement du problème. Elles doivent, enfin, s’inscrire dans l’actualité, faire l’objet de débats publics réels soutenus et dans la durée afin que tout le corps social se sente concerné par les questions soulevées.

Le premier des principes qui doit soutenir l’action de nos autorités sur les questions des migrations est que le départ de nos compatriotes est stratégiquement négatif pour notre pays. Cela n’est pas du tout retenu au Mali où, comme ailleurs, les départs sont perçus comme des opportunités voire un moyen de se délester des gens qui nous empêchent de tourner en rond, à savoir la pression des jeunes sur leurs dirigeants. Il nous faut rompre avec cette posture et changer de discours sur l’émigration. Nous recevons des revenus de l’extérieur mais nous perdons des hommes, de la créativité, des énergies ; des éléments qui nous sont indispensables pour développer nos villages, nos campements, nos territoires et notre pays. L’émigration irrégulière est une catastrophe car se traduit par des pertes en vie humaine et des drames quotidiens.

Faciliter cette aventure est criminelle et assimilable à une incitation au suicide. Le dernier principe, à la lumière duquel nous devons agir, est l’indispensable partenariat avec la « diaspora » du pays. Elle porte une grande responsabilité dans les départs. Elle peut contribuer à les réduire. Elle peut surtout contribuer à l’amélioration de la gouvernance et de la situation socioéconomique du pays. Faisons lui confiance et engageons avec elle un vrai partenariat stratégique qui verra les Maliens de l’extérieur, estimés à près d’un quart de la population résidente, contribuer équitablement à l’essor du pays. Rappelons-nous, que depuis de nombreuses années, les gouvernants sont entrain de faire face aux   conséquences du retour mal géré et mal négocié d’un autre genre de migrants maliens de la Libye !

Après la fixation des principes, nous devons revoir nos outils. La politique nationale des migrations adoptée en 2015 n’est pas financée comme de nombreuses autres politiques publiques. L’apport des partenaires est la condition pour sa mise en œuvre. Elle ne peut donc être totalement opérationnelle. En outre, elle ne met pas suffisamment l’accent sur la lutte contre les migrations illégales. Elle n’aborde pas de manière exhaustive la question de la facilitation des retours de nos compatriotes. Elle ne priorise pas la collaboration avec la diaspora dans la mise en œuvre des projets et des programmes qu’elle intègre. Ce d’autant plus, qu’elle n’a pas cherché à prendre en compte l’existant et intégrer les nombreux travaux universitaires des Maliens sur la question depuis le début des années 2000. Le département en charge des questions de migration et des Maliens de l’extérieur est dépourvu de moyens institutionnels, humains et financiers pour conduire une action efficace. Il n’existe aucun service public permanent en charge des Maliens de l’extérieur. Nous n’avons que très peu de statistiques sur ces questions et sommes donc démunis pour mettre en œuvre des actions pertinentes en la matière. Il faut revoir les dispositifs actuels, les outils institutionnels et opérationnels dont nous disposons à l’aune de l’importance stratégique des questions de migration et de diaspora.

Nous devons tendre vers des actions permanentes en matière de communication autour de ces questions. Tous les chiffres doivent être publiés. Les flux doivent être suivis et les drames documentés et analysés exhaustivement. Il est impératif que nous engagions, au niveau national, des actions déterminées de lutte contre les mafias y compris dans l’administration et les forces de sécurité en charge de l’état-civil et de l’émigration. Nous devons durcir les textes en criminalisant l’aide au départ illégal se traduisant par des pertes en vie humaine et viser explicitement tous ceux qui exploitent la misère et le désir de départ de nos jeunes compatriotes.

De manière stratégique, nos autorités doivent inscrire leurs actions dans le partenariat avec la jeunesse. Cela nécessite une meilleure exemplarité du leadership et l’amélioration de la gouvernance nationale et locale. On devrait instaurer, dans cette optique, un baromètre du désir de départ des jeunes maliens (à la charge de l’Institut National de la Statistique – INSTAT -, de la Police des frontières, de l’Institut des Sciences Humaines – ISH  et des Universités en Sciences Humaines et Sociales), qui ferait l’objet de publication régulière permettant de suivre l’état d’âmes des jeunes et son évolution en ce qui concerne l’envie de quitter le pays.  Finalement, c’est la seule mesure crédible de l’efficacité de nos dirigeants. Plus que le taux de croissance économique, mieux que la construction de routes ou d’écoles, la volonté des jeunes maliens de quitter leur pays illustre plus que tout, la capacité des décideurs à répondre à leurs attentes et à leur donner espoir.  Un dirigeant, pendant le mandat duquel, l’envie de partir des jeunes aura diminué, aura réussi son mandat. Quant aux autres…

Moussa MARA

www.moussamara.com

 

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