«La question qui est posée aujourd”hui, devant ce tribunal, c”est celle de la double-peine». Catherine Herrero, l”avocate de la défense, a bien résumé l”enjeu de la comparution immédiate qui a occupé vendredi la 16e chambre du tribunal correctionnel de Bobigny. Ce procès, c”est celui de Salif Kamaté, sans-papier malien âgé de 50 ans et résidant en France depuis l”âge de 15 ans, jugé pour opposition à une mesure d”éloignement, refus d”embarquement et coups et blessures contre un policier.
Salif Kamaté a fait l”objet d”une procédure de reconduite à la frontière après avoir été interpellé pour une triple interdiction définitive de territoire (ITF) prononcée contre lui en 1989, 1990 et 2003 pour transport, consommation et revente de stupéfiants. A chaque fois, il a purgé une peine de prison, dont la dernière était de 2 ans et 4 mois ferme. Depuis, il avait entamé avec Médecins du Monde une cure de désintoxication. Mais le 4 mai de cette année, il est interpellé dans les locaux même de la préfecture alors qu”il venait s”enquérir de l”état de son dossier et placé en centre de rétention à Vincennes.
Le 26 mai, c”est l”expulsion. Sans opposer la moindre résistance, Salif Kamaté monte à bord d”un vol Air France direction Bamako où se trouve également l”équipe du réalisateur Laurent Cantet. Tout à coup, des hurlements retentissent à l”arrière de l”appareil. «Je me suis retourné et j”ai vu trois personnes en train de se battre dans les dernières rangées, témoigne Michel Dubois, le directeur de production de Laurent Cantet appelé à la barre. Alors que Salif Kamaté se débattait et que les policiers avaient du mal à le maîtriser, l”un d”entre eux s”est mis à lui faire un étranglement, pendant que l”autre a commencé à lui balancer une série de coups de poings dans le ventre».
La suite se déroule très vite: pendant que Michel Dubois est interpellé pour avoir gêné l”opération, Salif Kamaté mord un des policiers jusqu”au sang avant de perdre connaissance et d”être évacué en urgence vers l”hôpital le plus proche. A la barre, il évoque notamment un comprimé blanc que la responsable de l”escorte l”aurait forcé à prendre en lui précisant que c”était un calmant. «Sept à dix minutes plus tard, j”ai commencé à ressentir de vives douleurs au ventre et à être pris de tremblements. C”est alors seulement que je me suis levé de mon siège en disant que je voulais partir. Là, ils m”ont sauté dessus».
Pour l”avocate de la défense, cela s”appelle des «violences illégitimes», à tel point qu”une plainte a été déposée par son client à l”Inspection générale des services (IGS). Le procureur y voit au contraire «une opération dans laquelle les policiers ont fait preuve d”un professionnalisme absolument remarquable». A Michel Dubois, il adresse «sans en sourire un seul instant» le reproche de «ne pas avoir prêté main forte aux policiers, comme c”est le devoir de tout citoyen normalement constitué». Au prévenu, il suggère, pince-sans-rire: «Allez donc faire ce que vous voulez au Mali, la France ne veut pas de trafiquants de stups chez elle. Ah, au Mali, c”est autre chose. Ce n”est pas la loi française que l”on dit si injuste avec ses doubles peines». Avant de requérir à son égard 6 mois ferme d”emprisonnement.
Il faut croire que cette justice sait faire preuve de discernement puisqu”elle ne suivra pas du tout le procureur. Considérant que Salif Kamaté a réagi «par nécessité» «face à des faits de violence manifestement excessifs», elle le relaxe pour ce chef d”accusation. Il se voit finalement condamné pour séjour irrégulier et soustraction à une mesure d”éloignement, mais bénéficie d”un ajournement de peine pour entreprendre un processus de régularisation. La double peine n”a pas eu lieu.
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