Kafka aux Pays-Bas : 16 jours de prison pour un étudiant malien de Paris-I

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 Etudiant malien de 28 ans en deuxième année de droit à Paris-I, Balla Kone a décidé de partir quelques jours à Eindhoven, aux Pays-Bas, afin de se renseigner sur une production de lait en poudre pour sa sœur vivant au Mali (elle veut en importer et en vendre à l’armée malienne). Depuis le centre de détention où il a été enfermé plus de deux semaines, il nous a raconté son aventure kafkaïenne. Il a depuis été libéré.

Il part le 7 décembre 2010. Aux Pays-Bas, il est contrôlé une première fois dans le Thalys. Le policier juge qu’il est en règle. Puis un nouveau contrôle se produit cinq minutes avant son arrivée à Rotterdam. Les policiers décident de l’arrêter, estimant que ses papiers ne suffisent pas à prouver qu’il est en situation régulière.

Arrestation non justifiée

Balla voyage sans passeport, mais avec :

• une carte de séjour expirée depuis le 15 octobre 2010 ;

• une convocation de la préfecture de Paris pour le renouveler le 31 janvier ;

• sa carte étudiante ;

• un certificat de scolarité.

Avant de partir, Balla s’est renseigné à la préfecture de Paris qui lui a précisé qu’il n’avait pas besoin de son passeport et que sa convocation de renouvellement était suffisante pour voyager à l’intérieur de l’espace Schengen (dont font partie les Pays-Bas). Pas forcément un très bon conseil, même s’il est juridiquement défendable.

Aux Pays-Bas, Balla est emmené au poste de police de la gare. La police française est contactée. Elle confirme son identité et son statut d’étranger étudiant en France légalement.

Il est néanmoins transféré au commissariat de police de Roosendaal où on lui demande de se déshabiller. Il se retrouve en sous-vêtements avec un policer « mettant son nez dans [sa] culotte ». Balla se doute qu’ils cherchent de la drogue, mais personne ne lui explique concrètement ce qu’ils font.

La barrière de la langue rend les choses encore plus difficiles. Ses empreintes sont relevées quatre fois en moins de cinq minutes, un policier qui parle un peu le français lui explique qu’ils ne vont « pas lui faire de mal ». Mais Balla ne comprend pas ce qu’il se passe.

Finalement, un interprète arrive et lui explique que c’est « juste un contrôle ».

A 21h30, soit quatre heures après son arrestation, il est transféré au centre de détention de Breda, à la frontière belgo-néerlandaise. Sa cellule : une petite pièce avec deux lits et un petit coin toilette.

A 11 heures le lendemain, soit plus de dix-huit heures après son arrestation, Balla rencontre enfin son avocat, maître Schaenmakers.

A bout de force, Balla pleure. Son avocat le rassure et lui explique qu’il n’« y a pas d’inquiétudes à avoir » et que sa situation sera régularisée rapidement. Balla raconte :

« On m’a traité comme un criminel alors que je suis en situation régulière en France. »

La police lui annonce que « la France ne veut plus de lui »

En plus de deux semaines, les seules affaires qu’on lui a données sont des sous-vêtements, un T-shirt, un marcel, une paire de chaussettes et des chaussons.

Il rencontre un Somalien qui parle français et néerlandais : il l’aide à communiquer -un peu- avec les gardiens.

Des tests sanguins effectués après son arrestation ont révélé qu’il était diabétique. Cette maladie est présente dans sa famille mais il ignorait jusque-là qu’il en était porteur. Il demande à ce qu’on lui « apporte des papiers prouvant son état de santé » ; en vain. Il ne bénéficie pas non plus de nourriture adaptée à sa maladie.

Le jeudi 9 décembre, il est à nouveau transféré au centre de détention de Rotterdam.

Le lendemain, on lui annonce qu’il va être relaxé. Mais ce n’est pas le cas. La police lui annonce même que « la France ne veut plus de lui ». Balla est médusé : après près de deux ans en France en situation régulière, le monde s’écroule.

Le lundi, il décide de contacter ses amis à Paris. Inquiets, ces derniers se regroupent, créent un groupe de soutien sur Facebook et lancent une pétition.

L’Unef (l’Union nationale des étudiants de France) est informée de la situation et décide de contacter le président de la Sorbonne, Jean-Claude Colliard. Ce dernier prend contact avec le ministère de l’Intérieur Français. Ancien membre du Conseil constitutionnel, il s’active pour que le ministère accélère le rapatriement de Balla.

Le réseau Universités sans frontières contacte la presse et multiplie les pétitions, qui n’ont pas eu le temps d’être envoyées au consulat français du Pays-Bas.

Demande de rapatriement rejetée pour des raisons inconnues

Mais les jours passent, et Balla n’est toujours pas libéré. Une représentante du consulat français à Amsterdam vient lui rendre visite. « Elle m’assure qu’il n’y a pas d’inquiétude à avoir et que le consulat va me faire libérer. »

Enième fois que Balla entend ce discours ; il s’y accroche et ne perd pas espoir. Officiellement, personne ne sait ce qu’il va se passer.

Le 16 décembre, soit neuf jours après son arrestation, son avocat dépose une demande de rapatriement, qui est soumise aux autorités françaises. Le service social du consulat français lui assure à nouveau qu’il sera libéré le lendemain :

« J’avais l’espoir et la certitude que vendredi à 17 heures, j’allais être libre, enfin. »

La demande est bloquée, visiblement par les autorités françaises et pour des raisons inconnues. Au fond du trou, Balla songe au suicide :

« J’ai perdu deux semaines de ma vie à cause d’eux, et je ne sais même pas pourquoi. »

La situation est insupportable : enfermé dans une cellule 24 heures sur 24, il ne sait ce qu’il se passe autour de lui, et personne ne le comprend.

Libéré après seize jours de prison

Sa demande de rapatriement ayant été refusée, il passe devant le tribunal le lundi 20 décembre. A 7 heures du matin, un trajet en voiture de deux heures l’emmène à Almelo. Les policiers décident d’allumer l’air conditionné, alors que la température extérieure frôle les -5°C. Par cruauté selon Balla :

« Les policiers voyaient que j’étais gelé mais ne voulaient pas mettre le chauffage. Ils ont bien rigolé. »

Après son procès (auquel il n’a rien compris), il retrouve sa cellule en attendant le verdict. C’est l’affaire de quelques jours, lui dit-on : en cas d’insuccès, il aura droit à une seconde demande de rapatriement ; si cette seconde demande n’aboutit pas, il devra retourner au Mali.

Le lendemain -mardi-, je parviens à le joindre par téléphone dans le centre de détention. Jeudi à 14 heures, Balla me recontacte à Rue89 pour m’annoncer qu’il est enfin libéré. A l’heure où cet article est publié, il n’est pas encore rentré en France.

Interrogé sur l’aspect légal de cette affaire, Serge Slama, juriste et spécialiste en droit public, est perplexe :

« S’il était en situation irrégulière aux Pays-Bas, il aurait dû être renvoyé directement au pays où il est légal : en France. »

Maître Pouly, avocat spécialiste du droit des étrangers, explique que si la France est responsable du rejet de sa demande de rapatriement, elle a commis une « grave illégalité » :

« Elle refuse l’accès sur son territoire à un ressortissant qui a le droit d’y résider temporairement. Le code européen des frontières permet de refuser l’entrée d’une personne qui a un récépissé de première demande de délivrance d’une carte de séjour, mais pas de celles qui ont un récépissé de demande de renouvellement [ce qui est le cas de Balla, ndlr]. »

Par Camille Lepage | Rue89.com | 23/12/2010 | 17H36

 

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