Immigration : La fin de l’eldorado libyen ?

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Longtemps perçue comme une destination de rêves voire la terre promise, la Libye, à la fois, attirait et fascinait de nombreux migrants de la sous région ouest africaine, dont un fort contingent malien. Aujourd’hui, le rêve se transforme en illusion, voire en cauchemar pour des milliers de nos ressortissants notamment pour ceux-là qui ont choisi ce pays comme voie d’accès aux côtes européennes. La preuve : un millier de migrants africains dont près de 300 Maliens avaient été arrêtés et emprisonnés ces derniers mois à Tripoli et dans d’autres villes libyennes. Libérés en juillet dernier suite à une intervention du Président Amadou Toumani Touré auprès de Mouammar Kadhafi, ils ont finalement bénéficié d’un sursis de 2 mois pour se mettre en règle. Ce sursis expire en principe ce mois d’octobre. Les dirigeants libyens vont-ils procéder à de nouvelles expulsions de ressortissants africains ? Explications.

 

Dans un passé récent, de nombreux migrants de la sous région, à défaut de l’Europe et des pays du golfe, n’avaient qu’un rêve: atterrir en Libye, le pays de Mouammar El Kadhafi.

 

Des raisons fondamentales expliquaient ce choix : l’attirance du pétrodollar libyen et la proximité de la Libye par rapport à d’autres pays riches. S’y ajoutait la grande admiration de jeunes africains pour le colonel Kadhafi, dont nul ne conteste l’engagement auprès des peuples  africains. Autre raison, la facilité d’intégration des Africains au sein de la société libyenne, dont certains dénoncent pourtant l’hostilité à l’égard des étrangers venant surtout de pays… pauvres.

 

Toutes ces raisons ont conduit à une fièvre migratoire, notamment au sein de la couche juvénile de certains pays de l’Afrique de l’ouest : Mali, Guinée, Sénégal, Niger et Burkina Faso. Au même moment, des villes libyennes comme Tripoli, Sabah et Bengazi étaient quotidiennement prises d’assaut par des jeunes migrants en quête de cieux plus cléments.

Concernant les Maliens, le gros lot du continent était composé surtout de ressortissant des régions nord du pays : Gao, Tombouctou, et Kidal. Les premiers arrivés sont rejoints par d’autres jeunes ruraux venant des autres régions du Mali. Parmi les migrants maliens, ce sont surtout les ressortissants de la région de Kidal qui constituent les plus importants en terme de nombre.

 

Des milliers de jeunes Touaregs ont en effet afflué, dans les années 1970, vers un pays (la Libye) qu’ils considèrent comme la « mère patrie ». Ces jeunes Touaregs maliens bénéficieront vite de nombreux avantages: documents libyens, nationalité libyenne et emplois. Beaucoup d’entre eux sont enrôlés dans l’armée libyenne. Aujourd’hui encore, l’on estime à un millier le nombre de soldats libyens originaires de Kidal et d’autres localités du nord. Parmi eux, certains font partie de la garde rapprochée du leader libyen.

 

L’on peut aisément rencontrer à Tripoli et dans d’autres villes libyennes, de hauts cadres (civils ou militaires) détenteurs de la nationalité libyenne, mais dont les familles sont dans les localités nord du Mali.

 

A côté de ces « chanceux » de la migration en direction de la Libye, il y a une seconde vague constituée de ressortissants d’autres régions du Mali. Ceux-ci n’auront pas les mêmes avantages accordés aux touaregs. Cependant, ils ont eu la chance d’être parmi les premiers migrants à fouler le sol libyen et à s’y établir. Eux auront l’opportunité d’avoir du travail, de s’intégrer fortement dans la très fermée société libyenne et de fonder des foyers avec des femmes du pays. Ainsi, l’un des doyens de la communauté malienne de Tripoli boucle cette année sa quarantième année de séjour dans le pays. Tout comme lui, d’autres Maliens, après des études ont décidé de rester sur place. Ils travaillent dans tous les secteurs et ont fait leur chemin sans accro.

 

Ainsi la Libye, à cause de la réussite des premiers migrants, s’était faite une réputation : un véritable eldorado, situé à portée de mains.

 

Nouvelle vague, nouvelles ambitions

Une telle réputation, ça attire forcément du monde.

Ainsi, ces dix dernières années, ils sont des milliers de jeunes à tenter l’aventure libyenne. Mais le hic. Si au départ, les Maliens arrivaient dans ce pays pour s’y établir et faire fortune, aujourd’hui les motivations diffèrent. Ce qui pose problèmes à la fois aux migrants et au pays d’accueil.

 

En effet, de nombreux jeunes choisissent la Libye non plus comme terre d’exil, mais une voie d’accès à l’Europe. Il est vrai que, jusqu’à une date récente, les candidats à l’immigration à destination des côtes italiennes avaient mille chances d’atteindre leur objectif final en passant par la Libye. Et ce n’est un secret, les autorités libyennes étaient moins intransigeantes à l’égard des migrants.

 

Cependant, le flux migratoire, constitué essentiellement de « clandestins africains », en provenance des côtes libyennes, a fini par irriter les Occidentaux. Le pays de Mouammar Kadhafi est alors vivement pris à partie par les pays européens, l’Italie en première ligne. Complice ou laxiste, la Libye est sommée de revoir, sinon durcir sa politique à l’égard des ressortissants africains, notamment les Maliens.

 

L’injonction et les mises en garde des Occidentaux sont alors motivées par le flux considérable d’Africains en provenance des villes libyennes. En effet, en plus des côtes marocaines, celles de la Libye, étaient en passe de devenir une « porte de sortie » pour les jeunes migrants qui, à bord d’embarcations de fortune, tentaient de joindre l’Italie.

Ainsi, la Libye s’est retrouvée coincée entre une Europe décidée à combattre l’immigration et des milliers de migrants déversés sur  son sol. Face à ce dilemme, elle est amenée à revoir sa politique d’immigration et à boucler systématiquement son territoire. Dans le meilleur des cas, l’eldorado s’est mû en cachot pour de nombreux jeunes africains, dont un nombre important de Maliens. Pire, le désert libyen devient un enfer pour les migrants dont les corps sont fréquemment ramassés par les forces de sécurité libyennes.

 

En effet, il est difficile d’établir le bilan des morts ensevelis sous les vents de sable ou enterrés à la sauvette par des passeurs ignobles et sans scrupules.

 

Du rêve au cauchemar

Au vu de la pression européenne et face à l’ampleur du flux migratoire enregistré dans leur pays, les autorités libyennes ont fini par céder. En effet, elles ont pris des mesures contre la population de migrants. Des rafles policières sont systématiques. Conséquences : de nombreux candidats à l’immigration, notamment des Maliens, Nigériens, Guinéens, Sénégalais et Gambiens, furent arrêtés à travers toutes les villes libyennes. Mais dans le lot, il y a également des ressortissants étrangers dont l’intention était de s’établir en Libye. Mais eux également ont fait les frais de cette chasse aux migrants.

Alors que du côté des communautés africaines et même dans leurs pays, c’est le tollé face à l’ampleur des rafles. Et des Africains ont même mis en doute l’engagement panafricaniste du Guide libyen. De ces opérations, ce sont au total 281 Maliens qui ont été arrêtés à Tripoli, Bengazi et à Sabah. En compagnie des autres, ils ont séjourné en prison jusqu’au 15 juillet 2010. Le salut de ces Africains est venu du président Amadou Toumani Touré. En effet, informé de la situation, le chef de l’Etat a mis à profit une escale à Tripoli, alors qu’il revenait de la France, pour intercéder (auprès du Guide) en faveur des détenus, y compris les non Maliens.

 

Dès lors, Mouammar Kadhafi a ordonné la libération des raflés. Chacun d’eux recevra à sa sortie de prison une carte rouge. Synonyme de sursis, cette carte leur permettait de se mettre en règle vis-à-vis de la législation libyenne en matière d’entrée et de séjour des étrangers et éventuellement de chercher du travail. Les intéressés avaient un délai de trois mois pour s’exécuter. Mais certains d’entre eux, avant même l’expiration de ce délai, ont décidé de retourner au bercail. Ils ont pris d’assaut l’ambassade du Mali à Tripoli.  Au même moment, un vent de panique avait soufflé sur les communautés africaines de Tripoli, suite à des expulsions massives enregistrées au niveau de certains foyers.

 

En effet, les propriétaires de ces foyers avaient décidé de vider les lieux de leurs occupants, ce qui provoque une psychose chez les Maliens dont certains se sont rués vers l’ambassade. Et l’Ambassadeur du Mali  en Libye, Amadou Touré, et son staff étaient constamment sur les brèches pour porter assistance à ces compatriotes en detresse.

 

Si parmi eux certains ont finalement opté pour la voie de la sagesse (un retour au pays), d’autres, contre vents et marrées, ne veulent pas entendre parler d’une telle éventualité. Ils sont déterminés, malgré les risques, à ne pas renoncer à leur projet de continuer l’aventure. Là, il leur faut alors compter avec la baraka ou, à défaut, le pire est à craindre: une nouvelle arrestation. Au mieux ça serait  l’expulsion vers le pays. Dans les deux cas, le rêve peut vite se transformer en cauchemar.

 

C. H. Sylla

 

 

Qui sont ces Maliens de Libye

Estimée à 10 000 personnes, la communauté malienne en Libye avoisine, en réalité, le double. En effet, le dernier recensement effectué à Tripoli a permis l’enregistrement de 3600 de nos compatriotes dans la seule capitale libyenne. Aussi, plus récente, l’opération du Ravec (Recensement administratif à vocation d’Etat civil) au terme de trois mois d’activité a recensé 3500 Maliens, toujours à Tripoli. En plus de la capitale, les villes de Sabah et de Bengazi connaissent également une forte concentration de nos ressortissants en Libye. Aussi, le nombre de Maliens se situerait autour de 20 000 personnes dont une petite minorité d’étudiants et de fonctionnaires.

 

Selon un responsable de l’Ambassade du Mali à Tripoli, 98% de la communauté malienne sont constitués de jeunes ruraux. Souvent sous informés ou pas du tout sur certaines réalités actuelles de ce pays, ceux-ci quittent le pays et rentrent en Libye par la voie terrestre, en passant par l’Algérie ou le Niger. Mais, une fois qu’ils arrivent en Libye, le piège se referme sur eux. Et leur rêve de poursuivre leur chemin vers l’Europe s’arrête là.

 

En plus de ces jeunes candidats à l’immigration, beaucoup d’autres Maliens travaillent dans différents secteurs. Dans leur vie quotidienne, les Maliens tout comme les Sénégalais, Nigériens, Guinéens et Gambiens, s’organisent en groupes et / où la vie communautaire est la règle. Baptême, mariage et funérailles ont eu lieu comme au pays.

 

Pour le responsable de l’Ambassade, en dépit des rapatriements, souvent organisés contre nos compatriotes, les autorités libyennes ferment les yeux sur certaines de leurs pratiques, comme la forte concentration de personnes dans un seul et même endroit, notamment les foyers.

 

Mais, tout comme les autres africains, les Maliens sont la cible de certains libyens qui cachent mal leur hostilité à l’égard de la politique panafricaniste du Guide. En effet, des Libyens (responsables ou simples citoyens) estiment que l’afflux de migrants vers leur pays n’a d’autres sources que cette politique panafricaniste et d’ouverture de Kadhafi à l’adresse des Africains.Les mêmes Libyens murmurent que leur dirigeant a assez « gaspillé » l’argent du pays pour soutenir les Africains. Encore eux (ces Libyens), sont plutôt favorables à un rapprochement de la Libye vers les pays arabes et du Maghreb. Aujourd’hui, cette thèse est défendue en sourdine. Et pour cause…

 

Mais la question essentielle est de savoir quelle sera la politique libyenne à l’égard de l’Afrique et des Africains après Mouammar Kadhafi qui, quoi qu’on peut lui reprocher, a une affection sans limite pour le Mali et L’Afrique. Après lui, en sera-t-il de même? C’est là toute la question.

 

C.H. Sylla

 

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