France – Elles sont sorties de leur plein gré de la polygamie

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L’action d’une association des Ulis et de la préfecture de l’Essonne ont permis de mettre un terme localement au phénomène de la polygamie.

Un rideau isolait son espace des lits superposés où dormaient ses six enfants. Dans les quatre pièces de l’appartement, deux autres mamans, une vingtaine d’enfants et, à la tête de cette tribu, un seul papa, un seul mari. Celle que nous appellerons Fatoumata a vécu, pendant des années, le quotidien difficile d’une famille polygame.

Originaire du Mali, installée dans la cité Chanteraine des Ulis (Essonne), à une trentaine de kilomètres au sud de Paris, la famille a été au bord de l’explosion. Disputes entre les épouses, cohabitation impossible des fratries…

Depuis quatre ans, Fatoumata a reconstruit sa vie avec un logement en propre dans la commune voisine de Massy-Palaiseau et un travail comme femme de ménage sur le campus de l’université Paris-Sud. « Elle est transformée, même physiquement, cette sortie de la polygamie a changé sa vie », assure Sidi Kamara, l’un des trois permanents de l’association Nouveaux Pas qui a accompagné Fatoumata.

Si la polygamie des familles africaines reste, pour les pouvoirs publics, un sujet délicat quand il n’est pas tabou, Nouveaux Pas fait partie de ces petites associations qui se sont créées depuis quelques années pour aider les familles qui le souhaitent à sortir de la polygamie.
"La polygamie, ce n’est pas une culture mais une coutume"

Toléré dans les années 1970-1980, dans le contexte du regroupement familial des travailleurs immigrés, le phénomène a ensuite été freiné par la loi Pasqua de 1993 qui imposait le renoncement à ce mode de vie comme condition au renouvellement du titre de séjour. Un principe simple mais complexe à traduire dans la réalité. Les pouvoirs publics mettent alors en place une politique de décohabitation pour accompagner les familles.

C’est donc dans ce contexte qu’est née Nouveaux Pas. Jean-Marie Ballo, ancien athlète de haut niveau originaire du Mali, était arrivé aux Ulis en 1997. Très vite, ses responsabilités d’éducateur l’ont confronté aux difficultés des enfants qui décrochent à l’école ou se montrent violents. « Nous avons commencé à préparer les statuts de notre association avec trois axes de travail. La médiation famille-école, l’insertion dans la cité et l’accompagnement des femmes victimes de polygamie. »

L’association mène alors une enquête de terrain et découvre que dans cette ville de 25 000 habitants vivent une dizaine de foyers polygames : 24 épouses et 145 enfants sont recensés. Jean-Marie Ballo, qui a lui-même vécu la réalité d’une famille polygame dans son enfance, au Mali, choisit vite de faire de ce phénomène une priorité.

« Je me souviens de la souffrance de ma tante, la deuxième épouse de mon père…, raconte-t-il. Mais, ici, en France, les conséquences sont encore pires, en particulier pour les enfants, qui ont du mal à trouver leur place, à construire leur personnalité. Et je refuse les justifications culturelles parfois avancées pour relativiser ce problème. La polygamie, ce n’est pas une culture mais une coutume. »
"On m’a reproché de vouloir créer des divorces"

Outre les difficultés d’ordre psychologique, la taille des logements est bien sûr un facteur de trouble pour les familles et leur entourage. « Les enfants ne peuvent pas se laver le matin avant de partir à l’école, poursuit Jean-Marie Ballo. Ils n’ont pas d’espace pour faire leurs devoirs. Quand ils deviennent adultes, nombre d’entre eux ont toutes les peines du monde à s’intégrer dans la société. »

Bref, l’éducateur reconnaît que le sujet n’est pas simple et qu’il s’y est lui-même cassé les dents. « Avant l’association, indique-t-il, j’étais intervenu auprès d’une famille mais j’avais mis les mères en difficulté vis-à-vis du mari. On m’a reproché de vouloir créer des divorces. » Or, le pas de la séparation est particulièrement difficile à franchir, car en dépit des souffrances vécues, il signifie une rupture ou même une trahison des traditions.

C’est finalement en 2002 que l’association Nouveaux Pas voit le jour grâce aux dispositifs des emplois jeunes créés par le gouvernement Jospin et l’engagement de la préfecture de l’Essonne, avec laquelle est élaboré un protocole précis pour accompagner les familles polygames.

Alors que dans d’autres villes, on se contente de reloger les deuxième ou troisième épouses, parfois dans des appartements voisins, aux Ulis le protocole de décohabitation mis en place repose d’abord sur la volonté des femmes et de leur mari de trouver une solution.

Les mamans s’engagent à suivre une formation ou à chercher un travail, les papas à verser une pension, même modeste, mais symboliquement importante pour signifier qu’ils ne se défaussent pas de leur responsabilité parentale.
"Les vraies difficultés sont sociales"

La mairie des Ulis demande alors que les femmes soient relogées dans des communes voisines de manière à instaurer une vraie distance entre les époux. Suivent de longs tours de table qui réunissent tous les acteurs : élus locaux, caisse d’allocation familiale (pour que les prestations soient versées sur le compte de la mère), bailleurs sociaux, la Mission locale et les employeurs.

« Il faut aussi régler les questions administratives avec la préfecture », explique Sidi Kamara, un quadragénaire d’origine mauritanienne et l’un des permanents de l’association. « Pour trouver un logement ou un travail, les femmes doivent au préalable recevoir un titre de long séjour. »

Dans le cas de Fatoumata, l’expérience a montré qu’il y avait une vie possible après la polygamie . Depuis 2002, Nouveaux Pas a accompagné directement ou suivi une dizaine de décohabitations. Aujourd’hui, le dossier n’est plus une priorité aux Ulis. « La polygamie concernait des migrants qui arrivaient directement de leur village, fait observer Sidi Kamara. Les enfants d’immigrés ne souhaitent pas reproduire un modèle totalement inadapté au mode de vie en France. »

Dans son rapport d’activité de 2009, Nouveaux Pas fait état d’une mission auprès des familles de la cité Chanteraine d’où ressort un triple constat : « Il n’y a plus de cas de femmes arrivées dans le cadre du regroupement polygame. Il n’y a plus de nouvelles demandes de décohabitation. Et les familles dont la décohabitation a abouti sont relativement autonomes. »

La mairie des Ulis s’avoue également moins mobilisée, désormais, sur cette question. « Les vraies difficultés sont sociales, témoigne Agnès Moutet-Lamy, directrice de cabinet du maire. Avec la crise, le chômage est passé en un an de 8 à 16 %. J’ai 1 000 demandes de logement social qui attendent et je constate que beaucoup de proches sont contraints de vivre ensemble à cause de la crise. Des jeunes couples avec enfants habitent chez leurs parents. Cette cohabitation forcée me préoccupe aujourd’hui beaucoup plus que la polygamie. »
Dénoncer l’omerta

Il y a quelques semaines, la cité de Chanteraine a été bouleversée par une terrible affaire de viol collectif dont a été victime une jeune fille de 14 ans. La famille d’origine malienne qui avait porté plainte a ensuite été harcelée par des jeunes du quartier après que cinq adolescents auteurs du viol ont été interpellés et mis en examen. La famille, qui a dû trouver refuge chez des proches, a reçu de la préfecture l’assurance d’être relogée en juin hors du département.

L’association Nouveaux Pas, dont les locaux se situent au deuxième étage d’un des nombreux petits immeubles qui composent la cité, a participé à une marche silencieuse des habitants du quartier et de l’association Ni putes ni soumises pour dénoncer l’omerta. « Quand les jeunes interpellés ont été interrogés, ils ne semblaient même pas avoir conscience de la gravité de leur acte, relate Agnès Moutet-Lamy. Comme si une ‘‘tournante’’ c’était normal, avec les filles… »

Les activités de Nouveaux Pas se concentrent désormais sur les médiations famille-école, les relations interculturelles ou le soutien social des familles. Mais l’association continue d’entretenir des contacts avec les mamans qui ont décohabité. « Nous avons montré qu’on ne lâchait pas les gens, qu’on était à leur côté », souligne Jean-Marie Ballo.

Aujourd’hui aussi, Nouveaux Pas est régulièrement contactée par d’autres associations ou des collectivités locales pour faire partager son expérience car beaucoup reste à faire. Dans un rapport remis en novembre dernier à l’Institut Montaigne, Sonia Imloul, présidente de l’association Respect 93 qui fait de la prévention de la délinquance en Seine-Saint-Denis, dénonce l’absence de politique publique d’ensemble.

« Dans un certain nombre de cas, je peux témoigner que les femmes qui prennent la difficile décision de décohabiter ne reçoivent pas le soutien qu’elles méritent », écrit-elle. L’auteur reconnaît que la lutte contre la polygamie exige de « concentrer des moyens importants sur un nombre limité de personnes » mais, martèle-t-elle, c’est le prix à payer pour aider les femmes à gagner leur indépendance.

Bernard GORCE
la-croix.com – 06/06/2010 18:56

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