A la veille de la marche historique Dakar-Bamako des femmes sénégalaises pour protester contre l’hécatombe causée par l’émigration, il nous a paru bon de présenter à nos lecteurs le roman Mamou, épouse et mère d’émigrés de Mme Cissé Oumou Ahmar Traoré, se rapportant au phénomène. L’auteure est titulaire d’un DEA d’études féminines de l’Université Paris VIII, chargée de mission au ministère de la Promotion de la femme, et surtout, originaire du Sahel, cette région éprouvée par de dures sécheresses, et dont les ressortissants ont constitué les plus gros contingents des candidats au départ.
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L’histoire
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rnA Koba, un village du Hinadougou (notre cher Mali sans doute) Mamou et son mari Birama épousent leurs enfants, dont Doudou (étudiant à Balmaya, la capitale), Mady et Hassan dans une misère noire. Il décide d’aller à l’aventure (comme de tradition chez les Soninkés) et elle l’y encourage :
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-Tu peux partir, cela est de coutume, mon prince. Sache seulement que je ne désespérerai pas de te revoir un jour. Demeure un père pour nos enfants, aide-moi, même à distance, à réussir leur éducation. Reconquiers ta place dans la société qui t’a vu naître et grandir. Prticipe à son édification au même titre que les autres émigrés.
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En effet, certains Francika, Espagnika et autres avaient réussi en Europe, et soutenaient leur famille restée au village : ils envoyaient l’argent pour acheter le mil, ils reconstruisaient la maison en briques de ciment. Mais Birama, après avoir tenté sa chance, sans succès, en Afrique, échoue en France, au milieu de la misère générale des Africains et des Arabes. Vingt longues années sont déjà passées, au cours desquelles Mamou s’est battue courageusement pour faire vivre la famille, aidée par Doudou, qui lui envoyait de l’argent sur sa bourse d’étudiant, et secourant elle-même telle voisine plus pauvre.
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rnMais Doudou, traqué par la police pour ses activités subversives, s’enfuit de la capitale et gagne à son tour la France, où ses deux frères le suivront. C’est encore la misère, la peur au quotidien, les petits boulots sans dignité. Il a d’ailleurs décidé de rentrer et il l’écrit à sa mère. Manœuvre à l’aéroport, il assiste un jour à l’expulsion manu militari de son père, venu d’Angola en France et toujours sans le sou. Il va le retrouver dans une famille regroupée (en Afrique, donc en sens inverse) et prospère, grâce à sa mère Mamou. La morale de l’histoire pourrait être cette réflexion de Doudou : « le meilleur des mondes est celui où l’on pousse et fleurit sans avoir à couper ses racines ni à élaguer ses branches. »
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Les conseils de Mme Klaussmann, responsable d’un projet de développement allemand
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rn« Il y a de cela plusieurs années, dit-elle à Doudou, nos pays ressemblaient à Hinadougou et nos campagnes à Koba. Les chercheurs et les intellectuels, aidés des décideurs politiques, ont permis le développement. » Parlant de la condition des émigrés africains dans son pays, elle poursuit : « En général ils sont sans qualification et évoluent dans la clandestinité. Quoiqu’utiles au pays d’accueil, leurs services ne sont ni appréciés ni rémunérés à leur juste valeur. »
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rnLa désillusion de Doudou
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rnUne amère déception attend Doudou en France. Dans ses lettres à sa mère, il ne cache rien des malheurs qui frappent le pauvre en Europe, notamment l’immigré : « L’hiver boucle la série des maux… Il reste ce temps qui tue les âmes errantes, les clochards ou clodo pour les intimes, sans domicile fixe ou SDF pour les intellos, ils sont moins que les « garibou » de chez nous. Réfugiés dans leur honneur, ils renient en général les maisons de charité pour inscrire leur misère sur le fronton de la société. Ces maisons interviennent en faveur des exclus, ou, du moins, ceux qui acceptent leurs services. La meilleure compagne, ici, est la solitude. (…)
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rnPour le clandestin que je suis, tout commence et s’achève par le titre de séjour. Seul, il accorde à l’étranger une existence légale, lui donne le droit au travail, au logement, à des types d’indemnités, d’allocations et à une vie quasi normale. Je t’envoie quarante euros gagnés au noir… Epargne-toi la peine de me répondre : je pourrais, d’un jour à l’autre, changer d’adresse. » (…) La nature sauvage de Hinadougou me fait cruellement défaut, elle qui m’accompagne et me console dans la solitude et la détresse. Elle demeure un des rars endroits où l’on peut encore caresser l’air pur, siroter l’eau des sources dans des coupes offertes gracieusement par la terre et contempler les tableaux de Dieu dans toute leur splendeur et leur originalité. »
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Ibrahima KOÏTA
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