L’inadéquation des financements aux besoins des rapatriés et aux réalités locales est à la base de l’échec des projets de réinsertion. Cette situation compromet l’avenir pour les rapatriés maliens.
Face au rapatriement massif des maliens de l’extérieur, l’Etat du Mali avec l’appui des partenaires s’emploie à favoriser la création de projets d’équipement agricole, de véhicule de transport, de jardin maraîcher et d’embouche ovine.
Plus de 3 Milliards de francs CFA investis
Sur le plan de l’accueil et de la réinsertion des migrants, les services techniques de l’Etat malgré la modicité de leurs moyens ont réalisé avec l’appui de leurs partenaires d’importantes activités de formation, d’accueil et d’équipements des associations de migrants. Il faut rappeler que depuis 10 ans, le programme d’appui aux initiatives économiques des migrants a financé pas moins de 1.071 projets maliens pour un montant de plus de 3 Milliards de Francs CFA (soit 5 Millions €). Ce financement a été assuré par l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII).
Le ministère des Maliens de l’Extérieur et de l’Intégration Africaine s’est attelé à assurer la réinsertion économique des migrants de retour au Mali. « Notre pays progresse réellement dans la réalisation des projets de réinsertion », a dit Drissa Diouara, Chef de section promotion économique à la Délégation Générale des Maliens de l’Extérieur (DGME). Selon lui, « il y a eu des cas de réussite dans les cercles de Kita et de Sikasso. Des équipements ont été remis à des Associations de migrants qui ont créé des emplois ». Même à Bamako, la création de l’entreprise de production et de commercialisation de l’attiéké a permis à de nombreux migrants de retour, en particulier des femmes d’accéder à des emplois salariés relativement stables. Depuis 2005, 107 personnes y travaillent à temps partiel pour un salaire mensuel net d’environ 22500 FCFA, avec toutefois, la possibilité de faire des heures supplémentaires.
Le soutien de l’Etat à la réinsertion des migrants de retour de Côte-d’Ivoire s’est voulu volontariste même s’il n’a pu répondre à toutes les sollicitations. Certains de ces soutiens ont débouché sur la création d’emplois réels à l’image de l’entreprise des femmes productrices d’attiéké à Bamako et à Sikasso. Des emplois quasi stables ont pu vu le jour. En fait, le Centre d’Information et de Gestion des Migrations (CIGEM) a financé la formation des migrants dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration.
Mais, l’offre des matériels agricoles aux migrants sans qualification suppose qu’il faudra relever les défis de la formation en technique de leur utilisation, de l’élaboration et de gestion des projets et de l’alphabétisation.
A ce sujet, Oumar Sidibé et Alassane Dicko, membres de l’Association Malienne des Expulsés (AME), mettent en avant l’absence de l’approche participative. « C’est une préoccupation majeure pour nombre de migrants » affirme le premier. « Il faut centrer la chose sur le migrant, au lieu de financer des projets et de donner des machines à coudre, des motopompes. Un migrant qui a été employé par la voirie de Paris comme balayeur pendant 15 ans, aura du mal à travailler la terre dans son village ou ailleurs. Les activités de la DGME et du CIGEM sur le terrain ne sont pas visibles», souligne le second, reconnaissant la prise en charge sanitaire des déplacés qui sont dans la précarité.
Face à cette situation, Fousseyni Sogodogo, Chargé de Projets au CIGEM met en cause la responsabilité des promoteurs de projets. «L’objectif global du CIGEM est de contribuer à la définition et à la mise en œuvre d’une politique migratoire malienne adaptée aux dynamiques nationales, régionales et internationales en insistant particulièrement sur les synergies entre migration et développement. Quand un candidat vient chez nous pour exprimer ses besoins, nous prenons le temps d’étudier en profondeur son projet. Notre partenaire à savoir le Fonds d’Appui à la Formation Professionnelle et à l’Apprentissage (FAPFA) nous conseille sur la viabilité du projet. Il s’agira de voir si le migrant a des capacités requises et sa réelle motivation », explique-t-il. Avant de révéler la mauvaise expérience d’un échantillon de 15 migrants formés en embauche bovine : « Ce sont eux qui ont échoué en dépit de l’expertise d’un vétérinaire qui les a suivi sur le terrain ».
Par ailleurs, il a tenu à préciser que ce sont les Associations de migrants qui ont exprimé leurs besoins en matériel et en équipements, notamment des moulins et des machines à coudre. Les offres sont assurées par le ministère des Maliens de l’Extérieur et de l’Intégration Africaine à travers la DGME.
Concernant les questions d’insertion et de réinsertion économique des migrants, il s’avère que la personne qui initie le projet semble avoir un rôle déterminant dans sa réussite ou son échec. Les promoteurs qui ont développé un projet de leur propre initiative ont réussi leur réinsertion économique. Parmi les migrants ayant investi sur le conseil d’une tierce personne, certains ont au contraire arrêté.
L’expérience dans l’activité développée est primordiale. Certains promoteurs ont choisi leur secteur d’activité par opportunité, parfois un peu malgré eux. Par contre, d’autres migrants ont relancé une activité qu’ils avaient délaissée avant de partir en migration. Chez ceux-là, la proportion de réussite est la plus élevée.
L’impossible adaptation au contexte local
Selon une étude menée par l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) et l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement, l’environnement local explique les difficultés rencontrées par les projets implantés essentiellement en milieu rural (dans la région de Kayes) : ce sont les projets d’équipement agricole, de véhicule de transport, de jardin maraîcher, d’embouche ovine. La réussite d’un projet d’équipement agricole dans lequel l’achat d’un semoir, d’une charrue, d’accessoires, d’une charrette, d’une paire de bœufs et d’un âne, constitue l’investissement de base est tributaire de la pluviométrie. Ce type de projet est actif durant la saison des pluies (3 à 4 mois) et généralement inactif en saison sèche (8 à 9 mois). Il concerne les promoteurs qui sont retournés vivre dans leur village d’origine où l’agriculture de subsistance constitue la principale activité de la population. Les migrants promoteurs d’un tel projet sont des individus sans aucune instruction scolaire. Ils ont émigré en France où ils ont généralement travaillé comme ouvrier intérimaire. Cette expérience d’un emploi temporaire (travail journalier, salaire hebdomadaire) ne leur a pas permis d’acquérir un savoir-faire qu’ils peuvent valoriser au retour par la création d’un projet de réinsertion viable. La majorité d’entre eux était en situation irrégulière et a éprouvé des difficultés pour obtenir, durant la dernière année de résidence dans le pays d’accueil, un emploi stable. À leur retour, avec peu d’argent accumulé, ils se sont installés dans leur village d’origine où ils ont retrouvé leur activité économique d’avant la migration. Ils exercent aujourd’hui une activité agricole de subsistance pour répondre aux besoins de leur famille et ont saisi l’opportunité d’une subvention du pays d’accueil (la France) pour tenter d’accroître leur production agricole. Pour eux, la réussite de leur projet s’exprime par une bonne production de mil ou de sorgho et l’autosuffisance alimentaire. Dans le cas contraire, c’est l’échec.
Toujours selon les experts de l’OIM, les projets d’embouche connaissent des situations assez similaires. Même si l’ancien émigré est né dans une famille d’éleveurs de la région de Kayes, il ne lui est pas facile de s’engager dans un projet productif d’embouche. L’embouche ovine ne correspond pas tout fait à un élevage traditionnel. Il faut savoir sélectionner des bêtes adaptées aux conditions environnementales locales, pouvoir engraisser le bétail en achetant les aliments indiqués. En plus, il faut entreprendre l’entretien et le soin des animaux à des moments précis, établir un système de reproduction et de vente afin de dégager un profit tout en conservant au moins son capital de démarrage. Tel n’est pas le cas des promoteurs qui ont perdu une partie de leur bétail en raison de nombreux décès dus à une maladie. Ou de ceux qui n’ont pu vendre leurs bêtes parce que les races acquises n’étaient pas adaptées aux conditions climatiques locales.
Pour eux, l’implantation de jardins maraîchers constitue un autre exemple de l’inadaptation de certains projets au contexte environnemental local. Les jardins prometteurs sont situés au bord du fleuve Sénégal et utilisent des motopompes pour l’approvisionnement normal des plantes en eau. Pour ceux qui sont éloignés du fleuve ou d’une mare, la construction d’un puits ne remplace pas l’usage d’une motopompe, surtout dans des zones arides où les nappes d’eau sont profondes. Un projet mal localisé peut ainsi obérer définitivement le développement de l’activité et remettre en cause le mince espoir de réinsertion économique du migrant.
Par ailleurs, ils font ressortir que les charges familiales apparaissent comme une source de difficultés pour les projets de réinsertion. Dans un environnement hautement concurrentiel, comme l’est celui du commerce, obligeant le promoteur à faire preuve de dynamisme, d’innovation et de rationalité dans la gestion des affaires, la soustraction d’une partie des revenus pour les besoins familiaux gêne considérablement l’activité. Les magasins de commerce et les boutiques de détail, confrontés à des difficultés, sont principalement installés dans les grands marchés des centres urbains (Bamako surtout, ville de Kayes) où le potentiel de développement est très prometteur. Or, pour des projets dont les charges familiales absorbent généralement la totalité des bénéfices réalisés, parfois même plus de la moitié du capital de démarrage, il est difficile de renouveler les fonds de roulement.
Le décalage entre le monde de la migration et le milieu local, souvent influent, est si important que le migrant a des difficultés pour faire évoluer un projet de réinsertion économique. Toutes ces raisons évoquées constituent de gros obstacles en matière de réinsertion. Ceci compromet l’avenir pour les rapatriés.
Somme toute, l’Etat malien et ses partenaires doivent promouvoir la réinsertion économique par le biais des formations qualifiantes, d’aide au montage de projet. S’y ajoutent l’appui et l’accompagnement à la création et à la gestion d’une petite entreprise. Il faut enfin faciliter l’accès à des terres agricoles ou d’équipement productif.
Mahamane Maïga, Journaliste ‘’ Le Scorpion ‘’
NB : Ce dossier a été réalisé suite à l’atelier sur le journalisme d’investigation sur les migrations, organisé en octobre dernier à Bamako par l’Institut Panos. L’action s’inscrit dans le cadre du projet conçu par l’IPP et l’IPAO, « Sans Papiers sans clichés, libres voix : mieux informer sur les migrations », financé par l’Union européenne et la Direction du Développement et de la Coopération de la Confédération suisse.
Votre idée est la bonne, mais il est difficile de gerer les questions migratoires sans l’implication effective des pays du Nord notamment la France, l’Espagne et l’Italie.
Il faut identifier les vrais acteurs competents pour prendre en charge les questions migratoires au Mali
Tout cela est du à un manque de politique nationale pour la réinsertion des migrants maliens
Comments are closed.