CONCERTATION MALI-UE SUR LA MIGRATION : Vers le concept d’immigration concertée et partagée

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Le dossier de l’immigration était, cette semaine, au centre des débats à Bamako. C’est dans ce cadre que d’importantes rencontres ont eu lieu entre la délégation de l’Union européenne, en séjour dans notre pays, et les autorités nationales en charge de la question. Il s’agissait pour les deux parties d’échanger en vue de trouver des voies et moyens pouvant apporter des solutions durables aux problèmes de migration. Après la cérémonie inaugurale des concertations qui a eu lieu mardi dernier, au Centre international de conférence de Bamako, un point de presse autour des principales recommandations de la rencontre a mis un terme à cet tête-à-tête, premier du genre, entre l’UE et la partie malienne. C’était mercredi dernier dans les locaux du ministère des Maliens de l’extérieur et de l’intégration africaine.

Les autorités maliennes en charge des questions de migration et une délégation de l’UE se sont concertées, mardi et mercredi dernier, sur le thème suivant : «Les migrations et le développement au Mali ». La cérémonie d’ouverture des concertations, qui s’est tenue au Centre international de conférence de Bamako, a enregistrée la présence de cinq ministres de la République : Oumar Hamadoun DICKO, des Maliens de l’Extérieur et de l’intégration africaine ; Kafougouna KONE, de l’Administration territoriale ; Sadio GASSAMA, de la Sécurité intérieure et de la protection civile ; Ba Awa KEITA et Mme DIALLO M’Bodji SENE, respectivement chargées de l’Emploi et de la formation professionnelle ainsi que de la Femme, de l’enfant et de la famille. Quant à la forte délégation européenne, elle était conduite par Emmanuel Lopez  BLANCO, chef  de l’Unité « Afrique de l’Ouest » à la direction générale du « développement » de l’UE à Bruxelles. On y notait aussi la présence des Ambassadeurs de l’UE, de la France et de l’Allemagne au Mali. 

Une terre historique de migration

Plusieurs sujet étaient à l’ordre du jour de ces concertations : «Coopération, harmonisation des procédures de visas, circulation des personnes, contrôle des frontières et documents de voyage, rapatriement des irréguliers et mesures d’accompagnement, intégration des migrants, flux financier des migrants, problèmes de la seconde génération… ». Il s’agissait pour les deux parties, en vertu des articles 8 et 13 de l’Accord de Cotonou, de mener un dialogue approfondi sur tous les sujets relatifs aux migrations. Le Mali, qui a une longue histoire de migration, connaît un flux migratoire important vers l’Europe. C’est ainsi que le nombre de la diaspora malienne à l’extérieur est estimé à 4 millions de personnes dont 3,5 en Afrique et 500.000 autres à travers le monde. En Europe, la diaspora malienne varie autour de 200.000 dont plus de la moitié en France, selon les estimations du département de tutelle.

Emmanuel Lopez, chef de la délégation de l’UE, a évoqué lors de la rencontre inaugurale les avantages et les inconvénients du phénomène de la migration pour les pays de départ et d’arrivée. L’apport plus récent de l’émigration africaine en Europe est indiscutable, selon lui, au niveau culturel, sportif et économique. Les répercutions positives pour les pays africains sont également importantes en terme financier et de transfert, a-t-il ajouté. Ce phénomène, a-t-il regretté, a cependant des incidences malheureuses sur le continent africain en terme de fuite des cerveaux.  En effet, selon lui, il ne saurait y avoir de développement en vase clos. Mais l’allure actuelle de l’immigration avec son cortège de noyade et de perte en vies humaines incite aujourd’hui à réfléchir mûrement sur le sujet, a expliqué M. Emmanuel Lopez.

Les souffrances de l’exil illégal

A partir des évènements de Ceuta et Melilla pour passer aux Canaries, à Lampedusa et Malte, la migration est devenue un facteur politique important en Europe comme en Afrique. Ainsi, selon ses estimations, environ 26.000 migrants clandestins (sans compter les arrivées massives de ce mois de septembre) ont atteint les côtes espagnoles en 2006 dont 2.800 estimés d’origine malienne, a indiqué le chef de la délégation européenne. M. BLANCO a jugé la situation préoccupante, dans la mesure où les pertes en vies humaines dans le désert du Sahara, dans les Océans Indien et Atlantique ou en Méditerranée sont, jusqu’à ce jour, inestimables. Aussi, l’arrivée massive de migrants illégaux n’est-elle pas exploitée par certains pour susciter des sentiments xénophobes et raciste, surtout pour les ressortissants des pays africains. «Toute politique de lutte contre le fléau restera vaine si l’on ne s’attaque pas aux vrais problèmes qui l’occasionne », a indiqué M. Emmanuel Lopez. Les migrants n’ayant d’autre ambition que de «partir ». «Nous devons l’affronter et trouver des solutions à court, moyen et long termes », a-t-il martelé. Pour ce faire, il s’agit non seulement de mieux comprendre les raisons de cette migration qui ne sont pas seulement d’ordre économique, mais aussi de mieux comprendre comment fonctionnent les réseaux criminels pour mieux les combattre, selon le chef de la délégation. A l’image de la France qui tient depuis 2001 des consultations régulière avec le Mali sur les questions migratoires, l’UE a commencé à développer des dialogues approfondis avec tous les pays de transit, a-t-il expliqué.

Pas de solution magique 

«La seule riposte qui vaille contre ce fléau est de s’attaquer aux problèmes de fond liés à la pauvreté grandissante », a indiqué Emmanuel Lopez BLANCO. Car, a-t-il insisté, il n’y aura pas de solution magique. Il s’agit de trouver des solutions durables au problème d’emploi dans les pays de départ et de développer les secteurs pourvoyeurs d’emploi : l’agriculture, le secteur privé, les petites et moyennes entreprises, etc. C’est dans ce contexte que pour apporter sa pierre à la construction de l’édifice dans le contexte communautaire, la Commission de l’UE a déboursé, pour la seule année 2005 en faveur du Mali, 103 millions d’euro (soit 68 milliards FCFA). Il est aussi prévu, dans le cadre de nouveaux fonds FED pour la période allant de 2008-2013, un montant indicatif de 426 millions d’euro (soit 280 milliards FCFA, a révélé M. Emmanuel Lopez BLANCO.

Pour le ministre Oumar Hamadoun DICKO, des Maliens de l’extérieur et de l’intégration africaine, la présente approche, à savoir celle des consultations de proximité avec les pays partenaires, est la bienvenue dans la mesure où elle a le mérite d’aborder la très importante question de la migration sous tous ses aspects. Cette façon de faire, selon le ministre, permet de voir la question en fonction des réalités de chaque pays. Toutes choses qui conduisent des propositions d’actions à des contextes particuliers.

La perte des cerveaux

Le ministre, DICKO, après avoir mis en exergue l’importance de la migration et les espoirs qu’elle peut charrier autant que les problèmes qu’elle soulève, a plaidé pour une large concertation autour de la question afin de trouver une solution durable. La migration, a-t-il expliqué, n’est ni l’apanage d’un pays ni d’une civilisation mais plutôt une composante de la nature humaine. L’Afrique perd chaque année quelque 80.000 personnes qualifiées qui quittent le continent dont environ 23.000 cadres professionnels. «Cette fuite des cerveaux constitue le coût le plus significatif pour le continent africain », a expliqué le ministre DICKO. Il s’agit alors, pour lui, de capitaliser cette perte à travers l’organisation des migrants et leur implication active de leur pays. Au cours des dix dernières années, a expliqué le ministre malien, l’intensification des mouvements de capitaux, des biens et des services, stimulée par une croissance sans précédent des transports et des nouvelles technologies, a accéléré la mobilité des populations. Les présentes consultations qui passeront en revue tous les aspects de la migration, a-t-il soutenu, doivent aboutir à une gestion concertée et partagée de la question, dans l’intérêt des parties. La prévention et la lutte contre la migration irrégulière et ses réseaux mafieux doivent aller de pair avec la promotion des possibilités de migration régulières, a-t-il argumenté. « Il nous faut trouver une solution qui trouve son point d’application dans la combinaison intelligente des deux stratégies : la solution sécuritaire et humanitaire », a conclu le ministre.

Par Sidi DAO

 

Les résolutions de la rencontre : Une Conférence euro-africaine en Libye

Après plusieurs heures d’intenses travaux abattus par les deux parties, Maliens et Européens sont convenus sur plusieurs points et ont fait des proposition en vue de prévenir et d’endiguer le fléau de l’immigration clandestine. Mais auparavant, la partie malienne a posé certaines exigences, notamment : l’organisation du retour des immigrés dans la dignité et la régularisation de ceux ayant plus de cinq années de séjours. Les deux parties ayant convenu que les flux migratoires clandestins posent de sérieux problèmes, tant au pays d’origines qu’à ceux de transit et de destination, ont appelé à des mesures visant à faciliter les mouvements réguliers de personnes. Il s’agit notamment des étudiants, des hommes d’affaire, des professionnels et des fonctionnaires. La partie malienne a plaidé pour une harmonisation des pratiques des Etats membres en matière de délivrance de visas de courte durée.

Les deux parties ont relevé des disponibilités d’amélioration de cette coopération, dans le respect de la dignité des personnes concernées. Plusieurs problèmes ont également été posés, notamment les difficultés inhérentes au contrôle des longues frontières terrestres. Les différents responsables ont échangé sur les suites à donner à la Conférence de Rabat et au Dialogue de haut niveau qui s’est tenu aux Nations unies. Il a été assorti des discussions la tenue d’une conférence euro-africaine sur les migrations et le développement en Libye en fin de cette année. Des questions de co-développement ont été évoquées. C’est dans ce cadre qu’il a été noté l’intérêt de la partie malienne d’introduire dans la programmation du 10ème FED un programme de co-développement pour faciliter la réinsertion des migrants retournant au Mali. Les deux parties se sont accordées pour continuer ce dialogue dans le cadre de l’article 8 de l’accord de Cotonou à travers des rencontres régulières entre le gouvernement et les chefs de mission diplomatique en poste à Bamako et avec l’UE.

Par S.D.

 

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