Grogne islamique ; Les religieux menacent, Boubeye ironise, IBK inflexible

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Mahmoud Dicko et le Chérif de Nioro

Sous le vocable d’une « Journée d’Interpellation et de Vérité » le meeting du 10 février au Stade du 26 Mars a été massivement suivi par des milieux associatifs religieux et politiques. A l’appel ont répondu des figures d’envergure comme Soumaïla Cissé, Tiébilé Dramé, Me Moundaga Tall, Oumar Mariko, Choguel Maiga, Ras Bath, entre autres, ayant accompagné la grande détermination du président du Haut Conseil Islamique du Mali, Mahamoud Dicko et du Cherif de Nioro, Bouyé Haïdara, à aller jusqu’au bout de leur combat contre le régime comme en attestent les slogans «Boubèye dégage, Dicko, l’éclairé, Dicko le sauveur» ainsi que le contenu de leur déclaration déroulée devant le public du Stade du 26 Mars.  Une démonstration de force assez indicative que les deux principaux leaders ont utilisée pour monter les enchères. Ainsi, le représentant du Chérif de Nioro, Ousmane Sanogo, après avoir motivé l’absence de son guide atteint par « l’âge », a ouvertement invité IBK à faire le choix entre son poste et le Premier ministre. Selon l’émissaire, en clair, le Cherif de Nioro demande à IBK de « limoger Boubèye». Faute de quoi, prévient-il. « Des actions d’envergure surgiront ». Au demeurant, Bouyé aurait déjà conseillé à IBK de ne pas nommer SBM ni à la Défense, ni aux Affaires Etrangères et encore moins au poste de Premier Ministre. De quoi imaginer un deal entre le leader religieux et IBK en contrepartie de son soutien à la présidentielle 2013. 

Donnant plus d’échos aux propos de l’envoyé de Nioro, l’imam DICKO a insinué pour sa part que le message du Cherif, s’il n’est pas bien compris, leur sera traduit en des termes plus clairs. Il leur sera demandé de dégager, a-t-il martelé, avant de dénoncer le projet de manuel scolaire sur l’enseignement de l’homosexualité – dont le retrait n’a pas empêché le président du Haut conseil islamique d’accuser le Premier ministre d’être à l’origine de toutes les lois de perversion des mœurs. 

Et M. Dicko de justifier son refus des 50 millions du gouvernement par un risque de dévier la « substance du meeting » et un besoin de tester l’engagement des masses car leur mobilisation ne va pas se limiter à celle du 10 février. 

Après avoir appelé les différentes communautés du Centre du Mali à l’arrêt des tueries, l’Imam Mahmoud Dicko s’est adressé à son tour au chef de l’Etat par le même appel à se débarrasser de son Premier ministre, au motif qu’une mauvaise gouvernance est à l’origine d’une situation désastreuse face à laquelle le gouvernement lui semble afficher une posture d’indifférence. En définitive, seule une réponse positive des autorités aux doléances du Chérif de Nioro pourrait inverser la situation, aux yeux de  l’imam DICKO qui dit ne pas comprendre que des Dozos puissent imposer leur loi au nez et à la barbe de l’armée, de la MINUSMA, du G5 Sahel et d’autres forces internationales.

Mais qui sont ceux-là qui ont fait le plein du Stade du 26 mars que d’aucuns désignent comme «fantassins de la religion musulmane » ? Par-delà des religieux hostiles aux dérives morales et à l’homosexualité, il s’agit, selon toute évidence, de l’expression de réels mécontents et de frustrations contre l’insécurité et le coût de la vie, etc., avec vraisemblablement les relents d’une jonction avec la contestation post-électorale et de la légitimité des pouvoirs. 

Ces absences qui intriguent

C’est probablement l’explication de la nette démarcation de certains acteurs du même monde religieux, sans doute un signe de division des musulmans du Mali que traduit ces absences intrigantes comme celle du Guide Spirituel des Ançars, Chérif Ousmane Madani Haïdara, du président de l’Union des jeunes musulmans du Mali, Mohamed Macky. 

L’un, en déplacement au Sénégal, s’est fait représenter par un Ançar hué par les musulmans sur la tribune lors de sa prise de parole pour expliquer l’absence de son Cherif. 

Quant à Mohamed Macky BAH, président l’Union des jeunes musulmans du Mali, son absence résulte clairement d’une divergence entre l’objectif du meeting et les principes de l’Union des jeunes musulmans du Mali. Pour lui, le meeting cachait un relent politique diffèrent de la prière et des bénédictions annoncées  pour la patrie en crise. «S’il s’agit des discours politiques, l’UJMMA laisse cette initiative aux politiciens. Nous sommes des religieux, nous ne voulons pas mélanger la religion à la politique. Un leader religieux doit penser à la stabilité, la paix et la cohésion sociale », a-t-il déclaré 

Boubeye se défend en ironisant

Le premier ministre, SBM, à la réputation peu bavard, n’a pas mis du temps cette fois à sortir de son silence. Est-ce parce qu’il avait peur que son employé ne s’en lasse et s’en débarrasse, enterrant du coup ses ambitions ? En tout état de cause, le même dimanche 10 février 2019, il a profité de la traditionnelle rencontre avec l’EPM pour répliquer à l’imam Mohamoud Dicko sur l’affaire des 50 millions. Assimilant le meeting à un théâtre, il a qualifié l’Iman en dissidence ainsi que ces disciples et compagnons d’acteurs hybrides. « Il y a des gens, chaque fois qu’ils sont vaincus sur un théâtre changent de théâtre toujours avec les mêmes objectifs. Comme vous tous j’ai vu la théâtralisation par rapport à l’appui que le gouvernement s’est fait le devoir d’apporter à une prière destinée à appeler à la paix et à la réconciliation. Franchement, on n’est pas plus impressionnés que cela. Comme je l’ai dit souvent, nous avons à faire à des acteurs hybrides qui poursuivent le même objectif politique sous différentes facettes… », a déroulé le Premier ministre au sujet des leaders religieux, en minimisant leur poids en ces termes : « Si nos adversaires étaient aussi forts nous ne serions pas ici ». «Tous ceux qui s’agitent sont des gens qui ont voté et fait voter contre nous, qui agissent et continuent d’agir contre nous et pensent trouver des interstices et des passages pour nous déstabiliser», a-t-il par ailleurs noté en promettant d’affronter tous ceux qui se dresseront sur son chemin. 

(Encadré)

Malgré tout, Boubeye demeure le choix d’IBK

Dans une interview accordée à une radio allemande en marge de sa visite en Allemagne et à la veille du rassemblement des religieux, le président IBK n’a pas mâché ses mots en renouvelant sa confiance au chef du Gouvernement. « Aujourd’hui, mon Premier ministre fait correctement son travail. À son arrivée, il a été confronté à beaucoup de difficultés comme l’organisation de l’élection présidentielle qu’il a réussi à révéler », a-t-il affirmé, laissant entendre que son bilan l’importe plus que toutes autres considérations. Sur l’ambition du PM de lui succéder, IBK admet qu’il ne soit pas interdit à un homme politique de nourrir des appétits. Le départ de certains députés du Rassemblement pour le Mali (RPM) vers l’Asma, le parti du Premier ministre, ne dérange apparemment outre mesure IBK, qui a nié en bloc une quelconque discorde entre lui et son Premier ministre sur la question.

Et pour confirmer que SBM est choix, le président IBK a fait passer un message à sa descente d’avion en marchant main dans la main avec le Premier ministre, contrairement à ses habitudes. Comme quoi, son limogeage ne parait pas à l’ordre du jour aux yeux de son employeur.

Amidou Keita

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