Déjà sous pression pour le mouton, les chefs de familles doivent "jongler" pour vêtir enfants et épouses.
Exceptionnellement, la fête de Tabaski et la Saint Sylvestre coïncident cette année, mettant en transes les Bamakois. Les embouteillages sont permanents au centre-ville attestant d’une montée ininterrompue de la fièvre.
La collision des deux fêtes les plus importantes pour le grand public constitue un cauchemar pour les chefs de familles qui sont obligés en plus du mouton de vider leur portefeuille pour habiller épouse(s) et enfants très exigeants en matière de sape. Une aubaine pour les vendeurs d’habits, de chaussures et de parures. À quelques jours des deux fêtes, les marchés sont très animés.
Le Marché rose et ses rues adjacentes, les marchés de quartier sont submergés par une marée humaine. Des groupes joyeux défilent devant les boutiques et les étals. Les clients se bousculent autour des vendeurs d’habits, de chaussures et des mèches. Les enfants cherchent chaussures à leurs pieds. Les femmes sont plutôt intéressées par les multiples variétés de bazin. Les jeunes filles négocient robes, jupes et autres "bodies". Dans les boutiques, les traditionnels marchandages sont serrés. Des vendeurs ambulants obligatoirement fougueux, accrochent les clients dans les allées du marché.
UNE SUCCESSION DE FÊTES. Des étalagistes font battre du tam-tam pour attirer la clientèle. D’autres marchands ont embauché des danseurs du "wolosso", la nouvelle danse qui fait fureur chez les jeunes. Les "coxeurs" (les intermédiaires) sont bien décidés à obtenir leur part de l’énorme gâteau du jour et tentent d’attirer les clients en leur proposant du bazin, des ensembles, des robes, à des prix défiant toute concurrence. Bref, la frénésie est partout car la course contre la montre bat désormais son plein.
Mahamane Maïga, un jeune commerçant installé en face de la Grande poste, s’est spécialisé dans les habits d’enfant. L’affluence le réjouit tout autant que la réticence des clients à délier les cordons de la bourse, le chagrine. "Certains clients discutent trop longuement sur les prix", regrette-t-il. Un comble alors que les prix ont, de son point de vue, encore baissé cette année. Tenez, explique-t-il, on peut se procurer un ensemble pour jeune garçon de 10 à 15 ans, selon le modèle avec 6000, 5000 et même 3000 Fcfa. La robe pour jeune fille du même âge coûte de 6000 à 1500 Fcfa.
Le jeune homme reconnaît que ces mois derniers ont été dispendieux pour les chefs de famille et compatit même à leur situation. "Il y a eu d’abord la rentrée des classes qui a été suivie de près par le mois de Ramadan puis la fête du même nom. Ensuite, ils n’ont eu que deux mois pour souffler avant Noël. Et maintenant, c’est la Tabaski et le 31", rappelle le commerçant.
Le bazin est particulièrement recherché pour la Tabaski. Au Grand marché, les boutiques, les échoppes et même les pousse-pousse sont remplis de bazin de toutes les qualités. Des vendeuses ambulantes en transportent une pile sur la tête. Il y en a pour tous les goûts et pour toutes les bourses. Ce tissu provient essentiellement de la Hollande, d’Allemagne et d’Autriche.
Les bazins dit "moins riches" nous arrivent surtout de Chine, explique Cheickna Lah, un commerçant de bazin dont la boutique est littéralement prise d’assaut ces jours-ci. On distingue plusieurs qualités de bazin. La première qualité, appelée "bazin riche", se vend entre 4500 et 5500 Fcfa le mètre. Quant au "Moins riche", il coûte de 1000 à 2000 Fcfa le mètre. La "Deuxième" qualité est encore moins chère : 600 à 1000 Fcfa le mètre.
Un nouveau tissu a conquis actuellement le cœur des femmes. Il est superbe, pratique, facile à coudre. Cette nouveauté provient de Dubaï, révèle Oumar Gakou qui en fait commerce. L’étoffe qui avait fait un tabac lors la fête du Ramadan, poursuit ses ravages au sein de la gent féminine. Son nom change au gré des trouvailles des aficionados. Pendant la fête de Ramadan, la clientèle l’appelait "Dubaï tissu" ou "Tafta". Particulièrement inspirées par son grain incomparable, les "grandes dames" le surnomment à présent "Première dame" ou "Princesse d’Arabie".
UN MILLION PAR JOUR. Une étoffe "princière" ne peut évidemment coûter qu’une fortune. Pour confectionner, un boubou avec la première qualité, il faut débourser jusqu’à 300 000 Fcfa. 50 000 à 100 000 Fcfa sont nécessaire pour un vêtement de moindre qualité. Oumar Gakou assure avoir fait de bonnes affaires sur ce tissu à la mode. Ses recettes journalières avoisineraient le million de francs cfa.
Dieu merci, les pagnes wax sont plus abordables. Mais aussi moins classes. Moussa Sylla explique ainsi que "le pagne wax avait une grande valeur il y a seulement 3 ans. Aujourd’hui, il est détrôné par le bazin et d’autres tissus légers". Les 3 pagnes de "wax réal" se vendent entre 3500 et 5000 Fcfa.
Mme Sénou Fatoumata Koumaré, une mère de famille, juge que le prix des habits n’est pas en cause mais plutôt l’enchaînement des fêtes qui a mis à mal le porte-monnaie lors du dernier trimestre. "Depuis octobre, les occasions de dépenses se succèdent. On ne peut même pas aborder le problème d’argent avec les chefs de famille", constate-t-elle. Paradoxalement, d’autres, comme O.D., se réjouissent de la coïncidence des deux fêtes. Son raisonnement de femme marié tient la route : les hommes auront tant de mal à assurer les dépenses de leur propre famille qu’ils ne pourront satisfaire les caprices de leurs multiples copines.
"Nous sommes vraiment coincés. Si on doit acheter le mouton, payer le riz, les condiments et les habits pour les enfants et les femmes… Que Dieu nous sauve. C’est très dur", s’exclame un père de famille, en souhaitant que les femmes fassent preuve de compréhension et de tolérance à l’endroit des époux harassés.
La coïncidence des deux fêtes ne déplaît pas au vieux Sidiki Traoré qui épingle "l’extravagance" qui prévaut aux fêtes de nos jours. "Dans le temps, pour la Tabaski par exemple, après la prière, les moutons étaient égorgés et la viande partagée. Les membres de la famille se réunissaient, mangeaient dans la joie et se présentaient des vœux. On n’accordait pas d’importance à l’habillement. Aujourd’hui, c’est différent", déplore l’ancien, assez sage cependant pour accepter les particularités de l’époque.
Doussou DJIRÉ
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