Le handicap en soi constitue une vulnérabilité et lorsqu’il est combiné au statut de la femme, l’équation autonomisation et épanouissement socio-économique devient complexe. Le Mali possède un cadre normatif palliatif aux milles obstacles et embûches freinant la réalisation socio-économique des personnes vivant avec un handicap : la loi normative n°2018 -027 du 12 juin 2018.
Entre stéréotypes, préjugés et handicap, la situation des femmes vivant avec un handicap reste préoccupante au Mali. Selon la présidente de l’Union malienne des associations et comités de femmes handicapées non moins présidente de la fédération malienne des associations des personnes handicapées (FEMAPPH), Mme Djikiné Hatouma Gakou, les femmes en situation de handicap sont en marge de la société et vivent d’énormes difficultés qui freinent leur épanouissement.
« Nous sommes dans une société fortement attachée à ses us et coutumes qui parfois confèrent des préjugés au handicap. S’agissant de la fille handicapée, déjà dans la famille, si elle n’est pas bien encadrée, elle risque d’être dans la rue, ce qui arrive très souvent. La fille handicapée ne jouit pas toujours des mêmes accompagnements et encadrements que d’autres enfants. Ceci est dû en partie au fait qu’elle est une fille et si à cela s’ajoute son statut de handicapée, ses chances de scolarisation sont quasiment nulles. Car pour certains parents, il n’est point nécessaire d’envoyer une fille handicapée à l’école. De plus, l’enseignement ne leur est pas adapté malgré notre politique d’enseignement inclusif. 80% des filles handicapées ne sont pas scolarisées » explique la présidente de la FEMAPPH.
Ses propos sont renchéris par Mme Diallo Assétou Diarra, présidente de l’Association Femme et TIC défenseur des femmes vivant avec un handicap. « Parmi les barrières éducatives des filles, dit-elle, on constate que les infrastructures ne sont pas adaptés aux personnes vivant avec un handicap. Comment voulez-vous qu’une jeune fille en fauteuil roulant se retrouve devant une classe où il n’y a pas de rampe ?, L’absence d’outils didactiques pour les handicapés visuels et les malentendants ? Donc ceux sont des situations qui font que les jeunes filles abandonnent l’école. »
Les contraintes matérielles, de l’avis de nos interlocutrices, amènent des parents à sacrifier la scolarité des handicapées. « Savez-vous combien de rêves sont brisés chez les malentendants dont la scolarité se limite en classe de 9ème car le secondaire et les écoles supérieures n’ont pas d’enseignement de signes ? », s’interroge Mme Djikiné. Outre le domaine de l’éducation, les femmes en situation de handicap ont d’autres difficultés comme l’accès aux services sociaux de base. Selon Mme Diallo, cette situation amène beaucoup de femmes handicapées physique à déserter les services de santé, pire à subir humiliation et détresse lors des accouchements. Elle est soutenue par Mme Fatoumata Ballo non voyante, maîtresse d’école. « Si on s’est battu pour les doter des Csrefs de Bamako, de tables d’accouchement adaptées, dans les régions et les villages où vivent des milliers de femmes handicapées, la réalité est autre ! Elles n’ont pas accès à l’équipement adapté. Donc elles sont obligées d’accoucher à même le sol, dans ces cas de figures, on se demande alors où est la dignité de la femme ? ».
Surprotection ou incommodation ?
De nombreuses jeunes filles se retrouvent en âge adulte dépendante. « La fille handicapée grandit entre les chambres de ses mamans mais on ne l’éduque pas par rapport à son développement de femme, on ne lui apprend pas à travailler, à cuisiner, bref on ne lui apprend rien. Il s’agit là d’une forme de surprotection et faute de considération, elle est laissée de côté, réduite à néant », dénonce Mme Djikiné Hatouma Gakou. Mme Fatoumata Ballo abonde dans le même sens. Selon elle, cette situation crée une réelle dépendance chez les personnes handicapée. « On se retrouve à dépendre d’autres personnes pour s’acquitter de nos tâches. Au niveau de la famille, quoique tu puisses accomplir comme tâche cela ne peut être pareille à celle d’une personne sans handicap. Ce qui est pareil même lorsqu’on est en couple, pour faire son ménage, ou sa cuisine il te faut avoir recours à une aide. Tu restes toujours dépendante des autres pour accomplir tes tâches surtout nous les non voyantes ».
Une dépendance qui rend difficile l’autonomisation de la femme handicapée, la fragilisant et l’exposant à certains dérapages sociaux. « La fille handicapée, n’ayant pas accès à l’école, gage de son autonomie, devient facilement la proie des hommes, souvent abusée et violentée, elle se retrouve abandonnée avec des enfants », dénonce la présidente de l’Union des femmes handicapées. De ses aveux, l’Union enregistre de nombreux cas de violences et d’abus sexuels sur les femmes en situation de handicap. Des abus et violations des droits des femmes vivant avec un handicap qui perdurent, quoique le Mali possède un cadre juridique pour protéger et accompagner ces femmes.
En effet, la Constitution du Mali déclare dans son article 2 que tous les maliens naissent et meurent libres et égaux en droits et en devoir, et prohibe toute discrimination. De plus, le Mali a adhéré à la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées et au Protocole facultatif, convention ratifiée en 2008 qui réaffirme le caractère universel, indivisible, indépendant et indissociable de tous les droits de l’Homme et de toutes les libertés fondamentales et la nécessité d’en garantir la pleine jouissance aux personnes handicapées sans discrimination.
Mais surtout, il existe la loi normative n° 2018-027 du 12 juin 2018 relative aux Droits des personnes vivant avec un handicap dont le décret d’application a été signé le 23 septembre 2021. Elle vise à promouvoir et protéger les droits des personnes vivant avec un handicap, prévoit la prise en compte des personnes vivant avec un handicap dans les politiques et plans d’action, leur participation à la vie publique et politique. Egalement la loi porte sur l’accessibilité et les facilités aux personnes en situation d’handicap dans les domaines de la santé, de l’éduction, culture etc. S’agissant du statut des femmes, elle déclare que : « les femmes et les enfants bénéficient des mesures spécifiques d’assistance et de protection contre l’exploitation de toute nature, les violences, les agressions sexuelles et maltraitances. Aussi la rapide mise en œuvre de cette loi pourrait permettre aux femmes en situation d’handicap de revendiquer leurs droits et de se défendre.
Khadydiatou SANOGO/Ce reportage est publié avec le soutien de JDH, Journalistes pour les Droits Humains et National Endowment for Democracy-NED