La semaine dernière a été marquée par la libération sous condition de plusieurs magistrats mis sous mandat de dépôt pour corruption. Ils recouvrent donc une liberté provisoire. Dans la clameur, leurs collègues parlent de légèreté de charges retenus contre eux. Il ne sera point surprenant si l’affaire se conclut par leur élargissement pur et simple.
Sans préjuger de leur culpabilité, la démarche dégage pour le moins un relent de sabotage, une impression largement partagée dans les milieux les plus conscients de la guéguerre qu’entretiennent le Garde des Sceaux et ses ouailles des différentes juridictions du Mali. Car, au-delà des magistrats inculpés, des sources concordantes dénoncent une distribution à la pelle de libertés conditionnelles contre des sommes modiques sonnantes et trébuchantes.
Pour un dossier de plusieurs milliards, en occurrence celui de la Brs (Banque régionale de solidarité), les responsables inculpés ont recouvert la liberté sous condition moyennant une dizaine de millions par mis en cause. Ils ne sont seuls. De nombreuses présumées criminelles à cols blancs, interpelés par Pole et mis sous mandat de dépôt dans le cadre de la lutte contre la délinquance financière, sont également sur le point d’être remis en liberté contre la modique som me de 300 mille Fcfa par personne.
Cette démarche généreuse de la justice, pour nombre d’observateurs, ne peut s’expliquer que par une réaction par le sabotage aux ardeurs belliqueuses du ministre Bathily. Cet individu, depuis sa prise de fonction, a courageusement opté pour un système de fonctionnement qui s’apparente pour le moins à la stigmatisation des magistrats présentés aux yeux du monde comme les principaux prédateurs, vecteurs de la corruption et de la mauvaise distribution de la justice au Mali.
D’ailleurs, le différend fut récemment à l’origine d’une brouille indescriptible entre lui et le procureur général près la Cour d’appel de Bamako, au point que les deux bonhommes s’offrirent périodiquement en spectacle en attirant les projecteurs sur un malaise burlesque sans commune mesure pour le fonctionnement d’un parquet. Il en est de même pour les rapports du premier parquetier avec le pro- cureur du Pôle économique et la Commune III, qui s’estimait en droit d’objecter sur la façon de s’y prendre dans la rocambolesque affaire Adama Sangaré. Leur différend a manqué de justesse de se conclure par une démission du subalterne du reste annoncée dans les media par son supérieur hiérarchique, le Garde des Sceaux. Encore lui !
Bref ! Il s’agit ici d’un réel marquage à la culotte entre le ministre de la Justice et les magistrats du parquet. Cet affrontement prend les proportions d’un bras de fer répandu sur l’ensemble de la magistrature. Solidarité de corps oblige !
Le défi que se lancent les protagonistes s’inscrit dans un autre épisode tragique avec l’ouverture annoncée d’une vingtaine de numéros verts mis à la disposition des usagers de la justice pour aider à traquer les magistrats indélicats. Il en existe !
Auparavant, le malentendu avait connu une première cristallisation passée sous silence en son temps et qui en dit long sur la barrière d’incompatibilité, les incompatibilités d’humeurs, entre le ministre et ses incontournables proches collaborateurs.
A la faveur d’un dîner offert par le Premier ministre à l’honneur de Mme Christine Lagarde, patronne du Fmi, en visite dans notre pays, une chaude discussion mit aux prises le Garde des Sceaux et le premier responsable de l’institution judiciaire, le président de la Cour suprême. Les deux bonhommes, Tapily et Bathily, se retrouvèrent ainsi,comme par enchantement, sur la même table, affirment les langues fourchues, ajoutant que le premier avait menacé d’abandonner les lieux, agacé qu’il était par les propos choquants d’un interlocuteur qui n’est point du genre à habiller, ni filtrer l’expression de ses pensées. «Les magistrats ont pris l’habitude de spéculer sur le droit et de vendre et truquer la loi pour au plus offrant», aurait-il craché sur la figure du président de la Cour suprême, avant de me* nacer du coup de régler leur compte à tous ceux qui rechignent à se mettre au pas pour accompagnant la dynamique du changement mise en route par ses soins.
Bien que les jugements du ministre ne soient pas trop loin de la réalité, les témoins de ladite scène pour le moins insolite conviennent tout de même que, ni l’endroit ni le moment n’étaient indiqués pour jouer le rabat-joie et étaler au grand jour, devant tant de regards étrangers indiscrets, les malaises et les avatars rédhibitoires du système judiciaire malien.
Aussi ardente que puisse paraître la volonté des hautes autorités pour changer les pratiques dans le carcan de la justice, un accompagnement et une adhésion des magistrats demeurent un passage obligé incontournable pour sa concrétisation.
C’est cela qu’ils tentent de prouver au premier responsable de leur tutelle en entamant une vague de sabordements qui n’a sans doute pas encore révélé la totalité de ses facettes.
A. KEITA