En 2009, Manuel Valls, alors maire d’Evry en banlieue parisienne, demandait en riant qu’on ajoute «quelques blancs, quelques white, quelques blancos». Aujourd’hui, on ne compte plus les cris de singe et les bananes lancées en direction de footballeurs d’origine africaine.
Très régulièrement, les groupes culturels sont directement ou indirectement insultés par des tweets infamants tels que «les casseurs sont sûrement des descendants d’esclaves…» ou «le CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires de France) n’a qu’à faire comme le clochard Mbala Dieudo un appel aux dons, les Africains ont l’habitude de vivre de la mendicité». Christiane Taubira, ministre de la Justice, née à Cayenne en Guyane, a été comparée à une guenon. Une militante du parti Front national a dit qu’elle «préfère la voir dans les arbres après les branches, que la voir au gouvernement». Des «humoristes» ont ironisé sur le génocide du Rwanda.
Le 3 novembre 2013, le quotidien Le Parisien posait la question : «La France devient-elle raciste ?». Plutôt que de débattre de cette notion de race qui ne correspond à rien pour les êtres humains que nous sommes, il est nécessaire de rappeler que, de tout temps et partout, lorsque les populations subissent un contexte socio-économique difficile, la xénophobie réapparaît. «L’autre», celui qui «vient d’ailleurs», cristallise les peurs. Il devient le bouc émissaire, le responsable de tous les maux.
En France, depuis plusieurs années, les entreprises et les usines ferment. Le taux de chômage augmente. L’austérité imposée par les politiques néolibérales appauvrit les populations. La qualité des services publics se détériore. Les parents sont inquiets pour l’avenir de leurs enfants quand ils voient les images de centaines de migrants en quête d’une vie meilleure franchir les frontières. Certains politiciens en profitent pour réanimer un nationalisme qu’on croyait d’un autre âge. Des titres de presse manipulent sournoisement l’opinion en agitant le spectre de l’invasion : «Serons-nous encore Français dans 30 ans» ; «Immigration ou invasion ?» ; «Ces étrangers qui pillent la France, les nouveaux barbares» ; «Comment la France soigne-t-elle ses clandestins ?» ; «Quand la mer migratoire monte». Ces mots chargés de stéréotypes sont aussi insidieux que dévastateurs. Ils se nourrissent du passif hérité de l’Histoire qui pèse lourd dans les inconscients collectifs.
Certains propos tenus au nom de la France empêchent la réconciliation des peuples. En février 2007, à Toulon, dans le sud de la France, l’ancien ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, osait dire que «Si la France a une dette morale, c’est d’abord envers ceux qui avaient participé à la colonisation et à leurs descendants», niant ainsi celle à l’égard des Africains. Quelques mois plus tard, en juillet, à Dakar, après avoir été élu président de la France, il scandait que «L’homme africain n’est toujours pas encore entré dans l’histoire». Refuser de reconnaître les erreurs d’une Nation et leurs conséquences, est criminel. C’est conforter les uns dans un sentiment de supériorité néocolonial. C’est refuser aux autres qui sont les descendants des victimes de ces erreurs le droit à la reconnaissance. C’est entretenir le conditionnement hérité de la traite négrière, de l’esclavage et de la colonisation. C’est légitimer la notion abjecte de hiérarchie entre les «races» dans les représentations que les peuples ont les uns et des autres. C’est justifier que le développement économique des uns se fait depuis toujours au détriment de celui des autres.
Au cours du 20ème siècle, voulant échapper à la pauvreté provoquée par le pillage des ressources naturelles du continent, des Africains ont quitté leurs pays pour travailler en France et permettre à leurs parents de survivre au village. C’était les «Trente glorieuses», la période de plein emploi. Les Français leur laissaient volontiers les emplois qu’ils ne voulaient pas occuper. Les choses ont changé et aujourd’hui, car ces «travailleurs étrangers» sont devenus des «immigrés». Leurs descendants, nés en France, ne comprennent pas qu’on leur demande d’où ils viennent. On leur rappelle sans cesse qu’ils sont «issus de l’immigration» et, comble de l’ironie, qu’ils doivent «s’intégrer». On les appelle «les minorités visibles», «la diversité», expressions politiquement correctes pour ne pas dire «non-blancs européens».
Malgré leur formation professionnelle, malgré leurs diplômes, ces jeunes peinent à intégrer le marché de l’emploi. Selon le rapport de l’INSEE 2012, ils souffrent 3 fois plus du chômage que les autres du même âge. À ces notions «ethno-raciales», s’ajoute celle de l’appartenance religieuse. Rares sont les jours où les médias n’évoquent pas un acte terroriste perpétré quelque part dans le monde par des fanatiques islamistes. Année après année, l’amalgame s’est installé dans l’esprit de beaucoup. Tout musulman est un potentiel intégriste poseur de bombes.
En France comme ailleurs, la phobie de l’autre est générée par l’injustice économique. Cette peur se trompe d’ennemi, puisque ceux sur lesquels elle se focalise souffrent des mêmes maux. Chaque jour, eux aussi se demandent comment faire bouillir la marmite. Il est temps d’exiger de tous ceux qui ne cherchent que leurs propres profits, qu’ils cèdent la place. Il est temps que les populations se réveillent et décèlent les manipulations qui provoquent le racisme et la guerre. Il est temps que la dignité de tous les êtres humains soit restaurée.
Françoise WASSERVOGEL